Lorsque le zéphyr souffle sur notre continent, près de 80.000 éoliennes tournent à plein régime et fournissent une puissance instantanée parfois supérieure à 150.000 MW. Si la consommation est faible au moment où le vent souffle, les prix de l’électricité sur les marchés de gros s’effondrent pendant quelques heures. Un phénomène qui a tendance à se multiplier. A qui profite cette situation ?

Aujourd’hui, près de 200.000 MW de capacité éolienne sont installés en Europe. Le chiffre a triplé en 10 ans, soutenu par une croissance annuelle moyenne de 11% depuis 2008.
Et à en juger par le nouveau Green Deal de l’Union Européenne, le développement de l’énergie éolienne, particulièrement en mer, n’est pas prêt de fléchir.

Une bonne nouvelle pour nos émissions de CO2. Mais le foisonnement croissant de nos éoliennes multiplie les périodes de surproduction d’électricité. Car s’il est possible, en cas de grands vents, de moduler une centrale au gaz ou une centrale au charbon, il n’est pas possible pour autant de l’éteindre, et encore moins de mettre un barrage hydroélectrique ou une centrale nucléaire à l’arrêt.

Pourquoi des prix négatifs de l’électricité ?

Lorsque plusieurs centrales nucléaires ne sont plus opérationnelles, le prix de l’électricité peut atteindre des sommets et grimper par exemple jusqu’à 500 € le mégawattheure (le prix spot[1] actuel se situe autour de 50 € le mégawattheure).
A l’inverse, lorsqu’une forte production se combine à une faible demande (par exemple durant le week-end ou en période de vacances), le réseau produit un excédent d’électricité. Celui-ci doit impérativement être consommé pour éviter une congestion du réseau, quitte à vendre le courant à un prix négatif. Au début de ce mois de décembre, la force d’éole a fait chuter les prix sur le marché de gros européen jusqu’à -110 € le mégawattheure.
Pendant ces courtes périodes, les producteurs qui ne peuvent techniquement pas mettre leur centrale à l’arrêt doivent payer pour écouler leur production, tandis que certains gros acheteurs (industries chimiques, ou métallurgiques) sont rémunérés pour consommer davantage.

Ces prix négatifs traduisent une réalité économique : en période de surproduction, les interconnexions des réseaux européens qui permettent, en temps normal, d’exporter l’excédent d’énergie, sont saturées, et les moyens de stockage (pompage-turbinage) sont pleinement utilisés. Mais c’est également – et surtout – pour des raisons de rentabilité que la production n’est pas jugulée. Il est en effet moins coûteux de continuer à faire tourner une centrale au gaz pendant quelques heures, que de l’arrêter.

Bonne ou mauvaise nouvelle pour le citoyen ?

Ces mouvements à très court terme ont très peu d’influence sur la facture des ménages, puisque la plupart des contrats de fourniture pour les particuliers sont adossés à des achats à terme fixe de deux ou trois ans. Mais la multiplication des épisodes de prix négatifs indique que l’offre en électricité tend à augmenter, sauf si plusieurs centrales nucléaires venaient à fermer définitivement.

Puisque l’électricité répond à la loi de l’offre et de la demande comme toute autre commodité, on peut donc imaginer qu’à terme, le développement de l’énergie éolienne aura tendance à pousser les prix de détail vers le bas, et contribuera dès lors à réduire le prix du kilowattheure, ou du moins à le stabiliser.

Toutefois, des prix négatifs sur le marché de gros n’annoncent pas qu’une bonne nouvelle. Une multiplication des épisodes de surproduction crée de l’incertitude sur les marchés, et traduit un déséquilibre. Les spécialistes parlent de destruction de valeur, car le marché de l’électricité ne couvre plus les coûts de production réels.
A quelque chose malheur est bon, dit toutefois le proverbe : les prix négatifs permettent d’accélérer le développement des capacités de stockage à grande échelle, nécessaires à la croissance des énergies renouvelables. La technologie basée sur l’hydrogène peut s’en trouver également stimulée.

Faudrait-il adapter la rémunération de la production d’énergie renouvelable ? Certains l’affirment, car la prime perçue permet aux producteurs de renouvelable de supporter des prix négatifs pendant quelque temps, à l’inverse des producteurs conventionnels. Mais, bien que la rentabilité croissante des moyens de production renouvelable permette de se passer de plus en plus du soutien public, on ne peut prendre le risque de supprimer tout soutien et de voir les investisseurs se désintéresser des énergies renouvelables. Le retard de l’Europe par rapport aux objectifs qu’elle s’est fixée, et l’urgence climatique sont là pour nous le rappeler.


[1] Prix spot : prix d’une marchandise dans un marché au comptant