Nous entendons souvent parler des réacteurs nucléaires « de 4ᵉ génération », destinés à remplacer les réacteurs actuels. Leurs technologies sont promues comme plus durables, plus sûres, plus économiques et comme une solution de choix pour décarboner le secteur de l’énergie et garantir notre sécurité énergétique. Mais, au-delà de ces arguments généraux et marketing, quelles sont les caractéristiques précises recherchées pour ces réacteurs ? Nous allons en présenter ici les objectifs les plus saillants.

La genèse du projet

En janvier 2000, à l’initiative du Department of Energy américain (DOE), des représentants de neuf pays fondateurs se réunissent pour mettre en commun leurs efforts de recherche et développement portant sur l’énergie nucléaire. Ils créent un cadre international dont l’objectif est d’accélérer le développement des réacteurs nucléaires désirables pour notre futur.

Cet événement est le coup d’envoi du Forum Génération IV (abrégé en GIF), qui rassemble aujourd’hui des représentants de 13 pays (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Japon, Royaume-Uni, Russie et Suisse), et d’Euratom.
Le Forum fixe de multiples objectifs à ces filières nouvelles, et ces objectifs constituent autant d’axes de réponse aux enjeux connus de l’industrie nucléaire : durabilité, non-prolifération et sécurité, sûreté nucléaire et intégration économique.

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Les objectifs de durabilité

Les réacteurs actuels fonctionnent grâce à un isotope particulier de l’uranium, l’uranium 235 (l’uranium dit “fissile”), qu’on ne trouve qu’à hauteur de 0,7 % dans l’uranium naturel. Le reste de l’uranium, plus de 99 %, n’est que marginalement exploité, et finit en déchet qu’il faut gérer. Il existe toutefois des technologies de réacteur qui permettent d’augmenter la proportion utilisée de l’uranium, et ce, par le principe dit de la “surgénération” : il s’agit de transformer les isotopes non fissiles en isotopes fissiles, et d’augmenter ainsi très significativement les ressources disponibles en uranium. On parle généralement d’un facteur de multiplication entre 50 fois et 100 fois.

En ce qui concerne les déchets, des technologies de réacteur permettent d’en réduire significativement la quantité et la durée pendant laquelle ils restent nocifs. En effet, la radioactivité de tout corps radioactif diminue avec le temps – il s’agit de la notion de “demi-vie”, c’est-à-dire la durée après laquelle la radioactivité est divisée par deux. À partir d’un certain temps, division par deux après division par deux, la radioactivité devient négligeable, non nocive, car inférieure à la radioactivité observée naturellement dans notre environnement.

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Le problème réside dans le fait que certains déchets radioactifs ont une demi-vie très longue : par exemple, plus de 24 000 ans pour l’isotope 239 du plutonium, il faut donc des durées très longues, de plusieurs centaines de milliers d’années, pour que sa radioactivité diminue à un niveau en dessous duquel il n’est plus nocif. Certains réacteurs peuvent toutefois utiliser ce plutonium comme combustible, ce qui a plusieurs avantages : il n’est plus un déchet, mais une ressource, il produit de l’énergie et il est transformé en éléments dont la demi-vie est beaucoup plus courte. Le déchet qui en résulte atteint donc beaucoup plus rapidement un niveau en dessous duquel sa radioactivité n’est plus nocive, et la gestion sûre de ce déchet n’est alors à prévoir que sur des durées nettement moins longues.

Un réacteur de 4ᵉ Génération doit donc revendiquer les caractéristiques suivantes : il doit permettre de mieux utiliser la ressource uranium et d’utiliser une part des déchets comme une ressource tout en réduisant la durée de nocivité de ses déchets.

Non-prolifération et sécurité

Le Forum fixe également comme objectif une résistance accrue à la prolifération des armes nucléaires. Autrement dit, les réacteurs de 4ᵉ Génération ne doivent pas pouvoir en pratique être utilisés pour produire la matière nécessaire à la fabrication d’armes nucléaires. Cet objectif peut être atteint en sélectionnant des technologies spécifiques, par exemple, dont la matière nucléaire sortie de réacteur n’a pas la pureté nécessaire aux applications militaires. Le fait de consommer le plutonium, comme décrit plus haut, participe aussi à cet objectif. En termes d’enjeu de sécurité, est également fixé l’objectif d’une résistance accrue aux attaques terroristes.

Sûreté nucléaire

Lors de sa création en 2000, le Forum a mis en avant la nécessité d’une sûreté nucléaire accrue, c’est-à-dire un risque minime d’endommagement grave du réacteur, et à un risque plus faible encore de rejets massifs de radioactivité dans l’environnement. Cet objectif est bien entendu plus décisif encore aujourd’hui, suite à l’accident des réacteurs de Fukushima, à la suite du tsunami du 11 mars 2011. Près de 160 000 personnes ont été évacuées de leur foyer, et aujourd’hui encore plus de 30 000 personnes vivent ailleurs. Une telle catastrophe n’est bien évidemment pas acceptable et elle a eu de lourdes répercussions sur l’ensemble de l’industrie nucléaire.

Un réacteur de 4ᵉ Génération doit ainsi garantir les plus hauts niveaux atteignables de sûreté nucléaire, tout d’abord en réduisant drastiquement les risques d’accidents graves. De plus, la conception doit prévoir les conséquences de cet accident, de sorte que s’il se produisait malgré tout, les matières radioactives resteraient confinées à l’intérieur de l’enceinte du réacteur. Ainsi serait éliminé le besoin d’une réponse en dehors du site, notamment toute évacuation.

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Quel intérêt économique ?

Un réacteur de 4ᵉ Génération doit proposer une amélioration des paramètres économiques. Cela implique notamment une diminution des coûts de construction, d’exploitation et de démantèlement, sur l’ensemble du cycle de vie du réacteur et de son combustible. En outre, l’industrie nucléaire nécessitant d’importants capitaux, les risques financiers doivent être maîtrisés et maintenus au niveau de ceux des autres sources d’énergie. Cela passe en particulier par une fiabilisation des délais de construction, et ce n’est un secret pour personne qu’il s’agit d’un point noir de nombre de projets de construction, notamment les plus récents.

Il est envisagé également de développer les technologies qui permettent d’utiliser des réacteurs nucléaires pour d’autres applications que la seule production d’électricité, à savoir : la production d’hydrogène, la production d’eau potable, ou encore la production de chaleur par la cogénération.

Le choix des technologies

Les réacteurs démontrant un net progrès sur l’ensemble de ces axes sont appelés des réacteurs de 4ᵉ Génération. Le Forum vise un déploiement industriel de tels réacteurs pour 2030. Le Forum a sélectionné six technologies jugées les plus prometteuses :

Le réacteur rapide refroidi au gaz (GFR)

Le réacteur rapide refroidi au plomb (LFR)

Le réacteur à sels fondus (MSR)

Le réacteur rapide refroidi au sodium (SFR)

Le réacteur refroidi à l’eau supercritique (SCWR)

Le réacteur à très haute température (VHTR)

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Par exemple, le réacteur du projet ASTRID est un réacteur rapide refroidi au sodium (SFR) et était conçu, avant l’arrêt du programme en 2019, comme un réacteur de 4ᵉ Génération. Il en est de même pour les projets développés par les deux récentes start-up françaises Hexana (SFR) et Stellaria (MSR). L’enjeu est important, car le nucléaire de 4ᵉ génération a des atouts importants pour décarboner notre économie et garantir notre sécurité énergétique. L’ensemble de ces technologies sont toutefois moins matures que celles des technologies actuelles (réacteurs à eau pressurisée, technologie dominante aujourd’hui en France). Elles nécessitent ainsi un important effort de recherche et développement.

Par ailleurs, chacune de ses technologies présente des avantages et des inconvénients, et c’est toute la difficulté du travail de l’ingénierie, et plus généralement de l’industrie, que de passer des promesses, de la théorie, aux réalisations concrètes. Pour aller plus loin, le lecteur curieux pourra consulter le site internet du Forum Génération IV. Le Forum édite également un rapport annuel permettant de suivre les développements techniques, dont voici la version de 2021.