Après les attaques qui ont frappé des pétroliers en mer d’Oman et dans le Golfe, la destruction en quelques frappes aériennes des installations produisant la moitié du pétrole d’Arabie (soit 6 % de la consommation mondiale) est intervenue au moment où nous apprenions le plafonnement de la production de brut aux USA. Les risques énormes qui pèsent sur nos importations d‘énergie et notre extrême dépendance aux hydrocarbures fossiles sonnent l’alarme. La transition énergétique est plus urgente que jamais.

Ce 14 septembre, 18 drones et 7 missiles ont suffi à détruire 2 sites majeurs de la Saudi Aramco, la plus grande compagnie pétrolière au monde. Cinq heures après les frappes, les incendies faisaient toujours rage. Résultat : la moitié de la production de l’Arabie saoudite était à l’arrêt, soit environ 6 % de la consommation mondiale de pétrole.
Les autorités saoudiennes se sont voulues rassurantes en annonçant hier, 10 jours après le raid, le rétablissement de leurs capacités de production. Mais les images satellites et celles qu’ont pu ramener les journalistes qui ont visité les installations attaquées, ont révélé l’ampleur des destructions. Et les experts sont sceptiques : les informations que nous avons pu recueillir auprès de plusieurs sources sérieuses nous apprennent que la raffinerie d’Abqaiq, la plus importante du royaume, ne devrait retrouver sa capacité complète que d’ici 7 à 8 mois.

Les images de la raffinerie d’Abqaiq après l’attaque révèlent l’ampleur des dégâts

Bien plus que les fluctuations des prix du baril provoquées par cet événement, la principale info que nous en retiendrons est la révélation de la totale inefficacité des défenses antiaériennes du royaume saoudien et de son industrie pétrolière. Pourtant son armée dispose du troisième plus gros budget militaire du monde, après les Etats-Unis et la Chine, mais avant la France, la Russie et le Royaume-Uni. Les 88 batteries de missiles antiaérien Patriot déployés le long des frontières du pays et les 3 bâtiments de guerre de la marine américaine, équipés de systèmes antiaériens Aegis et croisant au large de ses côtes, ont visiblement été totalement impuissants.

Que les frappes aient été commanditées par l’Iran comme l’affirme l’équipe de Donald Trump ou qu’elles soient le fait des rebelles yéménites importe finalement peu. Leur résultat montre que les auteurs de ces attaques aériennes pourraient à tout moment les répéter ou les diriger vers d’autres cibles tout aussi stratégiques.

Intervenant quelques semaines après les raids menés contre des pétroliers en mer d’Oman et dans le Golfe persique, ces faits de guerre nous révèlent – s’il le fallait encore – les tensions géopolitiques extrêmes qui sont à l’œuvre dans cette région de la planète. Plus que jamais le Moyen Orient mérite son titre de poudrière. Et ce n’est pas la légendaire propension à l’apaisement et à la pacification dont fait preuve jour après jour le président des Etats-Unis qui devrait arranger les bidons. Le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo parle « d’acte de guerre » et consulte ses alliés du Golfe sur la réponse à apporter.  De son côté, Téhéran ne recherche pas vraiment la conciliation :  le chef de la diplomatie iranienne a déclaré que des représailles américaines ou saoudiennes sur son pays déclencherait « une guerre totale ». Quant aux rebelles Houthis, qui ont revendiqué les frappes sur les sites pétroliers, ils ont menacé de lancer « des dizaines d‘attaques » sur des cibles dans les Emirats arabes unis, alliés des Saoudiens dans la guerre au Yémen.

Un pétrolier en feu après une attaque en mer d’Oman

Le risque qu’une nouvelle étincelle provoque un embrasement généralisé du Moyen-Orient n’a jamais été aussi grand.
Le hic, c’est que la région recèle les plus importantes réserves pétrolières de la planète et qu’une escalade militaire ferait courir une menace énorme sur nos approvisionnements en énergie. Certes, l’Europe a diversifié ses importations et ne dépend pas que des gisements de brut du Golfe, mais il est clair qu’en cas de pénurie mondiale, les prix monteront en flèche et que les pays exportateurs se réserveront leur production d’or noir avant de nous la vendre.

La production américaine de brut a cessé de croître

Une autre information récente, passée beaucoup plus inaperçue, vient renforcer notre inquiétude. Alors que depuis 2012 la production du pétrole de schiste (shale oil) aux USA n’a quasi pas cessé de croître, et de compenser le déclin de presque tous les gisements de pétrole « conventionnel » de la planète, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a récemment fait savoir que la production américaine de brut a atteint un sommet en avril de cette année. Depuis lors elle décline légèrement.

Plusieurs experts du pétrole comme Dan Steffen, président de l’Energy Prospectus Group (EPG) ou Matthieu Auzannau (auteur du livre « Or noir – La grande histoire du pétrole« ) estiment que le plafonnement de la production des puits de « shale oil » aux Etats-Unis se poursuivra dans les prochains mois. Or l’AIE tablait sur un doublement, voire un triplement de l’offre de brut US pour éviter un pic pétrolier d’ici 2025.

Lorsqu’on sait d’autre part que le Kremlin annonce un risque de décroissance de sa production à partir de 2021, alors que la Russie fournit plus du quart de la consommation européenne de pétrole, n’y a-t-il pas matière à se faire bien du souci à propos de notre extrême dépendance, … on peut même dire de notre « addiction » aux hydrocarbures fossiles et au pétrole en particulier.
Indépendamment de l’urgence que nous dicte les changements climatiques de plus en plus évidents et rapides, la nécessité d’une accélération de la transition énergétique vers les énergies renouvelables n’a jamais été aussi pressante.