Maillon indispensable de la transition énergétique, le stockage de l’électricité est appelé à se développer fortement. Si des technologies comme celle des STEP et des batteries électrochimiques sont bien éprouvées, nous vous avons déjà présenté plusieurs autres solutions testées par des startup ingénieuses. Le groupe d’ingénierie français Segula Technologies développe quant à lui un procédé innovant basé sur la compression de l’air pour stocker l’électricité produite par les parcs éoliens offshore.

Le stockage par air comprimé aussi dénommé CAES (pour “Compressed Air Energy Storage” en anglais) est une idée ancienne. Depuis une vingtaine d’années des solutions sont testées mais la plupart n’ont pas abouti à des applications commerciales. En cause : leur faible rendement, de l’ordre de 40 à 50%. C’est le cas des deux seules installations en service dans le monde : à Huntorf en Allemagne, un stockage d’air comprimé dans une ancienne mine de sel (290 MW / 580 MWh) affiche un rendement de 42 % et dans une autre mine à McIntosh, aux Etats-Unis (110 MW / 2860 MWh), le rendement du cycle compression / détente n’est pas beaucoup meilleur : 54%.

La compression de l’air s’accompagne en effet d’une importante production de chaleur (et donc d’une perte d’énergie) alors que sa détente dans une turbine provoque au contraire une réfrigération. Pour éviter le givrage de l’installation, des combustibles fossiles sont souvent utilisés pour réchauffer l’air avec, comme conséquence, une chute du rendement et une empreinte carbone non négligeable.
Dès lors, les nouveaux projets visent tous à réutiliser et stocker la chaleur libérée pendant la compression pour la réinjecter lors de la détente. Le rendement peut alors théoriquement être porté à 65 ou 70 %. L’Union européenne a testé un prototype dénommé RICAS, dans un massif rocheux en Autriche.  Elle apporte aussi un soutien financier à un projet près de Larne, en Irlande du Nord.

Compression par « piston liquide »

Le groupe d’ingénierie français Segula développe une autre technique. Baptisée Remora, elle est spécifiquement destinée à stocker l’électricité produite par les parcs éoliens offshore. « Nous travaillons sur le projet depuis 2013 » explique son inventeur, Thibaut Neu. « L’idée est de faire de l’eau de mer et de la pression sous-marine un atout ». Le principe de la compression isothermique imaginée par le chercheur est celui du « piston liquide » : l’électricité produite par les éoliennes est utilisée pour pomper l’eau de mer dans des chambres de compression flottantes, lesquelles envoient l’air comprimé vers des réservoirs de 200 à 500 m3 reposant sur le fonds marin entre 100 à 150 mètres sous la surface. A cette profondeur, la pression est comprise entre 10 à 15 bars. « On profite de la pression de l’eau pour contenir la pression à l’intérieur des réservoirs » explique Albert Subrenat, enseignant-chercheur à l’IMT Atlantique qui est associé au projet. Lorsque l’énergie doit être réinjectée sur le réseau, il suffit d’inverser le processus : l’air comprimé, en se détendant, repousse l’eau au travers des turbines, lesquelles génèrent de l’électricité comme dans les centrales hydroélectriques de pompage-turbinage. La technique ne nécessite donc aucun stockage de chaleur. Selon Thibaut Neu, le rendement de ce procédé de stockage pourrait atteindre 70%.

Le démonstrateur ODySEA

Après avoir breveté ce principe de stockage en 2015, Segula Technologies entend le tester. Le groupe s’est dès lors associé à l’institut IREENA de l’université de Nantes, la grande École IMT Atlantique et le Cetim pour construire un premier démonstrateur dénommé ODySEA. D’une durée de 3 ans, le projet bénéficie d’un financement de l’Ademe (devenue récemment l’Agence de la transition écologique). Le Cetim a pris en charge le banc d’essai, depuis sa conception jusqu’à l’exploitation sur son site de Nantes. Installé pour l’instant sur la terre ferme, il s’agit d’un modèle réduit dont les chambres de compression ont une hauteur de 3 m et qui ne développe qu’une puissance de quelques watts seulement.

Le prototype à échelle réduite installé au Cetim

Un communiqué publié ce 18 juin par Segula Technologies fait état de la réussite des premiers tests. Thibault Neu ne dévoile pas le rendement du démonstrateur mais il évoque des « résultats encourageants ».
Le groupe cherche désormais des partenaires industriels pour construire un prototype en mer d’ici 2023. Il ne s’agira toutefois encore que d’un modèle intermédiaire de quelques centaines de kWh qui devra démontrer sa résistance aux contraintes du milieu marin. L’installation industrielle et commerciale envisagée à plus long terme devrait quant à elle disposer d’une capacité de stockage de 90 MWh.