Il était temps ! Alors qu’il a plafonné à moins de 10 € jusqu’en 2018, le prix de la tonne de carbone a bondi de 200% en 18 mois. Il se négocie aujourd’hui à 26 €, et pourrait grimper jusqu’à 35 – 40 € dans les prochaines années. Quelles sont les raisons qui expliquent cette hausse, et surtout, quel impact ce prix a-t-il sur notre vie de tous les jours ?

Instauré en 2005, le Système d’Echange de Quotas d’Emissions (SEQE), également appelé en anglais European Union Trading Scheme (ETS), est la pièce maîtresse de la politique européenne pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à son niveau de 1990. Rappelons que, parmi les différents gaz à effet de serre, le CO2 constitue plus de 75% de ces émissions.

Comment fonctionne le marché ETS ?

Le marché ETS consiste en un ensemble de quotas d’émissions de CO2, fixés par l’Europe pour chacune des principales entreprises européennes. Chaque quota correspond à l’autorisation d’émettre 1 tonne de CO2. 12 000 installations appartenant à 8 000 entreprises réparties dans 31 pays ont ainsi été identifiées. L’ensemble de ces entreprises représentent 45% des émissions totales de l’UE.

Certaines entreprises vont émettre moins que le quota qui leur a été fixé, d’autres vont en émettre plus. Le marché ETS joue un rôle régulateur et fonctionne à l’offre et à la demande ; il permet à ceux dont les quotas sont excédentaires de les vendre à ceux qui en ont besoin, au prix du marché, fixé par la loi de l’offre et de la demande. A la fin de la période, les entreprises en infraction (qui auraient donc émis plus de CO2 qu’elles n’y étaient autorisées) seront sanctionnées par une amende.

Depuis son lancement en 2005, l’objectif du marché ETS est d’arriver à une réduction des émissions de CO2 de 21% en 2020, et 43% en 2030 pour l’ensemble des entreprises incluses dans le mécanisme.

Evolution soudaine

Les débuts du marché ETS ont été catastrophiques : absence de données sur les véritables émissions des entreprises assujetties, octroi de quotas trop généreux par rapport aux besoins réels, etc. Et la crise de 2008 n’a pas non plus facilité le démarrage du mécanisme puisqu’avec une activité industrielle au ralenti et une consommation en berne, la récession a entraîné un surplus de droits de polluer non utilisés, qui se sont retrouvés sur le marché sans contrepartie demanderesse.

En 2018, tirant les leçons de ses erreurs, l’Europe entreprend une profonde réforme du système ETS : baisse du plafond, généralisation du système des enchères, élargissement des secteurs concernés, etc. Mais rien n’y fait : les mesures n’ont toujours pas d’impact sur le prix du carbone.

L’Europe adopte alors la mise en place d’une réserve de stabilité. Ce mécanisme permet de moduler automatiquement la quantité de quotas mise aux enchères en fonction de la quantité de quotas en circulation, et de retirer un nombre significatif de quotas.  La réserve de stabilité va avoir pour effet d’absorber 2,3 milliards de quotas à l’horizon 2023.

Les résultats ne se sont pas fait attendre : depuis 2018, le prix de la tonne de CO2 grimpe, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Prix spot des émissions de CO2 en €/EEA (European Emission Allowance)

Qu’est-ce que cela change pour le citoyen ?

Si les effets d’une telle hausse de prix ne sont pas directement visibles, ils seront énormes à long terme.

Car une tonne de CO2 à 40 €, c’est une transition énergétique qui s’accélère enfin. Le gaz, comme source d’énergie, serait valorisé au détriment du charbon, et les énergies renouvelables ainsi que l’efficacité énergétique seraient également encouragées. De plus, il est probable que le prix de l’électricité augmenterait aussi, ce qui inciterait davantage aux économies d’énergie.

Le basculement annoncé entre gaz et charbon se fera principalement dans les 5 pays européens dotés d’un potentiel de substitution du charbon par le gaz : Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni. Rien qu’en Allemagne et en Espagne, c’est un potentiel de 88 TWh qui pourraient être produits par du gaz au lieu du charbon, avec, à la clé, une réduction de 44 millions de tonnes de CO2/an.

Un prix bas, c’est une entreprise polluante qui achète des quotas, sans se soucier de l’environnement. A contrario, un prix élevé, c’est une usine qui prendra des mesures pour réduire elle-même son impact carbone, l’achat de quotas sur le marché coûtant trop cher.

Et, dixit la Banque Mondiale, « donner un prix au carbone contribue à faire peser le poids des dommages sur ceux qui en sont responsables et qui sont donc aussi en mesure de les faire diminuer ».