Confrontée aux défis environnementaux de plus en plus pesants, et tenue d’apporter des solutions urgentes et durables à l’amenuisement inexorable de ses ressources en hydrocarbures, l’Algérie n’a plus le choix que de s’engager, sans plus attendre, sur la voie des énergies alternatives.

Avec un programme aussi ambitieux qu’utopique, les dirigeants algériens aspirent à aboutir à des niveaux inédits en matière d’efficacité énergétique dans des secteurs d’activité aussi divers que l’industrie, les transports, le bâtiment et l’automobile.

Rien de plus normal, à priori, pour un pays classé dans le top 20 des plus gros producteurs de pétrole et de gaz dans le monde et l’un des fournisseurs privilégiés de l’Europe. C’est pourquoi la conversion des véhicules au gaz de pétrole liquéfié (GPL) s’imposait d’elle-même.

Un marché qui présente des opportunités indéniables en Algérie, compte tenu d’abord de la disponibilité de la ressource et de ses avantages à la fois économiques et écologiques, sachant que les véhicules dotés de kit GPL émettent, en moyenne, 18 % de CO2 en moins au kilomètre et dix fois moins de particules fines, comparés aux véhicules roulant à l’essence.

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Le GPL cinq fois moins cher que l’essence

L’actuel gouvernement avait, dès octobre 2021, pris une série de mesures incitatives, avec comme objectif annoncé d’arriver, à court terme, à assister la conversion au GPL de quelque 150 000 véhicules, dont 50 000 taxis, par des subventions destinées à l’installation des kits. Trois mois plus tard, le ministre de la Transition énergétique et des énergies renouvelables et celui des Transports ont débloqué le budget nécessaire, via le Fonds national de l’efficacité énergétique des énergies renouvelables et la cogénération.

Ce budget est estimé à 5 milliards de dinars (32 millions d’euros). Le projet est piloté par une structure relevant du ministère de l’Énergie, l’Agence nationale de la promotion et la rationalisation de l’utilisation de l’énergie (APRUE), qui a vite fait de publier la liste des installateurs GPL retenus pour la réduction de 50% des prix des kits, la moitié des frais étant à la charge des automobilistes intéressés.

À ce titre, nous apprenons que 850 centres de conversion de kits GPL sont actuellement opérationnels à travers le pays, dont seulement 50 sont tenus par le distributeur public de carburant (Naftal). À souligner aussi que la quote-part revenant au particulier ou au chauffeur de taxi désirant passer au GPL varie entre 30 000 et 35 000 dinars (189 à 221 euros), selon la capacité du réservoir et la qualité des équipements.

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Le programme de conversion s’étalera sur une année et devrait servir de test pour les actions envisagées à court et à moyen termes, dans le cadre de l’abandon graduel des carburants conventionnels, en priorité pour les véhicules légers. Rappelons que le GPL, carburant composé de mélange de butane et de propane à des proportions normalisées, est distribué en Algérie depuis 1983 sous le nom commercial déposé « Sirghaz » (littéralement en arabe : marcher en gaz).

Grâce à une taxation avantageuse, le Sirghaz reste le carburant le moins cher du marché, puisqu’il ne coûte que 9 dinars (6 centimes d’euros/litre), alors que l’essence, par exemple, fait 5 fois plus. Selon la littérature que diffusent les organismes d’État en charge de ce dossier, dont principalement Naftal, une filiale de Sonatrach spécialisée dans la commercialisation des produits pétroliers, le GPL présenterait une autre source d’économie, selon laquelle la combustion de ce carburant ne laisserait aucun dépôt sur les moteurs, ce qui, en toute logique, rendrait l’entretien du véhicule roulant moins onéreux.

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Témoignages de mécaniciens

Cette affirmation est toutefois contredite par des mécaniciens que nous avons approchés dans le cadre de notre enquête. Particulièrement sceptique, Madjid, mécanicien expérimenté qui dirige un garage à Béjaïa (à 200 km d’Alger), n’hésite pas à dissuader ses clients de recourir à Sirghaz. « C’est vrai qu’un plein de GPL coûte cinq fois moins cher que l’essence, assène-t-il, mais cela a un prix. La durée de vie des moteurs est amoindrie. Il faut y ajouter que le véhicule, surtout la petite cylindrée, perd de sa puissance. »

D’autres mécaniciens interrogés soutiennent que si l’utilisation de la bicarburation essence-GPL a de nombreux avantages, cette conversion n’en est pas moins handicapante. Confronté quotidiennement à différents cas, Saadi nous explique : « D’abord, l’adaptation du moteur reste trop chère, même avec la contribution de l’État. » Notre interlocuteur confirme que l’usage du GPL a des effets indésirables sur la puissance maximale du moteur. « Quasiment imperceptible sur les modèles de forte puissance, cette perte est plus remarquable sur les véhicules essence de faible puissance », souligne le mécanicien.

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Autre obstacle qui se pose aux usagers du GPL : le stockage du carburant sous pression impose l’utilisation de pompes et de pistolets spécifiques. Exemple : en cas de panne de carburant, il est inutile de penser à remplir un jerrican de GPL pour se dépanner. Il faut remorquer la voiture jusqu’à la station. De plus, un adaptateur est souvent nécessaire pour se fournir en GPL à l’étranger, parce que chaque pays dispose d’un système différent.

Enfin, les professionnels choisissent de placer le réservoir GPL dans le coffre des véhicules, chose qui en réduit considérablement le volume. Il faut bien noter, ici, que l’Algérie n’importe pas encore de véhicules roulant exclusivement en GPL, dont on sait qu’à l’achat, comme c’est le cas partout dans le monde, ils coûtent nettement plus chers.

1,5 million de véhicules GPL d’ici 2030 en Algérie

Un autre inconvénient de taille relevé par les automobilistes réticents : le nombre de stations-services est loin de répondre à la demande. Sur les 3 000 qui existent dans le pays, seules 800 disposent de GPL.

Tous ces aléas n’empêchent pas les Algériens de se ruer vers le GPL. Djamel, taxieur des longs trajets, estime qu’« il n’y a rien de mieux » pour les usagers de la route : chauffeurs de taxi, livreurs, déménageurs… Il affirme avoir amorti l’installation du kit en moins d’un an de travail, alors qu’il n’a, dit-il, bénéficié d’aucune aide de l’État.

Dans le camp des partisans du GPL, le patron d’une boîte spécialisée dans l’installation des kits GPL se veut rassurant : « Avec un équipement de qualité, installé par un professionnel, et un entretien périodique, les automobilistes roulant en GPL peuvent être tranquilles par rapport aux pannes. Ils ont aussi l’avantage de pouvoir faire des économies sur leur consommation en carburant, en plus d’être exonérés du paiement de la vignette annuelle qui taxe la pollution. » Celle-ci varie entre 500 dinars (3,15 euros), pour les voitures touristiques, et 10 000 dinars (63 euros), pour les véhicules utilitaires.

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Selon les chiffres du ministère de la Transition énergétique et des énergies renouvelables, il existe actuellement en Algérie 600 000 véhicules roulant au GPL. L’objectif fixé est d’atteindre 1,5 million d’ici 2030. Pour cela, 700 nouveaux centres de conversion ont été mis en place durant ces dernières années, ce qui a permis la création d’environ 2 000 postes d’emplois directs.

En plus, ce programme permettrait, selon Naftal, la réduction de l’importation de près de 200 000 tonnes de carburants par an et d’améliorer le taux de conversion du parc administratif qui avoisine actuellement 32%. Toujours selon la même source, la conversion au GPL de 1,5 million de véhicules d’ici 2030 permettrait d’économiser pas moins de 5 milliards de dollars.

Dual-fuel et gaz naturel GNC : deux nouvelles options à explorer

L’Algérie est, aujourd’hui, en train d’étudier la possibilité d’intégrer la conversion Dual-fuel (gazole-GPL) notamment pour les véhicules diesel industriels : bus, camions et tracteurs routiers. Ainsi, Naftal, en partenariat avec une entreprise polonaise, a jusqu’ici réussi la conversion de trois véhicules à l’échelle pilote. L’expérience a permis une économie de gazole d’environ 30%, un taux considéré comme encourageant pour entrevoir l’élargissement de la conversion à d’autres véhicules de type industriel.

Parallèlement, le pays est tenté par un autre type de conversion : celle du gaz naturel compressé (GNC) qui présente un avantage plus écologique, avec moins de 25% d’émissions que les véhicules à essence. Or, un sérieux problème se pose a priori : celui lié à l’absence de réglementation en la matière.

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