Pour la première fois, une fusion nucléaire conduite au sein d’un réacteur a généré plus d’énergie qu’elle n’en a consommé. Un pas de géant réalisé par le National Ignition Facility du laboratoire Livemore aux Etats-Unis. Les recherches sur ce mode de production d’électricité bas-carbone doivent aboutir au lancement des premières centrales à fusion à la fin du siècle.

Tous les modes de production d’électricité ont leurs inconvénients : l’éolien et le solaire sont aléatoires, consomment de l’espace et des ressources lors de leur construction. L’hydroélectricité condamne de vastes espaces naturels et perturbe fortement les écosystèmes. Les énergies fossiles sont catastrophiques pour le climat et la qualité de l’air. La fission nucléaire impose de la stabilité politique, nécessite l’extraction d’uranium dont les volumes ne sont pas infinis et produit des quantités significatives de déchets radioactifs.

Existe-t-il alors une énergie « idéale », capable de produire de l’électricité partout sur Terre en émettant très peu de gaz à effet de serre, de déchets et polluants, quasi illimitée et sûre en toute circonstance ? Selon certains scientifiques, cette énergie serait la fusion nucléaire.

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La fusion, bien plus complexe que la fission

Contrairement à la fission, qui exploite l’énergie générée par la dislocation de l’atome, la fusion récupère l’énergie issue de la création d’un atome lourd à partir de deux atomes plus légers. Démarrer une fission nucléaire est peu énergivore, relativement simple à réaliser et à maîtriser. Elle consiste à bombarder de neutrons des atomes et de contrôler la réaction en chaîne qui en suit. C’est le principe exploité de nos jours dans les centrales nucléaires.

À l’inverse, la fusion nucléaire est nettement plus complexe. Fusionner deux atomes nécessite de gigantesques quantités d’énergie. Il s’agit de recréer les conditions retrouvées au cœur des étoiles, comme notre soleil, où la température atteint 15 millions de degrés sous une pression phénoménale. La réaction ne s’auto-entretient pas et ne peut donc pas s’emballer. Elle génère seulement quelques déchets faiblement radioactifs et l’un des « combustibles », le deuterium, extrait de l’eau, est abondant. Le tritium quant à lui doit être synthétisé.

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Laser, micro-ondes : il existe plusieurs méthodes pour lancer une fusion nucléaire dans un réacteur. Dans tous les cas, l’objectif est de porter à très haute température des atomes de deutérium et tritium, deux isotopes de l’hydrogène. Sous pression, ils fusionnent en créant un atome d’hélium et en libérant une gigantesque quantité d’énergie sous forme de chaleur.

L’exploit du laboratoire Lawrence Livemore

Les réactions de fusion nucléaire réalisées dans des réacteurs expérimentaux n’étaient jusque-là jamais parvenues à produire davantage d’énergie qu’il n’en fallait pour la démarrer. Le plafond vient d’être en partie crevé par le réacteur du National Ignition Facility, installé dans le laboratoire Lawrence Livemore en Californie.

Le 5 décembre, « l’énergie de fusion libérée a été plus élevée que l’énergie consommée par le laser sur la cible en passant le seuil de l’ignition » assure l’U.S Departement of Energy. Concrètement, l’opération consistait à bombarder avec 192 puissants faisceaux laser une capsule de quelques millimètres de diamètre contenant du deutérium et tritium.

Les 2,05 mégajoules (569 Wh) d’énergie dépensée par le laser ont produit 3,15 mégajoules (875 Wh), assure le laboratoire. Expérience oblige, il s’agit de très faibles quantités d’énergie. Les 306 Wh « nets » générés équivalent à la consommation d’un sèche-cheveux sur une dizaine de minutes.

Illustration de l’expérience / Lawrence Livemore National Laboratory.

De nombreux défis restent à relever

Si l’avancée est considérable, elle ne permet toujours pas d’envisager à brève échéance une exploitation commerciale de la fusion nucléaire. Selon des chercheurs du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) interrogés par Libération « pour que le laser concentre deux mégajoules [0,55 kWh, NDLR], il faut lui apporter environ 300 mégajoules [83,3 kWh] d’énergie électrique ». Globalement, la fusion est toujours plus consommatrice que génératrice d’énergie.

D’autre part, l’expérience ne visait pas à obtenir une réaction continue compatible avec la production d’électricité. La fusion a consisté en une brève impulsion, les lasers ne pouvant délivrer autant d’énergie sur une longue durée. Il reste donc un long chemin à parcourir avant de parvenir à produire de l’électricité en continu à partir d’une réaction de fusion nucléaire.

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Les prochaines étapes majeures pourraient être franchies par le projet ITER basé à Cadarache en France. Ce futur réacteur expérimental vise à créer et entretenir une réaction de fusion nucléaire via une toute autre technique : le tokamak. Il s’agit de créer plasma à partir d’un intense rayonnement micro-ondes et d’en récupérer davantage d’énergie que ce qu’il a été nécessaire pour l’obtenir. Actuellement en construction, le réacteur doit produire son premier plasma en décembre 2025.

Selon le résultat des expériences, l’exploitation commerciale des premières centrales électriques à fusion nucléaire n’interviendrait pas avant 2080, selon la communauté scientifique. En attendant, l’humanité doit impérativement poursuivre le développement des énergies bas-carbone déjà maitrisées : la fission nucléaire, l’éolien, le solaire, l’hydroélectricité et la géothermie.