La plus grande centrale nucléaire d’Europe a fait l’objet de bombardements et d’attaques régulières. Depuis ce dimanche 11 septembre, le sixième et dernier réacteur en fonctionnement a été mis à l’arrêt. Quel en sera l’impact sur le quotidien des Ukrainiens ?

La centrale nucléaire de Zaporija est dotée de six réacteurs de 1 000 mégawatts (MW), ce qui en fait la plus grosse centrale électrique d’Europe, toutes énergies confondues. À titre de comparaison, la plus puissante centrale nucléaire du monde se trouve à Kashiwazaki au Japon et regroupe 7 réacteurs pour une puissance totale installée de 8 212 MW.

En temps de paix, la centrale de Zaporija produisait plus d’un cinquième de l’électricité ukrainienne. Le 4 mars dernier, les forces russes ont pris le contrôle de Zaporija, mais le personnel ukrainien a toutefois été maintenu en place afin d’assurer la continuité du fonctionnement de la centrale. Depuis cette date, le site a été la cible de plusieurs bombardements, dont Kiev et Moscou se rejettent la responsabilité.

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Déconnexions régulières au réseau national

Bien que les réacteurs n’aient pas été atteints jusqu’à ce jour, les attaques fréquentes aux abords du site alimentent les craintes de la communauté internationale, et agitent le spectre d’une catastrophe nucléaire majeure. Des frappes répétées ont récemment déclenché un incendie aux abords de la centrale et endommagé les lignes électriques.

Le 25 août, les quatre lignes électriques externes ont été coupées par les bombardements russes, et la centrale s’est trouvée totalement déconnectée du réseau national ukrainien, entraînant la mise à l’arrêt des six réacteurs. Les systèmes de sécurité du site ont toutefois fonctionné normalement, permettant au sixième réacteur de continuer à fonctionner.

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Mais, depuis le 11 septembre, l’unité numéro 6 de la centrale a été déconnectée du réseau électrique « afin d’assurer son refroidissement, l’état le plus sûr » selon l’opérateur ukrainien Energoatom. Ce réacteur était le seul à produire l’électricité nécessaire au refroidissement du combustible nucléaire et à assurer la sécurité du site.

Depuis lors, l’ensemble des systèmes de la centrale doivent s’appuyer sur des générateurs de secours fonctionnant au diesel. Vendredi 9 septembre, la ville voisine d’Enerhodar avait déjà subi une coupure totale d’eau et de courant. Une intensification des attaques sur des infrastructures de production d’électricité sont à craindre avec l’arrivée de l’hiver.

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Démilitariser la zone

Actuellement, plus de 500 soldats et 50 véhicules militaires russes sont basés sur le site de Zaporija. Face à la menace que constitue la présence russe, la communauté internationale a demandé à plusieurs reprises la mise en place d’une zone démilitarisée afin de sécuriser le site et éviter un accident nucléaire majeur.

Une mission d’inspection de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) a été envoyée sur place lundi 29 août. Rafael Mariano Grossi, directeur de l’AIEA, essaie d’obtenir un accord pour que des experts de l’agence puissent rester en permanence sur le site de Zaporija.

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À qui cela profite ?

La centrale nucléaire de Zaporija alimentait en électricité près de 4 millions de foyers, dont une partie se trouve dans les territoires occupés par la Russie. Les Russes n’ont a priori aucun intérêt à priver les ukrainiens de cette électricité, car ils en ont besoin pour alimenter les territoires qu’ils occupent.

Sauf que Moscou est accusée de vouloir couper la centrale aux ukrainiens pour rediriger l’électricité vers les régions occupées. De plus, cet imposant site nucléaire qui s’étale sur plus de 160 hectares, leur sert de bouclier militaire pour se protéger d’une éventuelle contre-offensive ukrainienne.

Comme l’explique Dmytro Orlov, maire d’Enerhodar (une ville de 50 000 habitants se trouvant à proximité immédiate de la centrale de Zaporija), « après l’avoir prise d’assaut le 4 mars, ils ont immédiatement installé des tanks et des dépôts de munitions à l’intérieur de la centrale, de manière à s’assurer que personne n’osera tirer. Ils s’y sentent à l’aise et prennent la population en otage ».

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Y a-t-il un risque de catastrophe nucléaire ?

Les six réacteurs de type VVER, construits entre 1985 et 1995, bénéficient d’une conception soviétique relativement solide. Selon Olivier Gupta, directeur général de l’Autorité de sûreté nucléaire et président de l’Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d’Europe de l’Ouest (Wenra), « la robustesse des murs et la redondance des systèmes de sûreté sont des facteurs favorables en cas de tirs sur les bâtiments abritant les réacteurs, mais jusqu’à un certain point ».

Les réacteurs sont protégés par une épaisseur de béton qui va jusqu’à 10 mètres, selon Leon Cizelj, président de la Société Européenne d’Energie Nucléaire. Les experts se veulent donc rassurants et affirment que les risques les plus importants de contamination concernent une zone se trouvant dans un rayon de 10 à 20 km autour de la centrale.

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Le danger d’une contamination radioactive est moins élevé pour le reste du continent, selon les experts. Le risque d’assister à une catastrophe de l’ampleur de Tchernobyl est très faible, les réacteurs VVER étant radicalement différents des réacteurs RBMK. Mais les réacteurs ne sont pas le seul point sensible de la centrale nucléaire de Zaporija.

Une défaillance du système de refroidissement pourrait mener à la fusion d’un réacteur, et contaminer une zone plus étendue, estimée à un rayon de 30 km autour de la centrale. Nettement moins protégées, les zones d’entreposage du combustible nucléaire usé suscitent également l’inquiétude. Touchés par une frappe, les colis de déchets, dont certains sont stockés à l’air libre, pourrait disperser des matériaux radioactifs dans l’environnement.

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