Après Fukushima en 2011, l’Allemagne a décrété la sortie du nucléaire à l’échéance 2022. Une décision fort critiquée, notamment en France, championne du monde du nucléaire. Nos cousins germains étaient accusés de remplacer le nucléaire par du charbon accroissant ainsi leurs émissions de CO2. Une « fake news » qui a toujours la vie dure. Conformément à l’accord du gouvernement de coalition, celui-ci a désigné ce 6 juin une commission chargée d’élaborer le calendrier de sortie du charbon.

L’Allemagne étant assise sur d’importantes réserves de charbon mais surtout de lignite[1] (appelée aussi houille brune), a depuis très longtemps misé sur ces combustibles fossiles bon marché pour assurer son approvisionnement énergétique et plus particulièrement sa production d’électricité.
Etant né au cours des années ’50 dans la Rheinisches Braunkohlerevier (le bassin rhénan de la lignite) je me souviens très bien de toutes ces centrales  électriques fumantes qui, depuis la fenêtre de ma chambre, barraient l’horizon. Et de ces fines particules de suie qui avaient le don d’exaspérer ma mère quand le vent les déposaient sur le linge qu’elle mettait à sécher dans notre jardin. Le recours massif à cette énergie polluante ne date certainement pas de la résolution prise en 2011 de sortir du nucléaire.

Est-il néanmoins vrai, comme l’affirment certains partisans du nucléaire ou adversaires des énergies renouvelables que cette décision a entraîné une hausse importante de la consommation de charbon en Allemagne et, par conséquent, de ses  émissions de CO2 ? Le graphique ci-dessous est éloquent …

 La courbe en noir additionne la part du charbon et du lignite. Il est flagrant que depuis 1990, leur contribution dans la production d’électricité ne fait que diminuer. Si on constate une légère augmentation après la décision de tourner le dos à l’atome en 2011, elle est principalement due au climat plus froid qui a sévit en 2014 et 2015. Après ajustement en fonction des températures, les émissions de CO2 sur ces deux années ont baissé de 2 %.
Quoi qu’il en soit, en 2016, l’Allemagne utilisait moins de charbon et de lignite qu’en 2011 et cette tendance se poursuit. Ceci s’explique notamment par la forte poussée des énergies renouvelables (principalement de l’éolien), dont la progression est désormais plus rapide que le déclin du nucléaire. De 2000 à 2016 celui-ci a vu sa part diminuer de moitié (passant de 30 à environ 15 % du mix), alors que celle des énergies « vertes » a plus que quadruplé (de 7 à 30 %).
Ces nouvelles capacités de production d’électricité verte ont permis de fermer 34 centrales au charbon entre 2011 et 2015. La dernière mine de charbon du bassin de la Ruhr sera fermée à la fin de cette année malgré les 50 millions de tonnes de houille qu’elle contient encore. D’ici 2019, onze autres centrales fonctionnant au lignite seront définitivement fermées.

La conclusion est limpide : l’arrêt du nucléaire n’a pas entraîné d’augmentation de l’usage du charbon en Allemagne. Ce qui a changé ? Le développement des énergies renouvelables dans le cadre de la transition énergétique soutenue par une majorité de la population. En seulement 5 ans, de 2011 à 2016, leur part dans le mix de production électrique est passée de 20 à 30 % !

Prochaine étape : la sortie du charbon

Malgré cet exploit, l’utilisation de charbon et de lignite en Allemagne reste importante voire préoccupante. Et il est vrai que cette dépendance est une des causes d’émissions de C02 parmi les plus importantes d’Europe. Certes, l’Allemagne les a réduites de 27 % par rapport à 1990. Mais une diminution de 40% en 2020, qui est l’objectif annoncé et communiqué à l’Europe, semble aujourd’hui hors de portée. Situation gênante pour nos voisins d’outre-Rhin qui misent tant sur leur transition énergétique.

Ces derniers temps, de plus en plus de voix, d’associations et d’ONG plaident ouvertement pour une 2e sortie, celle du charbon. Lors de leur dernier congrès, les Verts ont pris position en faveur de ce projet, « dans les 20 prochaines années », avec arrêt le plus rapidement possible des centrales considérées comme les plus polluantes. Le parti de la gauche radicale, Die Linke, a adopté la même position, bien que certaines sections locales soient plus mitigées, craignant les répercussions sur l’emploi.
Du côté des ONG, la section allemande de Greenpeace milite activement pour le stop au charbon et, comme à son habitude, mène des actions médiatiques. Les amis de la Terre plaident également pour que cette sortie s’opère avant 2030. Quant au WWF, il vise plutôt 2035, exigeant des arrêts réguliers de centrales s’échelonnant entre 2019 jusqu’à cette date.

Angela Merkel et son gouvernement de « grande coalition », issu d’un « mariage » entre les chrétiens-démocrates et les socialistes modérés du SPD, sont donc sous pression. Ayant constaté la difficulté si pas l’impossibilité d’atteindre l’objectif d’une réduction de 40 % en 2020, les deux partis ont d’abord annoncé vouloir le reporter. Mais cette volonté a déclenché en Allemagne un tollé parmi la société civile et les élus de tous bords.
L’accord de coalition avait prévu la nomination d’une commission spéciale chargée de programmer la sortie du charbon. Le gouvernement s’est donc ravisé et ce 6 juin elle a nommé les commissaires qui en feront partie. Composée de représentants politiques, économiques, syndicaux et d’organisations environnementales, cette commission devra rendre ses propositions d’ici octobre prochain pour assurer une transition en douceur. Ses conclusions alimenteront le parlement allemand, qui devra voter en 2019 une loi très attendue.

Selon les scientifiques et chercheurs, la sortie du charbon en Allemagne est faisable, et les énergies renouvelables sont prêtes à prendre le relai, comme elles l’ont fait pour le nucléaire. Reste à créer une véritable dynamique politique autour de ce projet !

[1] Le lignite est un type de charbon dit « de rang inférieur », caractérisé par une teneur en eau élevée et une teneur en carbone de 50 à 60% lui conférant un faible pouvoir calorifique. En Allemagne il est extrait dans d’immenses mines à ciel ouvert où il alimente des centrales électriques situées à proximité de ces mines pour réduire les coûts de transport.

Image de la transition : mine de lignite au premier plan, éoliennes à l’arrière