La stratégie bas-carbone française compte assez largement sur la biomasse pour répondre à nos besoins énergétiques à l’horizon 2050. Mais est-ce bien raisonnable ? Des experts de l’Académie des technologies et de l’Académie d’agriculture se sont posé la question. Et leurs conclusions pourraient bien ne pas plaire à tout le monde.
Amener notre système énergétique à émettre moins de dioxyde de carbone (CO2). C’est l’objectif de la transition en cours. Pour cela, plusieurs leviers sont à notre disposition. La recherche d’efficacité et la sobriété, d’abord. Elle fera baisser nos consommations et limitera ainsi la quantité d’énergie qu’il restera ensuite à produire à partir de sources décarbonées. Parmi elle, le nucléaire, le solaire, l’éolien ou encore l’hydroélectricité seront les premiers à assumer leur part. « Mais celle-ci ne sera pas encore suffisante », nous assure Dominique Vignon, membre du pôle énergie de l’Académie des technologies. Ne serait-ce que parce que tous les usages ne peuvent pas être électrifiés. Et le « terme de bouclage de nombreuses politiques énergétiques, c’est la biomasse. »
À lire aussiVisite au coeur d’une centrale à biomasse, qui produit de l’électricité en brûlant du boisRappelons que par biomasse, on entend l’ensemble de la matière vivante. Dans ce contexte-là, en l’occurrence, la matière organique qui peut être valorisée sous forme d’énergie. Elle peut venir de la forêt ou de l’agriculture, mais aussi de nos déchets. Elle entre donc assez clairement dans la catégorie très courue des énergies renouvelables. Du point de vue des technologies, il faut distinguer le cas de la biomasse solide de ceux de la biomasse liquide ou gazeuse. « La biomasse solide, l’humanité la brûle depuis des centaines de milliers d’années. Nous ne sommes pas là sur une technologie de pointe. En revanche, du côté de la biomasse liquide, il reste des progrès substantiels à faire. Et dans le domaine de la biomasse gazeuse, à côté de techniques connues comme la méthanisation, nous devrions bientôt assister à l’industrialisation de nouvelles technologies comme la pyrogazéification ou la gazéification hydrothermale. » De quoi complexifier un peu plus encore le paysage. « Lui faire gagner en degrés de liberté, si on veut être plus positif », commente Félix Boileve, polytechnicien et ingénieur des Mines, qui a contribué au rapport des deux Académies.
À lire aussiPour son appétit en bois, la plus puissante centrale à biomasse de France continue de susciter des inquiétudesLa France — comme la plupart des autres pays européens — compte assez largement sur la biomasse pour se substituer aux énergies fossiles. La Stratégie bas-carbone 2 (SNBC 2) plaçait sa contribution à hauteur de 430 térawattheures (TWh) sur un total de 1 150 TWh nécessaires chaque année à partir de 2050. Les travaux préparatoires de la SNBC 3 ont ramené la contribution de la biomasse à 305 TWh. Cela reste largement plus que les quelque 150 TWh produits aujourd’hui. Trop ? C’est la conclusion d’un rapport publié en ce début d’année 2025 par l’Académie des technologies et l’Académie d’agriculture. « Notre analyse montre qu’à l’échéance 2050, nous n’allons pas être en mesure de produire plus de 250 TWh de biomasse », précise Dominique Vignon. « Et ce, même en plaçant tous les critères d’optimisation — comme le recours à des cultures dites intermédiaires à vocation énergétique (Cive) — à leur maximum », assure Félix Boileve. Il devrait manquer au moins 50 TWh. Ce n’est pas rien.
Alors, il va falloir définir des priorités. Et c’est justement ce que propose le rapport « Quelles contributions attendre de la biomasse dans la transition énergétique ? ». « La tâche n’a pas été facile, car autour de la biomasse, les enjeux sont nombreux », nous explique Félix Boileve. « La question que nous avons choisi de poser, c’est : “comment pouvons-nous décarboner le plus proprement possible — comprenez, en minimisant les pollutions, les impacts sur l’eau, etc. — et à moindre coût pour la société ?” L’objectif semble simple, mais demeure ambitieux. Nos résultats ont au minimum le mérite de fournir une base de discussion solide. »
Ainsi, l’exemple du chauffage. « Sur le long terme, le chauffage par pompe à chaleur n’est pas plus cher que par un poêle à pellets ou même une chaudière au biogaz », assure Félix Boileve. « La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) prévoit un triplement des réseaux de chaleur entre 2022 et 2035. C’est aberrant. Parce que nous n’aurons pas suffisamment de biomasse pour ça. Et la biomasse dont nous disposerons, nous en aurons besoin pour d’autres usages. Le biogaz serait bien mieux utilisé par les industries dont les process consomment aujourd’hui encore beaucoup de gaz fossile. Celles qui sont déjà équipées pour ça. Les centrales à gaz dont le réseau a besoin pour produire l’électricité de pointe sont indispensables ; elles peuvent instantanément être converties au biogaz. Du côté de la biomasse solide, nous devrions cesser de faire croître — et avec un peu de courage politique, même réduire — ses usages chaleur, notamment ceux de la biomasse forestière. Elle a d’autres usages à bien meilleure valeur ajoutée », plaide Dominique Vignon, s’appuyant sur les conclusions du rapport.
À lire aussiLes 3 centrales à biomasse les plus puissantes du mondeComme mentionné plus haut, il existe des quantités non négligeables d’usages qui ne sont pas électrifiables. De manière plus générale, la biomasse a aussi beaucoup d’autres usages — y compris certains qui sont difficilement quantifiables comme la biodiversité, les loisirs, les paysages, etc. — que les seuls usages énergétiques. En Europe, nous sommes d’ailleurs soumis à un certain nombre de contraintes à ce sujet. Le principe de l’utilisation en cascade demande d’affecter la biomasse prioritairement à l’alimentation, qu’elle soit humaine ou animale. Ensuite, c’est le stockage du carbone sur le long terme qu’il convient de privilégier. Avec des arbres que l’on peut transformer en charpentes ou en meubles, par exemple.
D’autres pays sont moins regardants. « Le Brésil et des pays d’Asie du Sud-Est produisent en quantité de l’huile de palme qui peut être transformée en diesel. Mais cela se fait au détriment des forêts. On coupe des arbres qui stockent beaucoup de CO2 et pour longtemps pour planter des cultures qui en stockent beaucoup moins et beaucoup moins longtemps. Si en France, et en Europe en général, nous continuons à autant miser sur la biomasse pour boucler la boucle, nous devrons en importer de ces pays. Avec les questions de nouvelles dépendances énergétiques et de respect des normes environnementales que cela soulèvera », remarque Dominique Vignon.
À lire aussiBiomasse : le pognon de dingue dépensé par l’État pour relancer la centrale de GardanneMême si l’Europe exige que les pays desquels nous pourrions importer de la biomasse respectent ses critères. « Tout le monde n’est pas si honnête. La Chine, par exemple, collecte les huiles de cuisson de tous ses restaurants. Mais cela ne suffit toujours pas à répondre à la demande qui augmente. Parce qu’avec de l’huile de cuisson, on peut faire du biodiesel. Et comme il est strictement interdit par l’Europe d’en produire à partir d’huile de palme vierge, la Chine a trouvé une astuce. Elle utilise de l’huile de palme pour un bain de frites et elle cherche ensuite à l’exporter ». Cette huile pourrait finalement être exploitée sous forme de biocarburant, par exemple, dans la centrale électrique de Viazzo, en Corse. Centrale dont le coût du kilowatt (kW), par ailleurs, est estimé à… 8 000 euros ! Peut-être parce que la centrale est modeste. Mais cela n’en demeure pas moins « du niveau de Flamanville ».
Et cet exemple n’est pas le seul à poser question. Celui de la centrale de Gardanne est également édifiant. « Notre rapport démontre que c’est une aberration de brûler de la biomasse forestière pour produire de l’électricité », rappelle Félix Boileve. « Il est et restera impossible d’alimenter cette centrale seulement avec du bois français, encore moins local. C’est l’exemple presque parfait de la fausse route, même si les enjeux d’emploi dans la région sont évidemment à prendre en compte. »
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