Depuis le mois de mars dernier, la baisse spectaculaire de la consommation d’électricité liée au coronavirus a entraîné une surabondance d’électricité nucléaire sur le marché belge. Cette offre excédentaire a obligé certains opérateurs d’éoliennes à mettre leurs parcs à l’arrêt. Une situation ubuesque face à la nécessité de développer les énergies renouvelables.

Depuis six semaines, les opérateurs belges de parcs éoliens – onshore et offshore – doivent faire face à un malheureux concours de circonstance : la demande d’électricité a chuté de 15 à 20% à cause du confinement, et la production renouvelable est en nette hausse grâce aux conditions météorologiques exceptionnelles. Résultat : les prix du marché de gros de l’électricité atteignent des valeurs négatives (jusqu’à -115,31 € le mégawattheure), alors que les centrales nucléaires continuent à tourner à plein régime.

L’équilibre du marché avant tout

ELIA, le gestionnaire belge du réseau de transport, doit équilibrer à tout moment la quantité d’électricité produite et la consommation. Pour ce faire, il agit à travers les BRP (Balance Responsible Parties) chargé d’assurer cet équilibre. Mais, en tant que leader du marché, Engie-Electrabel, l’exploitant des centrales nucléaires en Belgique, est également le BRP de plusieurs parcs éoliens. Le producteur et fournisseur ENECO a ainsi vu une partie de ses 104 éoliennes mise à l’arrêt. Selon Annemie Vermeylen, secrétaire générale de la BOP (Belgian Offshore Platform, l’association représentant les propriétaires des parcs éoliens offshore en Mer du Nord), les opérateurs ont perdu entre 4,65 et 17,5% de leur production sur une période de six semaines. L’arrêt des turbines s’est étalé sur 51 heures au total pendant cette période, dont 13 heures d’affilée le lundi de Pâques.

L’ensemble des parcs offshore belges, qui totalisent aujourd’hui une puissance installée de 2042 MW, ont vu le quart de leur capacité (500 MW) faire l’objet d’un ajustement régulier. Tandis que le lundi de Pâques, ce ne sont pas moins de 900 MW qui ont été temporairement mis à l’arrêt.

Ce qui fâche ENECO, c’est le bridage des capacités de production renouvelable, en lieu et place de la baisse de puissance des réacteurs nucléaires d’Engie-Electrabel.

Une production d’électricité excédentaire en Belgique ?

La CREG (Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz à la Chambre) a été saisie de la question. Engie-Electrabel se défend de n’avoir pas modulé ses réacteurs nucléaires. « Si nous avions pu moduler, nous l’aurions fait. Et nous l’avons déjà souvent fait », explique Vincent Verbeke, responsable de la gestion de portefeuille chez Engie.

L’explication est plutôt technique. Les unités dotées de la plus grande capacité de modulation, Doel 4 et Tihange 3, sont actuellement en fin de cycle et vont devoir être mises à l’arrêt pour être rechargées en combustible. Or les faibles concentrations en bore disponible avant un rechargement ne permettrait pas de moduler la puissance de ces réacteurs. Le bore, qui est un absorbeur de neutron, est en effet utilisé pour moduler la puissance des réacteurs.

Par ailleurs, Andreas Tirez, directeur des opération techniques de la CREG, a déclaré, après avoir consulté l’AFCN (Agence fédérale de contrôle nucléaire), qu’il n’y avait « aucune indication que les règles de marché n’ont pas été suivies ».

Toutefois les opérateurs de parcs offshore dénoncent une absence visible de volonté de mettre à l’arrêt les centrales nucléaires pour éviter une production excessive. Selon Jean-Jacques Delmée, CEO d’ENECO, les énergies renouvelables auraient pu répondre à la moitié de nos besoins en électricité, grâce aux conditions météorologiques exceptionnelles que nous connaissons depuis six semaines. C’est une situation « en contradiction avec la transition énergétique. Les centrales nucléaires non flexibles y font obstacle », estime Annemie Vermeylen.

Il n’en reste pas moins que les épisodes de prix négatifs risquent de se multiplier à l’avenir avec la montée en puissance des capacités renouvelables. Ce qui ramène le débat à l’épineuse question de la sortie du nucléaire, programmée en Belgique entre 2022 et 2025, alors que les mécanismes qui permettront de financer la construction et l’exploitation de centrales d’appoint au gaz ne sont pas encore au point.