Nous vivons une époque marquée par de nombreuses transformations du paysage énergétique, modifications portées par des enjeux environnementaux comme par des contraintes de souveraineté. Parmi elles, la place du nucléaire dans la stratégie de l’État Français a été l’occasion de nombreuses annonces et débats, qui ont régulièrement alimenté nos titres. Voici les dernières évolutions.

1 – La victoire dans la rude bataille sur la taxonomie verte

L’Union européenne a défini une classification des technologies identifiées comme durables sur le plan environnemental. Cette démarche, appelée la « taxonomie verte », est lancée en 2018 et elle vise à orienter les investissements. La place du nucléaire au sein de cette taxonomie a été âprement débattue au Parlement Européen, et a été l’occasion d’un intense débat entre « pro- » et « anti- » nucléaires. Une motion visant à exclure le nucléaire des technologies propres avait été rejetée le 6 juillet 2022. Et c’est finalement depuis le 1ᵉʳ janvier 2023 que le nucléaire est formellement intégré dans la taxonomie verte.

2 – Le virage à 180° dans la stratégie nationale pour le nouveau nucléaire

La politique énergétique de l’État français vis-à-vis de l’énergie nucléaire était auparavant orientée par l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique. Cet objectif était entré dans la loi le 17 août 2015, avec une cible pour 2025, laquelle a été reportée à 2035 par la loi énergie climat du 8 novembre 2019.

La loi du 22 juin 2023, « relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes » a conduit à renverser cet objectif. La loi permet dorénavant de promouvoir l’énergie nucléaire, tout en simplifiant les procédures, et ce, pour une durée de 20 ans. Le texte était également l’occasion d’introduire une présomption de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) en ce qui concerne le nouveau nucléaire, d’une façon similaire à ce qui avait été fait pour certains projets d’énergies renouvelables par la loi du 10 mars 2023.

3 – L’émergence d’une multitude de nouveaux projets nucléaires

C’était en mai 2021. À la suite de la Programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2028, EDF remettait à l’État son projet de construction de trois nouveaux réacteurs EPR 2. Cette proposition a été actée par Emmanuel Macron le 10 février 2022 à Belfort. De façon plus précise, ce projet consiste en trois paires de réacteurs, qui seront construites dans trois centrales déjà existantes : Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) et Bugey (Ain). L’achèvement des travaux reste toutefois lointain, puisque dans le meilleur des cas, la mise en service des réacteur est prévue, respectivement, pour 2035, 2038 et 2042. Le montant global de l’investissement connaît par ailleurs d’importantes hausses.

Une autre conséquence de ce nouvel élan vers le nucléaire est l’ouverture du marché aux petits réacteurs modulaires (SMR), laquelle a conduit à la création d’une multitude de nouveaux projets. Citons par exemple le projet Nuward, mené par EDF, la startup Jimmy qui devrait implanter son usine au Creusot, Newcleo qui conçoit des réacteurs rapides au caloporteur plomb, envisagés notamment pour le transport maritime de marchandises, le projet Calogena du groupe Gorgé pour le chauffage urbain, une longue liste de projets, en somme, qu’il serait trop long de citer ici de manière exhaustive.

Citons également la première réintroduction d’uranium de retraitement dans une centrale française. Le réacteur n°2 de la centrale de Cruas-Meysse a en effet démarré fin février 2024 avec une recharge de ce type. La filière avait été suspendue en 2013, depuis 10 ans donc, laissant planer des doutes sur l’effectivité de ce mode de recyclage d’une partie des déchets nucléaires.

4 – Un nouveau prix pour l’électricité nucléaire

Le prix d’achat de l’électricité du nucléaire historique par les fournisseurs alternatifs à EDF est établi par le dispositif ARENH, mis en place en 2012. Le montant avait été fixé à 42 €/MWh, et il avait fait l’objet de vives critiques, notamment par EDF qui l’estimait trop bas pour permettre l’entretien des centrales et le financement de nouveaux projets. Après d’âpres négociations, c’est un prix de 70 €/MWh pour 2026 qui avait annoncé par le gouvernement français en novembre 2023, assorti de nombreuses clauses permettant de moduler ce montant.

Il n’est pas tout à fait certain que ce chiffre soit définitif, car définir un prix est difficile dans un contexte où le marché de l’électricité, et plus généralement de l’énergie, connaît de très fortes variations, notamment dans le cadre du marché européen de l’électricité. Les raisons sont nombreuses, effectivement : sanctions prises contre la Russie, variations du prix des hydrocarbures, variation de la demande et productions intermittentes d’énergie renouvelables. Ainsi, en avril 2024, EDF avait dû arrêter cinq réacteurs nucléaires pour faire face à des prix négatifs.

Le financement du nouveau nucléaire fait l’objet par ailleurs de nombreuses propositions. Nous avions évoqué notamment la possibilité de l’ouverture par les pouvoirs publics d’un livret d’épargne nucléaire, sur le modèle du livret A.

5 – La grande mutation des organismes de contrôle du nucléaire

Ces transformations n’épargnent pas les acteurs du nucléaire eux-mêmes. Citons tout d’abord la prise de contrôle à 100 % d’EDF par l’État, effective le 8 juin 2023, et qui n’était pas sans rappeler les nationalisations du secteur en 1946, à l’initiative du Général de Gaulle. La structure de l’actionnariat n’a pas radicalement changé, car l’État détenait déjà 95,94 % du capital d’EDF au 28 février 2023. Il préfigure toutefois l’action des pouvoirs publics pour la construction du futur parc nucléaire, et ravive les craintes de démantèlement du groupe : le plan Hercule reste en effet dans les mémoires.

Nous avons également pu observer la fusion de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ce projet de réforme avait été annoncé initialement par le gouvernement en février 2023. Vivement critiqué, il s’est toutefois soldé par une décision définitive par la loi du 21 mai 2024 relative à « Loi du 21 mai 2024 relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire ».

L’ensemble de ces changements permettront-ils à la France de répondre aux enjeux environnementaux, tout en tirant son épingle du jeu dans un contexte particulièrement dur au niveau géostratégique ? Bien difficile à prédire !