Les énergies marines sont particulièrement intéressantes pour les villes côtières, car elles peuvent se chauffer et se climatiser au moyen de pompes à chaleur utilisant l’eau de mer comme ressource principale. La plus grande pompe à chaleur maritime du monde, située à Esbjerg au Danemark, fournit non seulement du chauffage urbain, mais permet aussi de compenser l’intermittence des énergies renouvelables.

La mer des Wadden est une zone côtière fermée en pointillés par les îles de la Frise, et s’étendant depuis les Pays-Bas jusqu’à Esbjerg au Danemark, en longeant la côte allemande. Sa géographie créée une zone intermédiaire entre la terre et à la mer, rythmée par les marées, et créant un habitat exceptionnel, peuplé d’une faune et d’une flore très diversifiées. Cet environnement remarquable a été reconnu comme réserve naturelle depuis 1990 et, plus récemment, certains sites ont été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2009.

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Située au nord de la mer des Wadden, la ville portuaire d’Esbjerg au Danemark est le plus grand port du pays donnant sur la mer du Nord. La ville s’est fixée pour objectif d’atteindre le Net Zéro d’ici à 2030. Kenneth Jørgensen, responsable de projet à la compagnie d’électricité danoise DIN Forsyning, a déclaré vouloir éliminer « progressivement les centrales thermiques au charbon et [les remplacer] par un chauffage urbain neutre en carbone, produit à partir de l’énergie éolienne et de l’eau de mer. »

C’est cette mer qui a contribué à la prospérité d’Esbjerg pendant des siècles, d’abord par la pêche, puis par le gaz et le pétrole. Et c’est cette même ressource qui va permettre de décarboner la production d’énergie. Elle va en effet être utilisée comme source froide pour alimenter les deux plus grandes pompes à chaleur maritimes du monde.

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Un record de puissance pour ces pompes à chaleur au CO₂ supercritique

Les deux pompes à chaleur ont été conçues et fabriquées par le fabricant de moteurs allemand MAN Energy Solutions. D’une puissance en chauffage de 60 MWth (mégawatts thermiques), le système produira annuellement 280 GWhth de chaleur, qui sera injectée dans le réseau de chaleur urbain existant. Elles remplaceront une centrale au charbon et un incinérateur qui alimentaient auparavant le réseau de chaleur. Cette énergie permettra ainsi de chauffer 25 000 foyers, tout en évitant le rejet de 120 000 tonnes de CO₂ annuellement.

Le système a été installé sur un quai du port d’Esbjerg, à proximité de l’eau de mer. Ce sont ainsi 4 000 litres d’eau qui vont être pompés, pour en extraire une part de l’énergie thermique, avant d’être rejetés dans la mer.

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Le choix du fluide de travail a été contraint par la localisation du système à proximité du parc naturel de la mer des Wadden. Il était en effet nécessaire d’utiliser un fluide non toxique et sans danger, et donc la capacité calorifique restait élevée. Comme l’indique Kenneth Jørgensen, trois alternatives ont été considérées : « L’un d’entre eux était l’ammoniac, le deuxième un réfrigérant synthétique et le dernier le CO₂, qui est un réfrigérant naturel. Lorsqu’il s’est agi de prendre en compte tous les avantages, en particulier du point de vue de l’environnement, le CO₂ a été préféré. C’est un élément naturel de la nature. Et s’il fuyait, il irait simplement dans le cycle du carbone de la mer. »

Tuyauterie d’alimentation du chauffage urbain / Image : Sebastian Vollmert, MAN Energy Solution.

Le cycle thermodynamique utilise donc le CO₂ comme fluide de travail, sur la base de deux boucles fermées. La première utilise l’eau de mer pour vaporiser le CO₂ à l’état liquide, produisant du CO₂ gazeux qui sera ensuite comprimé par le « compresseur HOFIM » jusqu’à être liquéfié et retourner à l’échangeur en contact avec l’eau de mer. L’autre boucle fait travailler du CO₂ à l’état supercritique au travers du même compresseur HOFIM, lequel atteint des pressions jusqu’à 150 bar et permet de fournir de la chaleur jusqu’à 90° C.

Compatible avec les énergies intermittentes

MAN fournit quelques données sur la performance du système. Par exemple, dans un cas où, en hiver, l’eau du port serait à 4 °C, et que la température de fourniture du réseau est fixée à 70° C, le coefficient de performance (COP) s’élèverait à 3,3 et la puissance électrique absorbée serait de 18,4 MWe (mégawatts électriques).

Vue extérieure du système de pompes à chaleur d’Esbjerg / Image : Sebastian Vollmert, MAN Energy Solution.

L’énergéticien prévoit d’alimenter le système par de l’énergie solaire ou éolienne, et notamment depuis des parcs éoliens offshores situés à proximités. Ce sont des sources intermittentes, mais le système de pompes à chaleur a été justement pensé pour s’y adapter. Par exemple, le moteur du compresseur a été conçu spécifiquement pour tolérer les fortes variations de puissance nécessaires au suivi de charge ; ainsi la puissance peut augmenter de 12 MWe en 30 secondes. Par ailleurs, le système prévoit des moyens de stockage de chaleur, permettant au chauffage de fonctionner lors des périodes d’excédent de production éolienne ou solaire. Notons toutefois que la technologie et la capacité de stockage ne sont pas précisés.

Comme l’explique Kenneth Jørgensen, l’installation d’Esbjerg fournit ainsi un service supplémentaire à celui d’un simple chauffage : « Les éoliennes et l’énergie solaire peuvent modifier leur production très rapidement. Quelqu’un doit donc équilibrer le réseau, et il était très important pour nous de pouvoir fournir un service d’équilibrage au réseau. Le système de pompe à chaleur peut en fait modifier sa consommation électrique. Nous pouvons vendre cela au réseau en tant que service pour l’intégration d’autres énergies renouvelables. Nous pouvons donc aider les opérateurs de réseaux à fournir de meilleurs services électriques, tout en offrant à nos clients un chauffage propre et bon marché. »

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