Le passage de la tempête Ciaran, début novembre, a mis le réseau électrique à rude épreuve, causant, par endroit, des dégâts trois fois plus importants que lors de la célèbre tempête de 1999, selon Enedis. Résultat : plus d’un million de foyers sans électricité au lendemain de la tempête, et quelques milliers toujours déconnectés du réseau plus de deux semaines après la tempête. De quoi tirer des enseignements pour l’avenir énergétique de la France ? L’un de nos journalistes, touché par la coupure, raconte.

Météo France nous avait prévenus : la nuit du 1ᵉʳ au 2 novembre allait être mouvementée, même au fin fond des Côtes-d’Armor, où nous habitons. Pas de quoi nous empêcher de dormir, mais tout de même : les rafales de vent, pouvant atteindre 120 km/h (plus de 200 km/h dans le Finistère), font siffler les volets pendant toute la nuit.

Au réveil, la situation se complique : la lampe de chevet ne s’allume pas, les volets électriques restent clos. Dehors, les routes sont couvertes de feuilles et de branches cassées, et plusieurs arbres ont fini par céder sous les assauts incessants du vent. Sans le savoir, nous voilà embarqués dans un marathon de plusieurs jours sans électricité.

Pour le moment, pas de quoi nous inquiéter : la coupure de courant nous paraît être la suite logique de l’agitation de la nuit, le courant devrait vite être rétabli. Avec sa capacité de 720 Wh, notre batterie portable (Ecoflow River Pro) nous permet de tenir avec un peu plus de confort que prévu, et nous comptons prolonger l’autonomie de notre congélateur en le branchant pendant quelques heures. Mais nous pêchons par gourmandise : l’appel du café, bien trop fort, nous pousse à utiliser la batterie pour faire chauffer la bouilloire. Résultat, les 600 W de puissance, temporairement portés à 1 200 W en mode Boost, ne suffisent pas. Un petit Overload (surcharge) s’affiche, en bas à droite de l’écran, puis la batterie s’éteint. Retour à zéro.

Si les prises 230 V de la batterie ont rendu l’âme, nous pouvons toujours utiliser les ports USB pour recharger smartphones et ordinateurs / Image : Kevin Champeau.

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Jour 2 : la résistance s’organise

Au matin du deuxième jour, l’ambiance a changé. Sans électricité, nous risquons de perdre tout le contenu du congélateur, et, sans plaque de cuisson au gaz, nous ne pouvons toujours pas nous faire à manger. Alors après la patience, place à l’action : nous appelons à la hâte les magasins de bricolage les plus proches en quête d’un groupe électrogène. Après trois ruptures de stock, le miracle a lieu. Il s’appelle Zeus, nom de ce groupe de 2 700 W affiché à 400 euros en magasin. Il n’a de divin que le nom, mais devrait nous dépanner pendant quelques heures, voire quelques jours. Le temps est compté, je file le récupérer.

Nous célébrons cette nouvelle arrivée avec nos voisins devenus nos compagnons de galère et profitons ensemble d’un bon café chaud. Nous rassemblons toutes nos denrées dans un même congélateur en espérant pouvoir les conserver

Le groupe électrogène de 2 700 W acheté 400 euros / Images : Kevin Champeau.

À chacun ses difficultés

Sommes-nous libres et égaux ? En temps normal, peut-être, mais en cas de coupure de courant, non. Le monde se divise alors en plusieurs catégories : ceux qui ont un chauffage au bois, ceux qui ont des plaques de cuisson au gaz et ceux qui sont 100 % électriques. Pour les premiers, c’est notre cas, le poêle nous servira de réconfort pendant que la deuxième catégorie pourra cuisiner presque normalement. C’est pour les 100 % électriques que le temps paraîtra le plus long. De notre côté, le groupe électrogène n’est pas assez puissant pour alimenter nos plaques vitrocéramiques, mais permet tout de même de faire fonctionner la bouilloire, le micro-ondes et des lampes.

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Retour à la normale

Malgré des promesses quotidiennes de retour à la normale, des interventions d’envergure sur les lignes à haute tension touchées concentrent toute l’attention d’Enedis, contraint d’établir des priorités parmi les priorités. Nombre d’entre nous essaient d’avoir des informations sur l’état des lignes, mais les serveurs saturés ont systématiquement raison de ces vaines tentatives. Finalement, le courant reviendra le mardi 7 novembre vers midi, après plus de 5 jours sans électricité.

Le groupe électrogène, un coûteux mais irremplaçable allié

Après ces quelques jours de débrouille, place au bilan, et aux enseignements tirés de cette aventure. Premier enseignement : toujours avoir des bougies chez soi. Second enseignement : les batteries domestiques, de type Bluetti ou Ecoflow, sont encore loin de pouvoir remplacer la polyvalence du groupe électrogène, à moins d’opter pour un modèle très haut-de-gamme ou d’en acheter plusieurs. Leurs capacités de stockage paraissent bien souvent insuffisantes pour faire face à de tels évènements, exceptionnels, certes. De plus, pendant ces 5 jours de coupure, le mauvais temps était de mise, laissant peu de place à l’utilisation d’éventuels panneaux solaires.

Pour l’heure, le groupe électrogène reste un atout quasiment irremplaçable, en particulier grâce à son prix attractif. Outre sa simplicité d’usage, il nécessite peu d’entretien et apporte une puissance suffisante pour assurer les besoins quotidiens sur de longues périodes. Grâce à ses 2 700 W, nous avons pu brancher sans inquiétude le congélateur, la bouilloire, le micro-ondes ainsi que de la lumière. À ce tarif, il faudra tout de même faire attention aux possibles variations de tension qui pourraient endommager des appareils électroniques comme des smartphones ou des ordinateurs portables. Il existe des modèles équipés d’un système AVR ou même Inverter qui permettent une régulation plus précise de la tension.

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Malgré ce constat, il faut reconnaître que Zeus n’est pas non plus parfait. D’abord, le bruit élevé peut se montrer dérangeant, y compris pour le voisinage. De plus, il est indispensable de l’allumer à l’extérieur, ce qui nécessite un peu d’organisation. Si le groupe électrogène peut être utilisé en continu pendant de longues périodes, sa consommation est, en revanche, un vrai frein. Le réservoir de 15 litres de notre modèle permet de tenir une grosse journée, mais engendre une facture de carburant plutôt salée en cas d’utilisation continue (environ 30 € par jour).

Pour notre part, nous avons pris le parti de l’allumer pendant une heure matin, midi et soir afin de refroidir le congélateur et pouvoir préparer à manger.

Quelles alternatives ?

Pour l’heure, difficile de trouver des solutions décarbonées pour répondre à ce type de situation exceptionnelle. Il y a bien la possibilité d’associer plusieurs kWh de batteries à un ensemble de panneaux solaires, un peu à la manière de cet habitant de la Martinique, qui permet non seulement d’avoir de l’énergie pendant les coupures de courant, mais aussi de faire baisser drastiquement sa facture d’électricité. Néanmoins, ces installations demandent un investissement financier très important, qui se chiffre en milliers, voir dizaines de milliers d’euros.

Il existe une autre solution qui pourrait permettre de faire face à une telle coupure de courant : utiliser la batterie de sa voiture électrique comme batterie de secours. Pour cela, deux possibilités. La première s’appelle V2H et consiste à alimenter sa maison entièrement depuis sa voiture électrique. Très peu répandue en France, elle nécessite une prise spécifique pourtant considérée comme désuète en Europe (Chademo) qui n’est présente que sur la Nissan Leaf. Deuxième solution : le V2L. Cette technologie permet de transformer votre voiture électrique en groupe électrogène pour alimenter quelques appareils. Outre le fait que ces solutions nécessitent le coûteux achat d’une voiture électrique, elles posent un autre problème : si la coupure de courant s’étend au-delà d’une semaine, il faut que les stations de recharge alentour soient encore alimentées, sous peine de se retrouver sans électricité… Et sans moyen de transport.

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Le tout électrique est-il vraiment la solution ?

Si les proportions de la tempête Ciaran sont exceptionnelles, cet incident fait tout même réfléchir sur les limites d’un possible avenir 100 % électrique, en France et dans le monde. La Bretagne bénéficie d’un climat relativement clément à longueur d’année. Mais dans un contexte 100 % électrique, une telle coupure dans une région au climat plus froid pourrait avoir des conséquences beaucoup plus importantes.

Face à cette réalité, rétablir très rapidement l’alimentation en électricité après une catastrophe naturelle apparaît comme une priorité. Mais ce n’est pas tout : développer les autres moyens de production d’énergie décarbonée afin d’obtenir une forme de redondance à l’échelle d’un logement, d’une collectivité et du pays, paraît également indispensable.