En France, la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) prévoit de doubler, voire de tripler la puissance installée en panneaux photovoltaïques. Or, nous savons que le solaire est très consommateur d’espace. Aurons-nous assez de place ?

L’énergie photovoltaïque ne cesse de se développer en France. Ce ne sont pas moins de 2,6 GWc de panneaux qui ont été installés l’année dernière, portant le parc français de 13,1 GW en 2021 à 15,7 GW à fin 2022. Et cela ne va vraisemblablement pas s’arrêter, car la PPE fixe un objectif de puissance installé compris entre 35,1 GW et 44,0 GW pour 2028 [1].

L’énergie photovoltaïque, comme les autres énergies solaires ou encore l’énergie éolienne, est une énergie de flux, c’est-à-dire qu’elle fonctionne en interceptant une énergie diffuse présente dans l’environnement, que ce soit l’énergie des photons du rayonnement solaire ou l’énergie cinétique transportée par le vent. Cela a pour conséquence principale d’en faire une source d’énergie très gourmande en espace.

Par exemple, pour l’énergie photovoltaïque, on peut retenir un ordre de grandeur de 70 W/m² (qui n’est qu’une valeur moyenne, la valeur pratique étant très dépendante de la typologie de l’installation). Ainsi, pour atteindre les objectifs de la PPE actuellement en vigueur, il sera nécessaire d’équiper une surface totale de l’ordre de 550 km2. Cela représente environ 20 % de la superficie du département du Rhône, ou 5,2 fois la superficie de la ville de Paris.

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La compétition pour l’usage des sols

Or cette surface est vraisemblablement déjà utilisée, par les espaces urbains, industriels ou agricoles, ou laissée à la nature. Cette situation génère un cas typique de conflit d’usage. Un tel conflit se produit lorsque plusieurs acteurs se retrouvent en compétition pour l’utilisation d’une même ressource, en l’occurrence l’espace, le sol, dont la superficie ne peut évidemment pas être dédoublée. En d’autres termes, qu’allons-nous manger, si les panneaux solaires occupent tout l’espace dévolu à l’agriculture ?

Le règlement d’un conflit de ce type peut être dévolu à la négociation entre acteurs locaux en fonction de leurs opinions ou morales personnelles, ou laissé au marché, les prix définissant alors l’usage de ces surfaces en fonction de leur valeur marchande. Un conflit d’usage peut également être arbitré par l’État, ou par la justice s’il existe déjà des dispositions dans la loi. À une échelle plus large, les conflits d’usage peuvent être aussi des motifs de conflits armés entre États.

Mais un conflit d’usage peut être réglé aussi par l’innovation, c’est-à-dire par l’invention de manière de combiner plusieurs usages sur un même espace. C’est ce que nous allons montrer dans cet article.

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Les toitures ne pourront pas tout faire

Les toitures, qu’elles recouvrent des logements ou des locaux industriels ou tertiaires, sont des surfaces de choix pour l’installation des panneaux, car ce sont des surfaces déjà artificialisées. Il est en outre possible d’utiliser l’électricité au plus près, dans une démarche d’autoconsommation, voire d’autonomie dès lors que des capacités de stockage sont prévues.

Les surfaces de toiture disponibles pour implanter des centrales photovoltaïques sont estimées à des valeurs assez variables, entre 1 300 et 2 300 km2 selon les méthodes de calcul utilisées [2]. Ainsi, la surface disponible pourrait être suffisante pour assurer les objectifs de la PPE. En revanche, tous les toits n’ont pas une orientation favorable par rapport au soleil, ils peuvent être trop petits pour placer une installation. La possibilité de réalisation d’une installation photovoltaïque est en outre dépendante des capacités d’investissement des propriétaires de ces toitures.

De plus, la centrale photovoltaïque sera plus coûteuse par unité de puissance installée, car plus intensive en main d’œuvre. Ainsi, dans le cadre de l’établissement de la PPE, l’État français retient une différence de coût d’un tiers en faveur des centrales au sol par rapport aux centrales en toiture. Or, lorsque l’on parle de dizaines de GWc, ce sont des dizaines de milliards d’euros en jeu, et une telle différence est significative pour nos comptes publics. En conséquence, la PPE prévoit au maximum 19 GWc sur les toitures pour 2028 [1].

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Les surfaces au sol sans conflit d’usage

Un autre gisement potentiel pour l’installation de centrales photovoltaïque est constitué par les surfaces dites « délaissées et artificialisées propices ». Les zones délaissées sont les surfaces qui ne sont plus utilisées, comme les friches industrielles ou tertiaires, les sites pollués comme d’anciens dépôts d’hydrocarbures, les anciens sites d’activités de l’industrie mécanique (notamment liés à l’automobile, ou les forges), ou les anciens sites de stockage de déchets. L’ADEME estime le gisement sur ces terrains à 49 GWc [3].

Les zones artificialisées propices sont celles où une cohabitation des usages est possible, typiquement les parkings avec des ombrières équipées de panneaux photovoltaïques. Le gisement est toutefois plus modeste, à hauteur de 4 GWc, toujours d’après l’ADEME.

Les terres agricoles et l’agrivoltaïsme

L’installation de centrales photovoltaïques sur des terres agricoles peut entraîner une diminution de la superficie disponible pour la culture. Le changement d’usage de ces terres suscite de l’inquiétude chez de nombreux acteurs, une inquiétude légitime, car non seulement elle entraîne des risques portant sur la souveraineté alimentaire, mais également sur les revenus des agriculteurs.

Commençons par les ordres de grandeur : les terres agricoles, tous usages confondus, représentent en France environ 300 000 km2, soit plus de 600 fois l’espace qui serait nécessaire pour remplir les objectifs de la PPE. Mais allons plus loin : l’agriculture et l’énergie solaire ne sont pas mutuellement exclusives, et il est possible d’adopter des pratiques agricoles adaptées à la présence de panneaux solaires.

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Pour ce faire, nous pouvons citer l’innovation constituée par les panneaux bifaciaux placés sur des supports verticaux, avec une orientation est-ouest. Ces centrales à la disposition particulière peuvent être disposés en « haies solaires » dans des prairies, avec un espacement suffisant entre les rangées pour permettre le passage des tracteurs pour la récolte du fourrage. Ces systèmes présentent par ailleurs l’avantage de maximiser leur production le matin et le soir, plutôt que le midi, permettant de lisser en partie la production photovoltaïque sur la journée.

Il est également possible d’aller encore plus loin, en combinant les deux activités d’une façon symbiotique, c’est-à-dire que chaque activité apporte des avantages à l’autre. Selon ce principe appelé « agrivoltaïsme », le système combinés agriculture / photovoltaïque est plus productif que si les deux activités étaient séparées.

La centrale solaire agrivoltaïque Sun’Agri d’Étoile-sur-Rhône / Image : RE-HL

En effet, les panneaux photovoltaïques peuvent servir d’ombrage pour les types de cultures qui n’apprécient pas le soleil trop direct, notamment en été, ce qui permet en outre de limiter leur transpiration, et donc les besoins en eau. Il peut être également avantageux de protéger certaines cultures de la pluie, voire des orages et de la grêle. Des systèmes intelligents sont même conçus pour moduler l’orientation des panneaux en fonction des besoins des plantes.

L’agrivoltaïsme commence à être largement étudié pour les vignes, mais aussi les agrumes et plus généralement le maraîchage. L’agrivoltaïsme peut concerner également l’élevage, par exemple, en recouvrant les poulaillers ou des ombrières destinées à des animaux de plus grande taille. Le Japon, confronté historiquement au manque d’espace, est en tête des développements en la matière. Le potentiel total reste toutefois difficile à évaluer, car il s’agit d’une technique encore émergente, et tous les impacts, notamment environnementaux, ne sont pas connus.

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Le solaire prend la mer

Plusieurs expérimentations sont en cours en ce qui concerne le solaire flottant, une technique émergente qui consiste à placer les panneaux sur des systèmes de flotteurs, dans l’objectif de les placer sur des lacs ou des mers. Il est toutefois nécessairement de limiter l’emprise sur l’espace naturel – un autre conflit évident « d’usage », pour peu que l’expression soit adaptée en ce qui concerne le territoire laissé à la nature. Ce type de système est donc particulièrement adapté pour les plans d’eau déjà largement artificialisés : bassins industriels, lacs formés dans d’anciennes carrières, les retenues d’eau et les bassins d’orage. Citons également le projet de la start-up SolarinBlue, de centrale solaire flottante destinée à être placée en mer.

Le solaire flottant reste une technique encore expérimentale aujourd’hui, et sa viabilité doit être démontrée, notamment dans les environnements aquatiques, voire marins, plus agressifs pour le matériel qu’au sol. L’impact sur la nature et la biodiversité doit rester également acceptable. Il faut donc encore considérer avec prudence toute évaluation de son potentiel ; citons le chiffre avancé par la société Akuo, qui estime ce potentiel à 10 GW rien qu’en France.

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Mettre le solaire en orbite ?

En bonus, évoquons le concept des années 1970 de centrale solaire orbitale, qui avait émergé dans la foulée du Programme Apollo et des premiers pas de l’Humanité sur la Lune. Déjà à l’époque, il s’agissait d’un contexte de chocs pétroliers. Ce concept visait à placer les panneaux photovoltaïques en orbite, notamment géostationnaire, pour capter l’énergie solaire quasiment 24h/24. Plus d’intermittence, donc ! et un potentiel aussi vaste que l’espace interplanétaire.

Le concept de centrale solaire orbitale SunTower de la NASA / Image : NASA.

De façon plus pragmatique, force est de constater que la faisabilité des centrales solaires orbitales est assujettie aux coûts d’accès à l’espace, ainsi qu’à la nécessité de retransmettre l’énergie au sol. Pour ce faire, les conceptions réalisées alors reposaient sur un faisceau de micro-ondes transmis au sol, à une intensité suffisamment faible pour que ces dernières ne présentent aucun danger pour l’environnement. Cela imposait de prévoir de vastes antennes, donc très gourmandes en espace, elles aussi. Et donc à un nouveau conflit d’usage des sols. À ceci près que ces antennes sont transparentes, et permettent ainsi une plus facile cohabitation des usages. Car après tout, où que soit située la centrale solaire, la question est bien d’avoir accès à la lumière de l’astre du jour.

[1] République française / Ministère de la Transition Écologie et Solidaire, Stratégie Française pour l’Énergie et le Climat, Programmation pluriannuelle de l’Énergie, 2019-2023, 2024-2028 (2020) [lien]

[2] CNRS, Le Solaire Photovoltaïque en France – Réalité, Potentiel et Défis (7 mars 2022] [lien]

[3] ADEME, Évaluation du Gisement relatif aux Zones délaissées et artificialisées propices à l’Implantation de Centrales Photovoltaïques (avril 2019) [lien].