L’énergie thermique des mers (ETM) est sous-exploitée et souvent mal connue, bien que cette technologie renouvelable permettrait à elle seule de générer près de deux fois l’équivalent de la consommation mondiale actuelle d’électricité. Alors qu’elle soit encore en phase de recherche et de développement, la Corée vient de mettre en service une centrale d’un mégawatt.

Dans un rapport publié récemment par l’Irena[1], le potentiel de production d’électricité à partir de l’énergie thermique des mers (ETM, ou OTEC en anglais pour Ocean Thermal Energy Conversion) pourrait atteindre 44.000 TWh (térawattheures) par an. A titre indicatif, la production mondiale d’électricité s’est élevée à 27.005 TWh[2] en 2019.
Parmi les différentes énergies marines (énergies marémotrice, houlomotrice, osmotique, etc.), hors éolien offshore et solaire flottant, l’ETM est la technologie qui présente le plus grand potentiel.

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Pour pouvoir produire de l’électricité, une centrale ETM utilise la différence de température de l’eau de mer entre les grands fonds marins et les eaux de surface. Ce gradient doit être au minimum de 20°C. Or, entre 30° de latitude nord et 30° de latitude sud, se trouve une zone de 60 millions de km² (soit trois fois la superficie des Amériques du Nord et centrale réunies) où la capacité thermique des océans est maximale. Près de 35 pays, situés dans cette zone intertropicale, peuvent prétendre à exploiter cette source d’énergie.

Par comparaison, et compte tenu des conditions géographiques nécessaires, seule une douzaine d’Etats pourraient exploiter l’énergie des marées, comme le fait la France dans l’estuaire de la Rance, où fonctionne depuis 1966 la plus ancienne usine marémotrice.

Comment fonctionne une centrale ETM ?

La direction du rayonnement solaire est primordiale dans l’exploitation de l’énergie thermiques des mers. Un gradient de température d’au moins 20°C est indispensable. Mais pour créer une différence suffisante avec les eaux froides des profondeurs, il est nécessaire que les rayons solaires chauffent suffisamment la surface de l’océan en la frappant quasi verticalement.
C’est dans la zone intertropicale que ces conditions sont réunies puisque la température en surface est d’environ 24°C alors qu’elle est à 4°C à une profondeur de 1.000 m.

Les eaux des fonds marins ainsi que celles de la surface sont pompées par des canalisations noyées, et leur différentiel de température exploité par effet Seebeck[3] (ou effet thermoélectrique) pour produire de l’électricité. Le procédé est similaire au principe d’une pompe à chaleur. Il permet également de produire de l’eau douce ou du froid pour la climatisation.

Bien qu’il existe des centrales en circuit ouvert, l’ETM est plus souvent exploitée en circuit fermé, en recourant à un fluide caloporteur circulant en boucle. Ce fluide est généralement de l’ammoniac ( NH3) dont le point de condensation est proche de 4°C. L’eau chaude pompée en surface transmet ses calories au fluide caloporteur dans un évaporateur. La vapeur ainsi produite actionne une turbine couplée à un alternateur qui produit l’électricité, puis elle se condense au contact de l’eau froide puisée en profondeur.

De nombreux atouts

L’énergie thermique des mers présente plusieurs avantages :

  • elle est renouvelable et inépuisable,
  • prédictible et continue ; elle peut donc fournir du courant en base-load (niveau minimum de la demande sur un réseau électrique)
  • elle accroît l’indépendance énergétique des territoires insulaires
  • elle permet de coupler la production d’électricité à d’autres services : désalinisation de l’eau de mer, aquaculture, réfrigération …

Mais cette source d’énergie comporte aussi des inconvénients : elle est onéreuse et sa faible efficacité doit être compensée par un débit d’eau important. Sa mise en œuvre nécessite donc des investissements importants : tubes noyés en titane pour les échangeurs, canalisations de plusieurs mètres de diamètre (entre 5 et 8 m) qui doivent descendre à des profondeurs de 1.000 mètres environ.

De plus, les tuyaux immergés sont sujets au phénomène de biofouling (prolifération d’êtres vivants tels que bactéries, coquillages, plantes) nécessitant des traitements souvent polluants.

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A quel coût ?

Le niveau de coût des investissements est actuellement estimé à 20 millions d’euros par MW installé, ce qui implique un coût de production de 500€/MWh. Un chiffre a priori très élevé, mais toutefois inférieur aux coûts marginaux d’exploitation d’une centrale thermique dans les îles isolées du Pacifique. Les économies d’échelle permettraient d’espérer diviser le prix de l’investissement par deux, ce qui rendrait la technologie compétitive dans les îles isolées sur un très large secteur intertropical.

La Corée passe la vitesse supérieure

Après 8 ans d’expérimentation, un démonstrateur est actuellement testé à La Réunion par Naval Energies. D’autres prototypes sont à l’essai en Chine, à Hawaï (Etats-Unis) et au Japon, mais c’est en Corée que la technologie ETM passe au stade commercial.

Grâce à un partenariat avec le KRISO (Korean Research Institute of Ships and Ocean engineering), la première centrale ETM en région équatoriale sera mise en service en 2021 à Tarawa Sud, un atoll de la république des Kiribati, dans les Etats du Pacifique.

S’il remplit ses promesses, le projet Tarawa apportera une réponse concrète à la dépendance des îles Kiribati vis-à-vis de ses importations de pétrole, mais il protègera également cette république insulaire contre la volatilité des prix du pétrole et le coût élevé de la facture énergétique, des facteurs qui constituent un frein au développement local.

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[1] Agence Internationale pour l’Energie Renouvelable

[2] BP Statistical Review of World Energy, juin 2020.

[3] L’effet Seebeck crée une tension produite par une différence de température entre les jonctions de plusieurs corps conducteurs. La tension dépend de la différence de température, mais également des propriétés des matériaux employés.