Ils sont censés guider les choix énergétiques de notre pays jusqu’en 2050. Les scénarios élaborés par le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE n’étaient plus complètement à jour. La crise de l’énergie impulsée par le conflit en Ukraine a rebattu les cartes, et poussé la filiale d’EDF à actualiser ses prédictions dans son bilan prévisionnel 2023.

Dans sa publication originale datant de 2021, RTE avait dessiné trois trajectoires de consommation possibles (trajectoire de référence, sobriété et réindustrialisation profonde) à articuler autour de 6 scénarios de mix de production (3 avec une relance du nucléaire, 3 sans relance du nucléaire). Il était alors question d’électrifier massivement les usages dans l’industrie, les bâtiments et le transport, et d’allier le développement des énergies renouvelables au nucléaire.

La guerre en Ukraine et les difficultés d’approvisionnement en gaz en 2022 ainsi que la crise de l’énergie ayant fait flamber les prix, RTE actualise sa publication pour affiner ses prévisions.

Les grandes lignes

➡️ Une forte sobriété et efficacité énergétique est désormais indispensable, quel que soit le scénario.

➡️ La consommation d’électricité est revue à la hausse pour accélérer le remplacement des énergies fossiles.

➡️ La flexibilité énergétique (stockage, report de la consommation) devient un thème central.

➡️ La production du parc nucléaire existant doit être stimulée et pérennisée.

➡️ La construction de nouvelles STEP et centrales hydroélectriques doit être une priorité.

➡️ La construction de nouvelles centrales fossiles peut être évitée.

➡️ Le prix de l’électricité doit être réaligné sur les coûts de production pour réussir la décarbonation, sans sortir du marché européen.

➡️ Le déploiement des pompes à chaleur et véhicules électriques doit être intensifié.

Consulter le bilan prévisionnel 2023 sur le site de RTE

Les 4 leviers indispensables pour atteindre nos objectifs climatiques

Dans sa nouvelle version, la publication du gestionnaire de réseaux rappelle la nécessité de sortir des énergies fossiles le plus vite possible. Cela induira une augmentation des besoins en électricité dans les années à venir. Jusque-là, rien de nouveau. Mais pour y faire face tout en respectant nos engagements climatiques (neutralité carbone en 2050), RTE s’appuie sur 4 leviers :

  • L’efficacité énergétique avec l’amélioration de la performance des bâtiments neufs et la rénovation des logements, ce qui pourrait mener à une baisse de – 75 TWh au minimum (-100 TWh dans l’idéal) ;
  • La sobriété avec une diminution estimée de – 25 TWh minimum (- 60 TWh si possible) ;
  • Le maintien de la production nucléaire grâce à la prolongation de l’exploitation des réacteurs pour atteindre une production de 360 TWh (voire 400 TWh si possible) ;
  • L’accélération des énergies renouvelables pour atteindre une production annuelle de 270 TWh, voire 320 TWh si possible (contre environ 120 TWh aujourd’hui).

RTE entend donc compter plus que jamais sur la sobriété énergétique alors que dans sa précédente version, la sobriété n’était qu’une des trajectoires évoquées pour l’avenir. Cela n’est pas sans rappeler la campagne gouvernementale menée avant l’hiver 2022-2023 pour inciter les Français à réduire leurs usages, en prévision d’un hiver délicat pour le système électrique. Invité d’une émission sur France Inter il y a quelques semaines, le patron de RTE, Xavier Piechaczyk avait évoqué l’importance de la sobriété énergétique, affirmant qu’elle avait permis de réduire la consommation de – 9 % au cours de l’hiver dernier.

L’institution insiste sur l’importance de combiner ces 4 leviers (avec différents dosages possibles), car « renoncer à l’un de ces leviers rend extrêmement difficile l’atteinte des objectifs climatiques et de sécurité d’approvisionnement ». La sobriété n’est donc plus une option, mais un critère à part entière, indispensable pour réussir la transition énergétique.

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Que contiennent les scénarios de RTE ?

RTE propose 3 types de scénarios (A, B et C) proposant 2 ou 3 mix énergétiques pour 2035. Pour résumer, les scénarios A permettent « de tracer les conditions de réussite pour atteindre des objectifs publics donnés ». Quant aux scénarios B et C, « ils permettent de réaliser des analyses de risque pour préparer le système électrique à d’éventuels retards ou aléas sur les trajectoires d’atteinte des objectifs », selon les explications du rapport. Pour comparer, RTE nous signale que la consommation totale intérieure d’électricité était de 475 TWh en 2019. Et tous les scénarios tablent sur une augmentation, plus ou moins forte, de cette consommation.

Les scénarios du bilan prévisionnel 2023 / Document RTE.

Les scénarios A : « accélération réussie »

Par exemple, le scénario « A – bas » est axé autour de trois axes majeurs dont l’importance est équivalente : électrification, efficacité énergétique et sobriété (++). Avec cette configuration, RTE estime sur une consommation totale intérieure d’électricité de 580 TWh dont une réduction de – 60 TWh du fait de la sobriété « sociétale » et de – 100 TWh grâce à l’efficacité énergétique.

Avec le scénario « A-haut », on mise sur l’électrification (++), mais avec moins d’efficacité énergétique et de sobriété (+). On se retrouve avec une consommation totale intérieure d’électricité de 640 TWh comprenant une baisse de – 25 TWh du fait de la sobriété avec des « gestes simples » et une diminution de – 75 TWh avec l’efficacité énergétique.

Pour les trois trajectoires de référence (« A-haut », « A-ref », « A-bas »), la consommation se situe entre 640 et 580 TWh en 2035, soit dans le haut des prévisions des Futurs énergétiques 2050 qui donnaient une fourchette allant de 440 à 645 TWh en 2050.

Les scénarios B : « atteinte partielle »

Avec les deux scénarios B, l’atteinte des objectifs publics est partielle, avec un retard compris entre 3 à 5 ans, plus ou moins important dans l’électrification, la sobriété et l’efficacité. Les énergies renouvelables sont également peu développées, ce qui fragilise l’atteinte des objectifs climatiques et porte atteinte à la sécurité d’approvisionnement, selon RTE.

Dans ce cadre, le scénario « B-haut » met l’accent faiblement, mais à parts égales, sur la sobriété, l’efficacité énergétique et l’électrification (+), menant à une consommation totale intérieure électrique de 600 TWh, comprenant une baisse de – 25 TWh au titre de la sobriété (gestes simples) et de – 75 TWh au titre de l’efficacité énergétique.

Avec le scénario « B-bas », l’accent n’est pas mis sur l’électrification (-) et légèrement sur les deux autres leviers (+). La consommation totale intérieure d’électricité est alors estimée à 550 TWh avec le même niveau d’impact pour la sobriété et l’efficacité qu’avec le scénario « B-haut ».

Les scénarios C : « mondialisation contrariée »

Enfin, les scénarios C prévoient un environnement de « mondialisation contrariée » avec des tensions macroéconomiques et géopolitiques qui se prolongeraient dans le temps. La consommation totale intérieure d’électricité se situerait alors entre 525 et 535 TWh, comprenant une baisse de –50 TWh au titre d’une sobriété « subie » et de –75 TWh d’efficacité énergétique.

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La consommation d’électricité revue à la hausse

Concernant les différents mix de production à l’horizon 2035, RTE rappelle d’abord que la production bas-carbone totale (soit le nucléaire et les énergies renouvelables) était de 495 TWh en 2019 et 395 TWh en 2022. L’organisme table sur des seuils allant de 580 TWh pour le scénario le moins optimiste (« C1 – Défaut de réaction ») à 700 TWh pour le scénario « A-haut ».

Le point commun de toutes ces trajectoires réside dans les capacités installées de l’hydraulique et du nucléaire. Dans tous les cas, RTE mise pour l’hydraulique sur un niveau compris entre 27 GW et 28 GW (contre environ 25,8 GW en 2022) avec une production stable autour de 60 TWh en moyenne. Pour le nucléaire, les capacités installées seront situées entre 60 et 63 GW pour tous les scénarios (contre 61 GW en 2022). La production varie en revanche, selon les cas, entre 360 pour l’hypothèse prudente atteignable et 370 TWh. Mais des variantes sont également prévues pour modifier ces chiffres. Avec la variante haute qui ne prévoit aucune fermeture et un fort niveau de disponibilité du parc nucléaire ainsi que d’éventuelles augmentations de puissance ainsi que des petits réacteurs modulaires (SMR). On pourrait alors atteindre environ 400 TWh. Dans la variante basse au contraire, le niveau ne serait que de 330 TWh en cas de fermeture de réacteurs (entre 0 et 6) et de faible disponibilité du parc.

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Par ailleurs, dans sa nouvelle publication, RTE met l’accent sur l’importance des flexibilités du réseau, qu’il qualifie de « clé de voute du nouveau bilan prévisionnel ». La sobriété a un rôle à jouer à ce niveau en permettant de faire baisser la demande, tout comme le développement des batteries. RTE espère gagner ainsi une marge de 5 GW environ. RTE n’oublie pas non plus de rappeler l’importance des interconnexions qui peuvent permettre à la France de rester exportatrice d’électricité bas-carbone.

Sur le plan financier, l’institution estime que l’électrification massive des usages permettrait d’économiser environ 190 milliards d’euros de dépenses dans le secteur des énergies fossiles. Il faudra néanmoins des investissements conséquents pour mettre en place la politique énergétique. RTE parle de tripler ces investissements, à hauteur de 25 à 35 milliards d’euros/an, pour la production et les capacités de flexibilités. Cela ne devrait pas pour autant faire augmenter le coût de production du MWh à long terme.

Réaligner le prix de l’électricité aux coûts de production réels

Concernant les prix de l’électricité, leur forte augmentation au cours des derniers mois a marqué les esprits et perturbé la trésorerie des professionnels et le budget des ménages. Le gestionnaire de réseaux aborde le sujet du « désalignement important entre les prix de marché et les coûts de production, dès lors que le prix du gaz est élevé », en France. Il faudrait obtenir leur réalignement, sans que la sortie du marché européen apparaisse comme une bonne idée puisqu’au contraire cela « engendrerait des coûts trop importants », selon le gestionnaire, qui estime également que le modèle ibérique n’est pas applicable en France.

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De nouveaux usages pour massifier l’usage de l’électricité

Enfin, RTE aborde trois points transverses qui permettent d’intégrer de nouveaux usages de l’électricité dans le bâtiment, l’industrie et les transports. D’abord, le déploiement des pompes à chaleur permettrait d’accélérer la sortie des énergies fossiles en réduisant les émissions de gaz à effet de serre du chauffage. RTE indique avoir effectué une étude d’impact approfondie sur le sujet. Ce déploiement aura certes un effet sur la demande d’électricité en heure de pointe, que le système électrique serait toutefois en mesure de gérer.

Le second point réside dans le développement de la production d’hydrogène bas-carbone locale, permettant de décarboner certains secteurs. Toutefois, il faut prévoir la concurrence possible des importations, notamment en ce qui concerne les carburants de synthèse.

Pour finir, le troisième point est relatif à la croissance du véhicule électrique qui se confirme pour les véhicules légers et qui se renforce pour le transport lourd. Le pilotage de la recharge devra être encouragé et une forte électrification du parc des voitures et des poids lourds n’entrainerait pas pour autant une trop forte augmentation de la consommation d’électricité, selon RTE.