Comment une entreprise ou un ménage peuvent-ils s’assurer de l’origine réellement « verte » de l’électricité que leur propose un fournisseur ? En principe le système des garanties d’origine (GO ou LGO) mis en place par l’Europe devrait garantir la transparence, mais en pratique ce n’est pas du tout le cas. TEO, une startup française, a développé une technologie, basée sur la blockchain pour garantir l’origine de l’électricité produite par un parc éolien ou une installation photovoltaïque.

L’habit ne fait pas le moine et l’électricité soi-disant « verte » que peut vous vendre un fournisseur ne l’est pas toujours. Comment est-ce possible ? En réalité, grâce au système des garanties d’origine (GO) un fournisseur peut, à bon compte, « verdir » de l’électricité nucléaire ou fossile et la faire passer pour une électricité 100 % verte, sans même installer un panneau solaire ou une éolienne supplémentaire.
Certains fournisseurs ne produisent pas eux-mêmes l’électricité qu’ils vendent ou n’en produisent pas suffisamment pour approvisionner tous leurs clients. Ils achètent alors de l’électricité à des producteurs. Ceux-ci reçoivent des GO correspondant à la quantité d’énergie renouvelable qu’ils produisent. Ces garanties sont émises dans chaque Etat européen par un organisme indépendant. En France, il s’agit de Powernext qui vérifie au travers d’audits fréquents, l’origine renouvelable de l’électricité produite.
Mais les ventes d’électricité et de GO ne sont pas couplées : un producteur d’électricité peut très bien vendre son électricité à un fournisseur, et ses LGO à un autre. Or dans certains pays comme la Norvège ou l’Islande (associés à l’Union Européenne à travers l’EEE) presque toute l’électricité produite est renouvelable et les GO n’y ont donc aucune valeur : personne ne s’y inquiète en effet de l’origine de son électricité. Le fournisseur qui vous vend de l’électricité verte peut donc très bien l’avoir achetée à un producteur exploitant des centrales nucléaires ou au charbon et l’avoir « verdie » avec des GO achetées pour 3 fois rien à un producteur scandinave par exemple.

Le classement Greenpeace

Afin d’éviter ce manque de transparence, pour ne pas dire cet abus de confiance, l’organisation Greenpeace a audité, en France comme en Belgique, les fournisseurs d’électricité « verte » en vérifiant l’origine de l’énergie vendue. Elle a ensuite établi un classement de ces fournisseurs, allant des plus dignes de confiance, à ceux qui le sont moins ou pas du tout. En France, l’ONG estime que 5 fournisseurs seulement proposent de l’électricité 100 % renouvelable : Enercoop et Planète Oui (classés 1ers ex-aequo), ainsi que Urban Solar Energy, Ilek et Plüm Energie. Par contre EDF, Total Direct Energie, ENI et Engie figurent en queue de peloton. En Wallonie, Greenpeace n’accorde sa confiance totale qu’à 2 fournisseurs : COCITER et Energie 2030.

Certification d’origine par la blockchain

La startup française TEO (The Energy Origin) propose une autre solution. Pour certifier l’origine de l’électricité « verte » vendue par un fournisseur, elle utilise une technologie qui s’est fait connaître du grand public par son application à la création de cryptomonnaies : la blockchain.
L’idée n’est pas neuve : en 2018, déjà, l’enseigne Carrefour adoptait la blockchain pour assurer la traçabilité des produits de sa filière « Poulet fermier d’Auvergne ».  Appliquée au secteur de la grande distribution, la blockchain permet à chaque acteur de la chaine d’approvisionnement (producteurs, transformateurs et distributeurs) de renseigner les informations de traçabilité qui les concernent et ce pour chaque lot. En bout de chaîne, ce dispositif se matérialise par un QR Code apposé sur l’étiquette de l’article ; il permet au consommateur d’accéder à une série d’informations, comme le lieu et le mode d’élevage, le nom de l’éleveur, l’alimentation reçue (nourri aux céréales et au soja français, sans OGM…), l’absence de traitement (sans antibiotique…), les labels et le lieu d’abattage.
Nous savons aussi que des constructeurs de véhicules électriques utilisent la blockchain pour tracer l’origine du cobalt incorporé dans leurs batteries et s’assurer ainsi que ce métal n’a pas été extrait dans des mines artisanales illégales exploitant des enfants.

Un système de token

La blockchain de TEO fonctionne avec des tokens (jetons). L’énergie produite par une éolienne ou une installation photovoltaïque, par exemple, est enregistrée par des boîtiers mis au point par une autre startup française spécialisée dans la blockchain : Ledger. Ces boîtiers garantissent l’authenticité des données de la production : ils sont conçus pour éviter toute possibilité de fraude. « Personne ne peut altérer les données, si vous touchez à la puce, elle est automatiquement effacée » nous explique Thierry Mathieu, responsable du projet TEO . Lorsqu’une certaine quantité d’électricité est produite, la blockchain émet un token pour la certifier. Les données sont ensuite cryptées avant d’être transmises et stockées dans la blokchain, ce qui les empêche d’être modifiées par quiconque les intercepte. Comme avec d’autres systèmes de blockchain, la participation de plusieurs partenaires dans la chaîne vise à accroître la fiabilité des données qui y sont enregistrées. Différence de taille avec la blockchain qui sert à miner des bitcoins : celle de TEO ne consomme que très peu d’énergie car elle ne requiert pas de calculs puissants pour émettre ses certificats.
A l’autre bout du réseau, le client peut, comme pour le poulet fermier, vérifier l’origine de l’électricité qu’il achète, le parc éolien qui la génère, le nom du producteur, etc. « L’information est très précise et communiquée en temps réel, d’heure en heure » précise Thierry Mathieu.

La blockchain certifie la production d’éoliennes en mer du Nord

Le groupe Engie est l’un des pionniers dans l’utilisation de cette blockchain. Il a signé un partenariat avec Ledger et propose cette certification de l’électricité verte à ses client industriels. C’est ainsi qu’Engie a conclu un contrat de vente d’énergie renouvelable avec l’entreprise belge Lhoist, spécialisée dans la production de chaux et l’extraction de minéraux. L’accord porte sur une puissance de 8,4 MW d’énergie verte produite par un parc éolien offshore situé en mer du Nord et auquel Engie est associé.
« À titre de comparaison, Engie livrera sur base annuelle autant d’électricité qu’une installation photovoltaïque d’une surface de 30 hectares » , lit-on dans un communiqué. « La plateforme utilisée par Engie permet à Lhoist de visualiser en toute transparence sa consommation réelle d’énergie verte sous forme de certificats enregistrés quotidiennement dans la blockchain. »
En fonction des conditions météorologiques, le contrat couvrira jusqu’à 50% de la consommation de Lhoist en Belgique. 

Engie compte beaucoup sur cette technologie et sur sa compatibilité avec toutes les blockchains pour fournir à terme une solution mondiale. Le groupe espère connecter 100.000 installations avec les boîtiers Ledger d’ici 2023.