
Le nucléaire, machine tournante à la production stable et prévisible, joue en réalité de sa flexibilité. Avec la part grandissante des énergies renouvelables et la volatilité des prix, EDF module désormais ses réacteurs pour s’adapter au marché.
La modulation nucléaire consiste à ajuster en temps réel la puissance des réacteurs grâce au contrôle des barres de régulation ou du flux de vapeur vers les turbines afin d’équilibrer le réseau et d’optimiser la production. Dans une présentation d’Alessandro Armenia (Kpler) lors des Montel Energy Days, nous apprenons que la France est aujourd’hui l’un des rares pays capables de faire varier jusqu’à 15 GW sa puissance nucléaire au cours d’une seule et même journée.
À lire aussiModuler la puissance d’un réacteur nucléaire, est-ce dangereux ?Si la pratique n’est pas nouvelle, sa fréquence explose. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) qualifie 2024 d’« année pivot » : EDF a modulé l’équivalent de 26,5 TWh, soit une baisse d’environ 7 % de ses injections sur le réseau. La cause ? Une offre électrique parfois surabondante, notamment lorsque le solaire et l’éolien couvrent majoritairement la demande nationale. Dans ces moments de tension en injection, les prix plongent parfois en territoire négatif : 436 heures à prix négatifs ont été recensées jusqu’à fin août sur la seule année, contre 352 l’an dernier.
Contrairement à une idée admise, la modulation ne résulte pas seulement d’une contrainte imposée par les renouvelables. « EDF choisit de moduler pour optimiser ses revenus », note la CRE : en économisant du combustible entre deux arrêts ou en décalant sa production vers les heures les plus rémunératrices. Un jeu d’équilibriste qui permet à l’énergéticien de maximiser la valeur du productible, c’est-à-dire capter les prix hauts, tout en évitant de produire à perte quand les prix s’effondrent.
À lire aussiProlonger les réacteurs nucléaires à 60 ans, une bonne chose pour le prix de l’électricité ?Ce glissement d’un mode « suivi de charge » – adapté à la demande – vers un suivi de la « demande résiduelle » – celle qui subsiste une fois les renouvelables injectées – change complètement l’exploitation du parc. D’après Kpler, la modulation se concentre désormais autour des zones frontalières et des réacteurs P4 (1,3 GW), plus flexibles, participant aussi à l’équilibrage transfrontalier. Cette adaptabilité soutient les exportations françaises, parfois proches des limites du réseau européen tout en générant une valeur croissante pour EDF.
Cette modulation n’est pas indolore pour les vieux réacteurs français. Les cycles thermiques répétés provoquent des contraintes mécaniques et des phénomènes de corrosion. L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) étudie d’ailleurs le lien possible entre modulation et fissures sous contrainte. En 2025, Kpler relève une hausse de 55 % des arrêts non planifiés de courte durée. Les règles environnementales doivent aussi être respectées : quand la température des fleuves dépasse 26 à 30 °C, les centrales doivent ralentir ou stopper leurs turbines, comme à Golfech ou Bugey l’été dernier.
Selon les prévisions de Kpler, les volumes modulés pourraient encore croître de 7 % d’ici 2030 si la demande stagne et que le solaire poursuit sa progression.
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