Comme son nom l’indique, une usine marémotrice tire son énergie des marées. Mais comment fonctionnent ces centrales, installées à moins de 10 exemplaires dans le monde ?

Les usines marémotrices correspondent à une classe particulière de centrales hydroélectriques. Comme les barrages que l’on trouve en montagne, elles exploitent l’énergie potentielle de pesanteur de l’eau. Installées en bordure d’océan, elles utilisent l’amplitude des marées pour produire de l’électricité : la différence de hauteur d’eau entre la marée haute et la marée basse, appelée « marnage ». Et comme l’énergie potentielle est notamment proportionnelle à cette différence de hauteur, l’implantation d’une usine marémotrice n’est recommandée que sur des sites présentant un marnage supérieur à 5 mètres. Dans l’idéal, même, de l’ordre de 10 à 15 mètres.

Une digue, un barrage, des turbines

Au cœur d’une centrale marémotrice, il y a d’abord une digue. Elle est destinée à isoler complètement l’estuaire de la mer. Et doit pouvoir retenir un grand volume d’eau. Car l’énergie potentielle est aussi proportionnelle à la masse et donc au volume de l’eau. Ainsi intervient un barrage, comme dans les installations hydroélectriques classiques. Il sert ici à compléter et à contrôler le remplissage et la vidange de l’estuaire.

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C’est le jeu des échanges d’eau entre la mer et le bassin de l’estuaire qui permet de produire de l’électricité. Dans une usine marémotrice, le bassin de l’estuaire peut être rempli lorsque la marée monte. Puis, les vannes sont fermées. Et une fois la marée basse atteinte côté mer, l’eau du bassin côté estuaire est libérée et, dans sa chute, entraîne des turbines connectées à des alternateurs pour produire de l’électricité. Les experts parlent d’« effet au vidage ».

On peut aussi viser un « effet au remplissage ». L’idée : fermer le bassin à marée basse et attendre que la marée monte côté mer puis ouvrir les vannes. Certaines centrales marémotrices peuvent même jouer sur les deux tableaux et produire en phase de vidage comme en phase de remplissage. C’est le cas de l’usine de la Rance en France, lors des grandes marées. C’est l’une des rares usines au monde à produire, à grande échelle, de l’électricité grâce aux marées.

L’exemple de l’usine de la Rance en France

L’usine marémotrice de la Rance a été mise en service en 1966, entre Dinard et Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Sur un site qui profite d’un fond et de côtes parfaitement dessinées pour recevoir les plus grandes marées d’Europe. Le marnage y atteint les 13,50 m— pour une moyenne de 8,2 mètres. Avec une puissance installée de 240 MW — elle est restée la plus puissante du monde jusqu’en 2011 —, l’usine de la Rance produit l’équivalent de la consommation annuelle de la ville de Rennes. Grâce notamment à un fonctionnement aussi bien lorsque la marée monte que lorsqu’elle descend.

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À marée montante, les ailettes qui équipent des turbines de plus de 5 mètres de diamètre sont ouvertes. Sans que les turbines tournent. L’estuaire de la Rance se remplit d’une eau venant de la mer. Puis les ailettes sont fermées. Lorsque la marée est redescendue et que la différence de niveau a atteint les 4 mètres, les ailettes sont rouvertes et l’eau s’écoule avec un débit important de l’estuaire vers la mer. Les turbines peuvent alors tourner à presque 100 tours par minute. Les alternateurs produisent de l’électricité. Et c’est ainsi que se fait 80 % de la production locale.

Mais lors des grandes marées, qui ont lieu une quinzaine de jours par an, le système peut aussi fonctionner en sens inverse. De la mer, vers l’estuaire. Grâce à des pales de turbine orientables. De quoi assurer jusqu’à 4 cycles de production par jour, là où les autres usines n’en font que 2 — correspondant aux 2 marées quotidiennes. Le tout est piloté depuis une salle de commande, par un système automatique programmé par l’exploitant.

Emplacement et pont de l’usine marémotrice de La Rance / Image : Google Earth, RE, Daniel Jolivet – Flickr CC.

Vers des lagons marémoteurs ?

Sur certaines centrales marémotrices, le choix a été fait d’ajouter un bassin artificiel plus bas que le niveau de la mer. Pour exploiter l’énergie potentielle, quelle que soit la hauteur de l’eau dans la mer. De quoi élargir les plages de production. Au prix, toutefois, d’infrastructures plus lourdes et complexes. Ces centrales peuvent également faire office de moyen de stockage, à l’image de ce que réalisent les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP).

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Une dernière option consiste à construire des lagons artificiels. Un projet de la sorte a été lancé du côté de la Bay de Swansea, à l’ouest de la Grande-Bretagne il y a plusieurs années. L’idée : construire une digue de 9,5 km de long pour former un lagon de plus de 11 kilomètres carrés de surface. Le fonctionnement est ensuite semblable à celui d’une usine marémotrice classique. Avec l’avantage d’avoir repoussé les infrastructures nécessaires plus loin de la côte. L’objectif de Swansea — où le projet a pris bien du retard — est d’y poser quelque 16 turbines d’une puissance totale de quelque 320 MW. Le tout fonctionnant par effet de vidage et par effet de remplissage — comme à de la Rance — et produisant chaque année plus de 530 GWh — du même ordre de grandeur que la production de l’usine de la Rance.

Les inconvénients d’une usine marémotrice

Si les ingénieurs s’intéressent tant à la production marémotrice, c’est que, sur le papier, son potentiel est attrayant. De l’ordre de 25 TWh pour la France, soit environ 5 % de notre consommation d’électricité. Au niveau mondial, il est question d’un potentiel de quelque 2 % de la consommation.

Et dans le milieu des énergies renouvelables, l’énergie marémotrice arrive avec un avantage de poids. Elle est à 100 % prédictible (la production éolienne et solaire peut également être prédite, mais à moins longue échéance et avec davantage d’incertitudes). Elle compte sur des marées provoquées par les mouvements de la Lune — mais aussi du soleil. Des mouvements que les scientifiques savent prévoir avec précision à des échéances de centaines, voire de milliers d’années.

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L’ennui, c’est que l’impact environnemental peut être important. Il l’a été du côté de l’usine de la Rance, au moment de sa construction, notamment. Pour permettre aux ouvriers de travailler à sec, l’estuaire a été isolé du reste de la mer durant trois ans. Les espèces marines ont alors presque totalement disparu. Le barrage avec ses vannes permet aujourd’hui de créer une voie d’accès pour la faune et la flore. Mais il aura fallu une dizaine d’années pour que l’écosystème retrouve son équilibre. Et la présence de l’ouvrage empêche toujours la marée d’éliminer efficacement les sédiments qui ont tendance à s’accumuler dans certains bras de l’estuaire.

Les centrales qui fonctionnent au remplissage ont aussi un impact sur l’écosystème. Parce qu’elles demandent à maintenir un niveau bas assez longtemps côté bassin. De quoi poser des problèmes aux écosystèmes et à la navigation. C’est aussi là que le bât des lagons marémoteurs blesse. Au-delà du fait d’être étendus et coûteux, ils restent installés sur des profondeurs d’eau assez faibles. Dans des zones convoitées pour d’autres usages.