« Pour réussir à limiter le réchauffement climatique, nous aurons besoin de toutes les solutions bas-carbone », aiment à rappeler les spécialistes de la question. Parmi les énergies renouvelables, l’hydraulique occupe déjà une place de choix. Le solaire et l’éolien progressent à grands pas. Mais que pouvons-nous attendre des énergies marines, qui produisent de l’électricité avec les vagues, la houle, les marées et courants ? Des experts nous apportent quelques éclairages.

La planète bleue. C’est le poétique surnom que l’on donne à notre Terre. Poétique, mais aussi réaliste. En effet, l’océan recouvre plus de 70 % de la surface du globe. Alors, à l’heure où nous manquons d’énergies propres, pourquoi ne pas aller en chercher en mer ? L’idée pourrait être bonne. Les experts du programme dédié à celles que l’on appelle les énergies marines renouvelables de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) le confirment dans le rapport annuel 2022. Pour le secteur, l’année a été « profondément encourageante ». Un regain d’intérêt, des démonstrateurs connectés au réseau et même maintenant, des instruments de marché — comme des appels d’offres, des tarifs de rachat, etc.

Avant d’aller plus loin, une petite précision sémantique s’impose peut-être. Il sera question ici de solutions qui permettent de produire de l’électricité à partir des vagues, des courants, des marées, du gradient de température entre les eaux de surface et les eaux profondes ou encore du gradient de salinité. La question des éoliennes en mer ne sera pas abordée.

« Ces énergies ont en commun d’être marines, mais elles sont très différentes les unes des autres », commente le président du Pôle énergie de l’Académie des technologies, Dominique Vignon, en introduction. Très différentes d’un point de vue technologique. Mais aussi concernant leur degré de maturité et des perspectives de développement qui s’offrent à elles.

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L’avenir très incertain de l’énergie marémotrice

L’usine marémotrice de la Rance en Bretagne / Image : Wikimedia.

Commençons notre tour d’horizon par l’énergie marémotrice. Parce que la France est pionnière en la matière. Notre pays a mis en service, du côté de La Rance (Bretagne), une usine marémotrice dès 1966. Elle est restée jusqu’en 2011, la plus puissante du monde avec ses 240 MW installés. Elle a ensuite été détrônée par la centrale marémotrice de Sihwa (Corée du Sud) et ses 254 MW.

« L’usine de La Rance fonctionne toujours parfaitement bien », remarque Dominique Vignon. En exploitant le flux et le reflux de la marée. Et pour Florence Daubrée, responsable énergies marines renouvelables au Syndicat des énergies renouvelables (SER), « il existe des possibilités de développement pour cette technologie ». Même si « elle présente des défis ». Une expression joliment choisie pour dire que l’impact environnemental des usines marémotrices pose question. À tel point que Dominique Vignon en est convaincu, « si c’était à refaire aujourd’hui, le projet de La Rance ne passerait aucun barrage environnemental ».

Ceux que les experts appellent les lagons marémoteurs pourraient malgré tout se développer. « Il faudra s’assurer au préalable que le projet respecte suffisamment les écosystèmes. Mais l’avantage, c’est que ces lagons peuvent s’inscrire dans des projets de territoire. Permettre, par exemple, de protéger le trait de côte tout en produisant de l’électricité », indique Florence Daubrée.

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La France présenterait un potentiel de production de 25 TWh par an, soit un peu plus de 5 % de la consommation électrique de notre pays. Et cela pourrait faire des lagons marémoteurs de véritables acteurs de notre transition énergétique. D’autant que contrairement à d’autres énergies renouvelables que l’on connait bien, l’énergie marémotrice est 100 % prévisible. On connait l’amplitude des marées et les horaires exacts auxquels elles se produisent.

Pourtant, Dominique Vignon n’y croit pas. La meilleure preuve, pour lui, c’est qu’« à l’heure actuelle, il n’y a tout simplement aucun projet en France ». Pour une raison économique, peut-être aussi. « Parce que l’on compte sur une différence de hauteur entre marée haute et marée basse qui reste modeste et que l’on est contraint, du coup, à imaginer des lagons très grands. »

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Les hydroliennes : des éoliennes sous l’eau

Une hydrolienne au Canada / Image : Getty.

« La filière énergies marines renouvelables la plus avancée aujourd’hui – même si c’est assez loin derrière la filière éolienne en mer –, c’est la filière hydrolienne », enchaîne Jérémy Simon, le délégué général adjoint du SER. « Elle a un vrai potentiel. La phase des démonstrateurs est en train de s’achever. Les fermes pilotes émergent aujourd’hui. Et tout ça nous mène sur une trajectoire de baisse des coûts crédible et plus que raisonnable. Nous plaidons aujourd’hui pour l’inscription d’objectifs dans la prochaine Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) qui permettraient le développement de parcs commerciaux. »

Côté projets, il y a ceux de la PME quimpéroise Sabella, immergés depuis plusieurs années au large des côtes bretonnes pour l’alimentation de l’île d’Ouessant. Il existe également le projet FloWatt, porté par la PME HydroQuest, qui vise à installer 7 hydroliennes de 2,5 MW chacune dans le Raz Blanchard. Grâce à ce projet, il sera possible d’alimenter en électricité 20 000 foyers du cap de la Hague. Le projet doit s’étaler sur une durée de 5 ans et commencer dès cette année, la Commission de régulation de l’énergie ayant donné son aval. Concernant le « vrai potentiel », il serait question, pour la France, d’au moins 5 GW, dont 3 GW pour le seul Raz Blanchard. Le coût, quant à lui, pourrait descendre à 100 €/MWh. « C’est plutôt compétitif pour une énergie renouvelable », commente Florence Daubrée.

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« Les hydroliennes — qui ressemblent à des éoliennes immergées dans les mers ou dans les fleuves — exploitent l’énergie cinétique des courants de marée », rappelle Anne-Claire Bennis, spécialiste en hydrodynamique à l’université de Caen Normandie. « Elles nécessitent donc d’être déployées sur des sites avec des forts courants de marée, d’une vitesse moyenne d’environ 2 m/s. Il y en a dans la Manche, en mer d’Iroise, en mer d’Écosse ou encore du côté du Canada et dans quelques autres endroits au monde. Mais il y a beaucoup moins de sites potentiels que pour les éoliennes en mer. De plus, les sites concernés restent difficilement instrumentalisables en raison de leur fort hydrodynamisme. Les déploiements et la maintenance s’annoncent coûteux. Cependant, des programmes sont en place pour trouver des solutions et réduire les couts. »

Les hydroliennes promettent, elles aussi, une production prédictible car elles utilisent l’énergie des courants de marée. Mais « les hydroliennes arrivent surtout avec une très forte densité énergétique », explique Florence Daubrée. Elles peuvent produire beaucoup en occupant une zone réduite. « Rien que sur le Raz Blanchard – qui, il est tout de même bon de le signaler, est une exception, le site le plus prometteur au monde –, le potentiel est d’environ 3 GW. De quoi produire annuellement entre 11 et 13 TWh d’électricité, ce qui représente l’équivalent d’un EPR », souligne Anne-Claire Bennis.

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L’autre avantage, c’est que l’impact sur l’environnement semble réduit. Les études montrent une absence de risques de collision. « Les pales tournent lentement et les poissons aussi bien que les mammifères marins les évitent facilement », précise Florence Daubrée. « On a même plutôt tendance à observer des effets récifs à la base. » « Et les hydroliennes posent moins de problèmes d’acceptabilité sociétale que les éoliennes parce qu’elles ne sont pas visibles depuis la terre ou la surface de la mer. Implantées dans des zones à fort courant, elles gênent aussi moins les marins et les pêcheurs », ajoute Anne-Claire Bennis.

Immergées dans des fleuves, les hydroliennes pourraient même servir à produire de l’électricité à l’échelle de petites villes. À condition que le fleuve affiche un certain débit. Or en France, les fleuves sont déjà pas mal entravés par des barrages. Mais un site d’essai, SEENEOH, existe tout de même du côté de l’estuaire de la Gironde avec l’ambition de préparer un déploiement dans la Garonne, la Loire ou encore le Rhône.

Alors, verrons-nous un jour des hydroliennes venir diversifier notre mix électrique ? « J’en suis convaincue », affirme Anne-Claire Bennis. « Mais ce ne sera pas avant 2030. » D’autant que pour l’heure encore, « les hydroliennes souffrent d’une absence de soutien de la part des pouvoirs publics », estime Dominique Vignon.

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L’énergie houlomotrice au sommet de la vague ?

La plateforme houlomotrice Wavegem sur le site d’essai SEM-REV / Image : Wavegem.

En attendant, allons voir d’un autre côté, celui de l’énergie houlomotrice, l’énergie des vagues. « Sur notre façade atlantique, le potentiel est connu. Il est de l’ordre de 10 à 15 GW. Et il reste à étudier celui de la Méditerranée et des Outres-Mers », indique Florence Daubrée pour introduire le sujet. Avant d’en présenter quelques atouts. Même si les champs houlomoteurs les plus classiques devraient rester offshores, ils pourraient aussi s’intégrer à des digues ou être accrochés à des quais.

« De quoi les inscrire également dans des projets de territoire. De protection du trait de côte ou de rénovation d’un port. Cette énergie est bien moins prévisible que celles dont nous avons parlé précédemment. Mais elle a l’avantage de rester complémentaire des autres énergies renouvelables (EnR). Les systèmes houlomoteurs produisent ainsi généralement plutôt bien le soir et l’hiver, quand les besoins sont importants. »

En Bretagne, un projet de digue productrice d’énergie est en cours de test, le projet DIKWE. En Méditerranée, le projet Wave Energy Converter espère alimenter 3 000 foyers. La société européenne CorPower Ocean développe quant à elle des bouées hightech destinées à maximiser la production d’électricité à partir des vagues. « Beaucoup d’acteurs testent des technologies de plus en plus concluantes », souligne Florence Daubrée. « La filière mérite d’être soutenue. Et peut-être ainsi sera-t-elle, elle aussi, candidate à intégrer la PPE qui viendra après celle qui est aujourd’hui débattue. »

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De l’énergie dans les différences de salinité

Schéma d’une usine osmotique / Image : Sweetch Energy.

D’autres énergies marines renouvelables patienteront probablement un peu plus encore avant de venir soutenir nos efforts de décarbonation. C’est le cas de l’énergie osmotique, qui joue sur la différence de salinité par exemple, entre l’eau douce et l’eau de mer. « Je n’ai pas connaissance du moindre projet industriel dans ce domaine », commente Dominique Vignon. « Autant, j’imagine que demain, nous pourrions produire en série des hydroliennes de 1 ou 2 MW, autant l’énergie osmotique, c’est selon moi encore du domaine du CNRS. »

« Nous n’en sommes ici qu’au stade des prototypes », confirme Florence Daubrée. « Mais il faut garder un œil attentif sur le sujet, car le potentiel de production est important. De l’ordre de 1 600 à 2 000 TWh par an dans le monde. » « Si l’on collectait la totalité de l’énergie osmotique disponible dans tous les estuaires du monde, le potentiel serait même de l’ordre de la consommation d’électricité mondiale actuelle. C’est colossal. Mais bien sûr, ce n’est pas concevable. Ne serait-ce que d’un point de vue de l’impact écologique », précise Cyril Picard.

Justement, il est enseignant chercheur à l’Université Grenoble Alpes (Laboratoire Interdisciplinaire de Physique de l’Université de Grenoble-Alpes). Et il note qu’effectivement, si plusieurs technologies semblent pertinentes sur le papier, leur mise en œuvre pratique s’avère délicate.

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« L’énergie osmotique est une énergie renouvelable et non-intermittente. L’idée, c’est de prélever de l’eau douce d’un côté et de l’eau salée de l’autre. Tout se passe dans un bâtiment posé à terre, au niveau de l’estuaire d’un fleuve. Ça facilite les opérations de maintenance. On détourne en plus de l’eau juste avant qu’elle ne se jette à la mer. Cela limite les conflits d’usage. Et puisqu’il n’y a pas de barrage, l’emprise est bien plus modeste que celle d’une usine marémotrice, par exemple », explique-t-il.

L’emprise dans le fleuve du moins. Parce qu’au niveau de l’usine, c’est un peu différent. La technologie repose en effet sur l’emploi de membranes sélectives. « Les prototypes mis en œuvre à ce jour ont été capables de produire quelques watts par mètre carré de ces membranes. Pour obtenir des puissances importantes, il s’avère nécessaire de mobiliser de très grandes surfaces de membranes », précise Cyril Picard.

Des résultats médiocres ? Oui, en partie du fait de la difficulté à approvisionner en eau douce et eau salée directement les surfaces des membranes. Les performances obtenues sont pour l’heure beaucoup plus faibles que celles espérées. « Si nous voulons développer l’exploitation de l’énergie osmotique, nous devrons lever ce verrou », commente le chercheur.

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Il cite malgré tout quelques projets pilotes intéressants. En Norvège, aux Pays-Bas, en Italie. « Au Japon, ils visent 13 W par mètre carré de membrane. C’est prometteur. » Mais le projet de Sweetch Energy pourrait l’être encore plus. « Ils s’installent sur le Rhône. Ils ont développé des membranes biosourcées et il semblerait qu’ils aient trouvé une architecture qui permet de limiter le problème d’approvisionnement. L’ambition est de faire 2 ou 3 fois mieux que le projet japonais. » Grâce entre autres à la salinité de la Méditerranée. D’ici 2030, Sweetch Energy espère ainsi produire l’équivalent de la consommation d’électricité de la ville de Marseille.

« Les années à venir seront décisives. Si ces prototypes donnent des résultats, le procédé se généralisera très probablement », poursuit Cyril Picard. « Il faut avoir en tête que la pression osmotique développée par les fleuves du monde se jetant à la mer, c’est l’équivalent d’une chute d’eau de 300 mètres de hauteur. On comprend alors bien le potentiel de cette énergie. Il est aujourd’hui complètement inexploité. Alors, même si on n’en exploitait qu’une petite part, cela pourrait profiter au mix électrique. »

Exploiter l’énergie thermique des mers pour compléter le mix

La centrale de thalassothermie « Massileo » à Marseille / Image : Révolution Énergétique.

Le dernier potentiel à explorer, c’est celui de l’énergie thermique des mers, aussi appelée « thalassothermie ». L’idée de produire de la chaleur, du froid ou encore de l’électricité à partir des différences de température qui existent entre les eaux de surfaces et les eaux plus profondes. « À Monaco, de tels systèmes sont déjà utilisés pour le chauffage et la climatisation. La technologie est éprouvée et elle peut fonctionner sur toutes les côtes où le différentiel est important », précise Florence Daubrée. « Il commence aussi à se développer des projets de production d’électricité. Mais ils restent encore limités, avec de faibles puissances. »

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« De plus en plus d’acteurs se positionnent sur les énergies marines. Comme une sorte de confirmation qu’elles ont bien la capacité de contribuer au mix énergétique de demain. D’autant qu’elles répondent à l’idée de foisonnement, de multiplication des modes de production pour répondre au défi de la variabilité  des EnR. L’Europe garde une certaine avance en la matière, mais les États-Unis et la Chine rattrapent peu à peu leur retard », résume finalement Jérémy Simon.

« Il faut malgré tout garder à l’esprit que, quelle que soit son origine, une source d’énergie renouvelable reste une source très diluée. L’exploiter implique de mobiliser des infrastructures et des espaces conséquents et beaucoup de matériaux. Il semble donc un peu illusoire de croire que nous pourrons continuer à fonctionner comme nous fonctionnons aujourd’hui à partir de ces seules EnR. Mais si nous faisons le pari que la société peut se transformer, elles peuvent devenir tout à fait pertinentes. À condition que l’on oublie pour de bon l’idée de la solution unique et que l’on accepte enfin de compter réellement sur un mix le plus large de technologies », conclut Cyril Picard.