L’énergie nucléaire est une source d’énergie très dense, indépendante des sources fossiles, et dont le rôle potentiel dans la transition énergétique ne peut être négligé. Mais comment parviennent-elles à extraire toute cette énergie du cœur de la matière ?

Une centrale nucléaire fonctionne sur le même principe que les autres centrales thermiques : la source primaire d’énergie est une source de chaleur. La différence principale réside dans le corps qui va produire la chaleur. Ainsi, dans une centrale thermique à flamme, il s’agit d’un carburant (fioul, gaz naturel, etc.) qui, mélangé à l’air, va brûler et produire de la chaleur. Pour le cas d’une centrale solaire à concentration, la lumière concentrée du soleil réchauffe un capteur qui devient la source de chaleur. En ce qui concerne la centrale nucléaire, il s’agit d’un corps constitué d’uranium fissile, et dont la disposition permet la perpétuation de la fameuse « réaction en chaîne de fission nucléaire ».

Mais pour toutes les centrales thermiques, la suite est la même : cette chaleur est ensuite transférée à un fluide appelé caloporteur (pour « porteur de chaleur »), très souvent de l’eau, mais pas nécessairement, dont les transformations au sein d’un cycle thermodynamique permettent la mise en rotation d’une turbine. Cette dernière entraîne un alternateur, dont la rotation va produire de l’électricité, qui sera ensuite injectée dans le réseau électrique.

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Comprendre la réaction de fission nucléaire

La réaction de fission nucléaire désigne l’absorption d’un neutron par un noyau d’atome propice, dit « fissile ». Cette absorption amène le noyau dans un état instable, et il va très rapidement se casser approximativement en deux. Par exemple, l’absorption d’un neutron par un atome d’uranium-235 va générer un autre isotope de l’uranium, l’uranium-236 ; ce dernier a autant de protons que l’uranium-235, mais un neutron en plus.

Cette configuration est très instable, il va donc très rapidement se diviser en un deux noyaux plus petits, dont la nature est aléatoire, par exemple, le krypton-93 et le baryum-140. Cette réaction nucléaire, c’est-à-dire « du noyau de l’atome », va produire une grande quantité de chaleur, qui sera déposée dans la matière du combustible lui-même, et qui sera transmise au caloporteur. Cette énergie est incroyablement dense, de l’ordre de 100 000 fois celle des carburants chimiques.

Schéma représentant la fission nucléaire et la réaction en chaîne pour l’uranium et le thorium / Image : Corinne Beurtey – CEA.

Provoquer une réaction en chaîne est plus difficile qu’on ne le pense

La fission génère par ailleurs entre deux et trois neutrons, lesquels sont susceptibles d’être absorbés par les atomes d’uranium environnants, conduisant à une multiplication du nombre de fissions. Il faut savoir que cette absorption ne va pas de soi, toutefois : la taille, la composition et la géométrie du cœur du réacteur doivent être précisément calibrées pour le permettre. Lorsque c’est le cas, on dit que le cœur est « critique », notion qui est à rapprocher de celle de « masse critique », c’est-à-dire la masse qui, à géométrie et composition donnée, est la masse minimale suffisante de matière fissile pour que les réactions en chaîne puissent se perpétuer.

Il faut savoir que lors de la fission, les neutrons sont éjectés avec une grande vitesse, et il est nécessaire, pour que la fission se produise avec une probabilité suffisante, que cette vitesse soit calibrée dans un domaine favorable. Par rapport à cela, les réacteurs fonctionnent dans deux principaux régimes : celui des « neutrons rapides », dans lequel la vitesse des neutrons est peu modifiée, et celle des « neutrons thermiques », dans lequel elle a été très significativement réduite par l’interaction avec des matériaux spécifiques, appelés « modérateurs ».

Depuis la première fois que de l’électricité a été produite par une source nucléaire, par le réacteur EBR-I sur le sol étasunien en 1951, une très large variété de technologies de réacteurs ont vu le jour. Les principales différences entre elles concernent pour l’essentiel la nature du matériau constituant le combustible nucléaire, la présence ou non du modérateur et sa composition, et enfin la nature du fluide caloporteur.

Fonctionnement d’un réacteur à eau pressurisée (REP)

Schéma de principe d’un réacteur à eau pressurisée / Image : Steffen Kuntoff, retouchée par RE.

Les réacteurs à eau pressurisée (REP) est la technologie principale des réacteurs construits en France ; elle dérive de la technologie compacte développée pour alimenter les marines militaires, notamment les sous-marins dont l’autonomie en mission est cruciale. Dans ce concept, le combustible est constitué d’un oxyde d’uranium (UO2), ou un mélange d’oxyde d’uranium et de plutonium (UO2 + PuO2, appelé MOX), faiblement enrichi. Il s’agit de matériaux réfractaires, qui ne fondent qu’au-delà de 2 500 °C.

Ces réacteurs fonctionnent en régime des « neutrons thermique » ; les nerereutrons doivent donc être ralentis par un modérateur. En l’occurrence, il s’agit de l’eau, laquelle a également pour fonction de transmettre la chaleur jusqu’à la turbine. Au travers du cœur, cette eau est réchauffée de 290 °C à 320 °C environ et pour qu’elle reste liquide, c’est-à-dire pour qu’elle n’entre pas en ébullition, elle doit être portée à haute pression, à savoir 150 bars environ.

Fonctionnement d’un réacteur à eau bouillante (REB)

Schéma de principe d’un réacteur à eau bouillante / Image : Cj73.

Dans un réacteur à eau bouillante (REB), la nature du combustible et le régime de fonctionnement sont très similaires à ceux du réacteur à eau pressurisée. La différence principale réside dans le fait qu’au travers du passage du cœur, l’eau s’échauffe jusqu’à entrer en ébullition. Cette conception permet en général une conception simplifiée par rapport aux REP, et c’est la technologie phare de General Electrics, ainsi que celle de plusieurs réacteurs de conception allemande.

Fonctionnement d’un réacteur à neutrons rapides (RNR)

Schéma de principe d’un réacteur rapide à caloporteur sodium / Image : INL.

Nous avons évoqué la possibilité pour un réacteur de fonctionner dans le régime des « neutrons rapides ». Dans cette technologie, il n’y a pas de modérateur pour ralentir les neutrons. La conséquence principale est que ces réacteurs doivent être plus grands à même unité de puissance de façon à compenser la diminution de la probabilité de fission, ou la matière fissile doit être plus enrichie. L’avantage principal de ce type de concept est la possibilité de pouvoir générer plus facilement des matières fissiles à partir de matières non fissiles (comme l’uranium-238 ou le thorium, il s’agit de la notion de « surgénération »), ainsi que de consommer les principaux émetteurs de radioactivité à vie longue des déchets de combustible nucléaires.

La technologie la plus connue en France est celle des RNR-Na, pour Réacteur à Neutrons Rapide à caloporteur sodium (de symbole chimique « Na »). Dans ces réacteurs, le combustible est un mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium. Le caloporteur est constitué de sodium liquide, et il est porté à plus de 600 °C au travers du cœur, largement au-delà de sa température de fusion, à savoir environ 100 °C. La chaleur est emmenée ensuite jusqu’à un circuit thermodynamique basé sur l’eau en tant que caloporteur. Ce type de réacteur est celui des modèles français Phénix, Superphénix, et son successeur Astrid.

Les RNR-Na font partie des concepts de réacteurs de IVᵉ Génération. Une variante est le réacteur à plomb fondu (RNR-Pb), dans lequel le caloporteur est du plomb, porté à 550 °C ou plus. Le prototype russe BREST-300 est basé sur cette technologie, tout comme le concept de petit réacteur modulaire (SMR en anglais, pour « Small Modular Reactor ») de la start-up Newcleo, fondée par Stefano Buono.

Fonctionnement d’un réacteur à sels fondus (MSR)

Schéma de principe d’un réacteur à sels fondus / Image : INL.

Les réacteurs à sels fondus (MSR en anglais, pour « Molten Salt Reactor ») procèdent d’un principe original. Dans toutes les technologies précédemment décrites, le combustible nucléaire est sous forme solide, généralement sous la forme de petites pastilles solides d’oxyde d’uranium ou de plutonium, insérées dans de longs tubes en alliage de zirconium ou en acier. Dans les MSR, le combustible est sous la forme d’un sel par exemple de lithium-beryllium dans lequel est dissous l’isotope fissile, typiquement l’uranium ou le plutonium. Ce sel est porté à plus de 500°C et reste à l’état liquide.

La géométrie du réacteur est conçue de façon à ce que les réactions nucléaires ne peuvent se produire au sein de ce fluide que dans le cœur du réacteur ; lorsque le caloporteur réchauffé est entraîné vers les systèmes de conversion de puissance, il reste inerte du point de vue nucléaire. Les MSR peuvent être conçus pour fonctionner en régime rapide, ou en régime thermique par exemple en plaçant dans le cœur du réacteur un modérateur à base de graphite ou d’oxyde de béryllium.

Les avantages sont multiples, citons ne serait-ce que la possibilité d’éliminer le risque de fusion du cœur, le cœur étant déjà liquide. Il est également possible d’utiliser du thorium comme combustible, et d’éliminer les déchets de combustible en filtrant en ligne le caloporteur. Les MSR ont été développés très tôt. Par exemple, les prototypes HTRE-2 et HTRE-3, ont été construits dans les années 50 aux États-Unis, dans l’objectif d’équiper des avions à propulsion nucléaire, qui auraient eu l’avantage de pouvoir voler pendant de très longues durées sans avoir à se ravitailler en carburant.