L’impressionnant développement des parcs éoliens terrestres en France depuis une quinzaine d’années ne se fait pas sans quelques interrogations, et le béton utilisé pour leurs fondations en fait partie. Qu’en est-il vraiment ? Les fondations des éoliennes sont-elles un réel problème pour l’environnement, comme le prétendent certains opposants ?

Si les éoliennes sont un atout indispensable pour la transition énergétique, certains aspects suscitent la polémique, comme la quantité de béton nécessaire pour leurs fondations. Selon le syndicat des professionnels de l’éolien « France Énergie Éolienne » (FEE), la masse de béton utilisée varierait de 600 à 800 tonnes par turbine. Sujet de discorde, ces fondations posent question tant pour les émissions de CO2 générées à leur fabrication que pour la pollution potentielle des sols. Dans cet article, nous allons donc tenter de faire la lumière sur ce sujet et d’estimer leur impact environnemental.

À quoi ressemblent les fondations d’une éolienne terrestre ?

Avant de s’attaquer aux enjeux qui entourent les fondations d’éoliennes, voyons d’abord à quoi elles ressemblent. Il est important de noter que ces fondations sont conçues pour supporter le poids de celle-ci, mais surtout pour en assurer la stabilité mécanique lorsqu’il y a du vent. Elles sont ainsi dimensionnées en fonction de la taille de l’éolienne, de sa prise au vent, des conditions climatiques du site, mais également de la nature du sol.

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En France, les éoliennes terrestres ont une puissance moyenne de 1,8 à 3 MW, pour une hauteur de mât comprise entre 80 et 110 mètres et un poids total proche des 250 tonnes. Leurs fondations, de type embase poids, ont généralement une forme circulaire d’environ 15 mètres de diamètre et de 1,5 mètre d’épaisseur pour un total de 600 à 800 tonnes de béton et 25 tonnes d’acier. Lorsque l’installation d’une simple embase poids n’est pas suffisante, le sol peut être renforcé par des colonnes ballastées qui permettent de le rigidifier. Si ce n’est pas suffisant, il est possible de recourir à des fondations profondes grâce à la mise en place de pieux en béton. Dans quelques cas, des plaques d’acier sont posées en surface, au pied de l’éolienne, pour stabiliser sa fondation en béton.

À titre de comparaison, la quantité de béton utilisé pour les fondations d’une éolienne est à peu près équivalente à celle de 4 maisons de 70 m² en maçonnerie traditionnelle, soit environ 34 camions toupies. Ce timelapse d’un chantier éolien permet d’observer le volume de matériaux enfoui sous la surface.

Une dette carbone rapidement compensée

Par leur taille, ces fondations ont un impact environnemental non négligeable. Si le béton, inerte, ne présente pas réellement de risque pour l’environnement, sa fabrication est particulièrement énergivore. On estime qu’une tonne de béton génère aujourd’hui 235 kg de CO2, et une tonne d’acier génère 585 kg de CO2. Ainsi, la fondation d’une éolienne est responsable de l’émission d’environ 155 tonnes de CO2. C’est autant  que 700 000 km en voiture, selon le comparateur Impact CO2 de l’ADEME.

Toutefois, 155 tonnes de CO₂ équivalent également à 310 MWh d’électricité produite à partir de gaz fossile (500 g/kWh) ou 155 MWh à partir de centrales au charbon (1 000 g/kWh). Or, une éolienne de 2 MW produit normalement 4 100 MWh chaque année, en considérant le facteur de charge moyen de l’éolien terrestre en Europe entre 2018 et 2021 (23,5 %). Sa dette carbone est donc compensée en quelques mois, si elle évite de produire de l’électricité à partir de centrales très polluantes.

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Outre la fondation en elle-même, les voies d’accès nécessaires à l’installation et à la maintenance des éoliennes peuvent grandement modifier les sols. Elles doivent en effet supporter le passage de nombreux camions, dont le convoi principal qui transporte le mât et fait généralement plus de 100 tonnes. Cela se traduit par la création de cheminements spécifiques, ou le renforcement des voies existantes ainsi que leur élargissement à 5 mètres. Ces chemins sont parfois réalisés à partir de granulats concassés sur une épaisseur de plusieurs dizaines de centimètres.

À la fin de la période d’exploitation, les fondations d’éoliennes n’étaient autrefois que partiellement démantelées : seule la partie supérieure était rognée. Depuis le 22 juin 2020, un nouvel arrêté oblige désormais les exploitants à « l’excavation totale des fondations et le remplacement par des terres de caractéristiques comparables aux terres en place à proximité de l’installation ». Cette mesure permet de restituer des sols dans un parfait état, si le site n’est pas à nouveau utilisé pour la production éolienne. Cette vidéo donne un aperçu d’un chantier de démantèlement d’une fondation d’éolienne.

Certaines fondations peuvent être stabilisées avec des pieux profonds / Image : Peikko Group.

Quel impact par rapport à d’autres moyens de production ?

Pour avoir une idée de ce que représente réellement la quantité de béton nécessaire aux fondations d’une éolienne, il convient de la comparer à celle utilisée pour d’autres moyens de production, rapportée à leur production électrique. En France, les trois principaux « rivaux » de l’éolien sont le photovoltaïque, l’hydroélectrique, et le nucléaire.

Concernant la consommation de béton, le photovoltaïque fait figure de meilleur élève. Si en phase d’exploitation, cette technologie requiert d’immenses surfaces, les champs solaires ne nécessitent aucune fondation en béton. Les panneaux sont montés sur des structures métalliques basiquement enfoncées dans le sol. Seuls les locaux techniques attenants et les infrastructures de support sont équipés d’une simple dalle en béton. Dans la centrale photovoltaïque de Cestas ou la centrale solaire à concentration de Llo, par exemple, les panneaux sont installés grâce à des pieux battus, ce qui permettra une remise en parfait état du site à la fin de l’exploitation.

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Il reste donc les barrages hydroélectriques et les centrales nucléaires. Comparer leur impact environnemental précis nécessite des calculs d’une très grande complexité. Nous nous livrerons donc plutôt ici à établir des ordres de grandeur qui nous permettront de constater les éventuelles différences entre ces différents moyens de production. Pour cela, calculons simplement le rapport entre la quantité d’électricité totale produite sur la durée d’exploitation du moyen de production et la quantité de béton nécessaire à sa construction.

Hydraulique et nucléaire, complexes à comparer

Notre point de référence est une éolienne terrestre française dont la taille et la puissance est dans la moyenne nationale, avec un facteur de charge dans la moyenne européenne (23,5 %). Ainsi, sur une durée de vie de 20 ans, une éolienne de 2 MW produit environ 82 GWh. Sachant que la fondation d’une éolienne nécessite 600 tonnes de béton, on peut en déduire qu’il faut 7,3 tonnes/GWh.

Réaliser un calcul similaire pour les centrales hydroélectriques est très compliqué, car celles-ci n’ont pas de durée de vie prédéfinie et leurs caractéristiques varient considérablement d’un site à l’autre. Pour se faire tout de même une idée, nous avons choisi de prendre l’exemple du barrage de Génissiat, second plus grand barrage français mis en service en 1948. 1,3 million de tonnes de béton ont été nécessaires pour sa construction ainsi que celle de l’usine attenante. Depuis sa mise en service, il a produit annuellement 1,7 TWh, ce qui donne un total de 126 000 GWh sur 74 ans. Le rapport de cette production sur la quantité de béton nécessaire atteint 10 tonnes/GWh.

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Enfin, pour l’énergie nucléaire, prenons pour exemple le futur EPR de Flamanville. Celui-ci, dont la mise en service est prévue en 2024, nécessite un million de tonnes de béton et 50 000 tonnes d’armature métallique. En prenant en compte le facteur de charge du nucléaire français (68 %) par rapport à la puissance électrique théorique de l’EPR de Flamanville (1 600 MW), on obtient une production totale sur les 60 ans de durée de vie de l’EPR de 568 000 GWh. Ramené à la quantité de béton nécessaire à la construction de l’EPR, il faut ainsi 1,7 tonne/GWh produit.

En résumé, nous obtenons 7,3 tonnes par GWh produit pour l’éolien, 10 tonnes par GWh pour l’hydroélectricité et 1,7 tonne par GWh pour le nucléaire. Si ce chiffre à lui seul ne résume pas l’impact environnemental de chaque mode de production, on constate tout de même que l’éolien fait mieux que l’hydroélectricité, mais reste éloigné du nucléaire en termes d’utilisation du béton.

Une optimisation possible des fondations d’éoliennes

Heureusement, ce constat n’est pas une fatalité, et plusieurs pistes pourraient permettre de limiter l’impact environnemental de ces fondations. En premier lieu, utiliser du béton bas-carbone peut être un excellent moyen de réduire les émissions de CO2 générées par la construction des fondations. Produit en quantités anecdotiques actuellement, le béton décarboné devrait être de plus en plus utilisé dans les années à venir.

L’entreprise française Hoffmann Green Cement Technologies conçoit notamment un ciment sans clinker (le clinker, principal responsable des émissions de CO2 du béton, est un produit obtenu grâce à la cuisson à très haute température de calcaire et d’argile.) dont les émissions de CO2 sont divisées par 5 par rapport à un ciment traditionnel.

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La réutilisation des fondations d’éoliennes est également une méthode efficace pour réduire leur impact carbone. La durée de vie du béton est donnée pour environ 100 ans, tandis que celle des éoliennes est de l’ordre d’une vingtaine d’années. Certains exploitants préfèrent d’ailleurs rénover leurs éoliennes (remplacement des pales, du générateur et de la boîte de vitesses, par des modèles plus efficaces) en adaptant simplement la fondation existante, plutôt que de démolir l’ensemble pour installer des turbines modernes.