De plus en plus d’éolien et de solaire pour éliminer les fossiles : c’est le chemin emprunté pour notre transition énergétique. Ces moyens de production bas-carbone, mais non pilotables, imposent de repenser le réseau électrique afin de préserver sa flexibilité. Notamment grâce à des solutions de stockage, dont le développement peut manquer d’ambition.

La notion de transition énergétique telle que nous l’entendons aujourd’hui est apparue il y a quelques décennies, maintenant. Elle renvoie à l’idée d’abandonner les énergies fossiles pour développer un système faiblement carboné, basé sur des énergies renouvelables et, dans certaines variantes, le nucléaire.

Une transition qui peut aussi s’envisager comme le passage d’un système comptant sur des énergies « de stock » — le pétrole, le gaz ou le charbon, voire l’uranium — à un système reposant sur des énergies « de flux » — comme l’éolien, le solaire et l’eau. Sur le papier, l’ambition est belle. Dans la pratique, elle n’est pas si simple à mettre en œuvre. Pourquoi ?

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Stocker l’énergie pour la rendre flexible

« Parce que l’éolien et le solaire ne sont pas pilotables », nous explique en introduction David Teixeira, chef de projet stockage de l’énergie à l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN). En d’autres mots, l’éolien, par exemple, produit quand le vent souffle, logiquement. Il ne produit pas « à la demande ». Or sur le réseau électrique, nous avons besoin, en permanence, d’équilibrer production et consommation.

Nous avons besoin de « flexibilité », comme disent les experts de la question. De la flexibilité que peuvent apporter à différents degrés certaines centrales hydroélectriques, à biomasse, nucléaires et, bien sûr, les moyens de production fossiles comme les centrales à gaz et charbon. Parce qu’ils sont pilotables. « On peut allumer ou éteindre à volonté les centrales à gaz », nous rappelle Yannick Peysson, responsable du programme stockage et gestion de l’énergie à l’IFPEN. « Le problème, c’est que plus personne ne veut de centrales à gaz. »

L’autre option, c’est de compter sur la flexibilité de la demande. « On peut mettre en place des mécanismes d’effacement. Avec des industriels qui se déconnectent du réseau dans les moments critiques », remarque David Teixeira. Avec une portée toutefois limitée. « Si l’on veut intégrer d’importants moyens de production non pilotables au réseau, il faudra compter sur un autre outil de flexibilité : le stockage. Ce n’est pas la solution de flexibilité la moins chère. Pas non plus la seule à mettre en place. Mais elle viendra répondre à certains de nos besoins. »

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De réels besoins de stockage en perspective

En France, le déploiement du solaire photovoltaïque et de l’éolien ont pris du retard. Et notre réseau électrique profite de la flexibilité relative du nucléaire, mais surtout de la flexibilité de nos quelques centrales thermiques et de celles de nos voisins européens. Même si la transition énergétique est lancée, les besoins en stockage ne sont pas encore importants. Selon les estimations de RTE, ils devraient commencer à se faire ressentir sérieusement à l’horizon 2040. D’ici là, nous devrions avoir bien plus d’éolien et de solaire. Beaucoup de centrales thermiques auront été déclassées un peu partout en Europe.

En 2050, les besoins de stockage en France pourraient croitre jusqu’à 20 GW de capacités. « C’est l’équivalent de 15 % de notre capacité de production électrique de pointe actuelle. C’est très notable », commente David Teixeira. « Et déployer une industrie du stockage, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut d’abord travailler sur des pilotes. Puis sur des démonstrateurs. C’est dès maintenant qu’il faut s’y mettre. Lentement, mais sûrement », prévient Yannick Peysson. « Pourtant, nous n’en prenons pas forcément la direction », nous confie David Teixeira.

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Certes, le petit monde des batteries a donné l’impulsion. L’écosystème se développe autour du véhicule électrique. Et il sera toujours possible de se tourner vers ces batteries pour répondre aux besoins du stockage stationnaire. Pour le solaire que l’on stocke sur des cycles quasi quotidiens, ce n’est pas inintéressant. Et les coûts ne sont pas déraisonnables. « Il faudrait tout de même que cela reste une solution de repli. Parce qu’il y a mieux à faire, plus efficace », nous assure le chef de projet de l’IFPEN.

Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) ou encore le stockage par air comprimé (CAES), par exemple. Ou même l’hydrogène. « Pour stocker l’éolien sur des cycles hebdomadaires, notamment. S’il existe déjà un écosystème hydrogène développé pour alimenter l’industrie avec des électrolyseurs, par exemple, il peut devenir avantageux de réserver une partie de leur fonctionnement au stockage de l’électricité par l’hydrogène. Parce que dans ces conditions, l’essentiel du coût est dans l’investissement initial », nous explique David Teixeira.

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Du stockage à la gestion de l’énergie

Mais stocker de l’énergie, ce n’est pas seulement stocker de l’électricité. « La chaleur, par exemple, c’est une forme d’énergie. Elle est plutôt simple à stocker. Y compris sur de longues périodes — de l’été à l’hiver — et avec des coûts acceptables », souligne Yannick Peysson. « Hier encore, un certain nombre de bâtiments étaient chauffés au gaz », nous raconte David Teixeira.

« Demain, ils le seront grâce à des pompes à chaleur. En y ajoutant un peu d’intelligence, ces pompes reliées à des ballons tampons produiront de la chaleur décarbonée au moment des pics de production solaire, par exemple, et celle-ci pourra être utilisée le soir, au moment des pics de consommation. » Dans un processus que les experts qualifient non plus simplement de stockage, mais de gestion de l’énergie.

L’idée derrière le vehicule-to-grid est un peu la même. La batterie de votre voiture électrique chargée à l’énergie solaire le midi pourrait servir à alimenter votre maison une partie de la soirée. « Sur le papier, c’est très prometteur. La R&D est mobilisée et des tests sont en cours », nous confirme David Teixeira. Mais au-delà des questions techniques qui se posent encore, cela interroge notre société tout entière.

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D’abord, parce qu’il nous faut apprendre à cohabiter avec ces batteries. « Celle d’une simple Zoé est tout à fait capable d’assurer la pleine puissance d’une maison pendant l’heure de pointe du soir tout en conservant l’autonomie nécessaire pour faire le trajet du lendemain jusqu’au bureau ou à l’usine. Et contrairement aux idées reçues, les années qui passent useront beaucoup plus de batteries que les cycles de charge/décharge qu’elles subiront. », nous assure le chef de projet de l’IFPEN.

« Il y a aussi la question de l’usage. Parce qu’il y a fort à parier que dans la journée, les voitures soient chargées en entreprise. Alors que le soir, elles réinjecteront chez des particuliers. Il y a un modèle économique à trouver », ajoute Yannick Peysson. Vont aussi s’y mêler des questions de régulation, de réglementation ou encore des aspects juridiques.

C’est finalement de ce point de vue que le bât blesse surtout pour l’heure. En France comme en Europe. « Les solutions technologiques sont sur la table, mais au niveau de la réglementation, ça n’avance pas beaucoup. Résultat, nous ne savons pas trop où et comment nous allons pouvoir déployer ces solutions », constate David Teixeira. « Sans doute parce que l’administration ne ressent pas encore l’urgence. Dans le monde, c’est parfois différent. En Californie, par exemple, les besoins en stockage sont déjà importants. Il serait dommage que nous finissions contraints d’importer des technologies à ceux qui auront développé leur tissu industriel pendant que nous attendions que des tensions apparaissent sur notre réseau pour réagir. »

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