Après une année 2022 cauchemardesque avec une perte record de 18 milliards d’euros alourdissant sa dette, le gouvernement a remis l’athlète Électricité de France (EDF) sur la piste, pour valider son retour en 2024, à la conquête de médailles pour l’avenir.

2023 aura été l’année déclic pour l’État, qui a coupé court à des années de vaches maigres chez EDF. En affirmant son soutien, avec l’acquisition à 100 % du groupe EDF, l’État veut impulser une ambition de projets nationaux et européens, pour un nouveau rayonnement dès 2024. En février 2022, et un peu à la surprise générale, Emmanuel Macron annonce son intention de relancer le nucléaire civil en France, lors de son discours de Belfort. Le retour du nucléaire français doit permettre de diminuer de 50 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

Le plan a deux objectifs : allonger la durée de vie des réacteurs existants et construire au plus vite 6 EPR nouvelle génération avec 8 autres en projets ultérieurement. Ces ajouts seront réalisés sur les sites existants, en commençant par la centrale de Penly dès 2024, et un objectif de mise en service en 2035 de 2 premiers réacteurs EPR 2.

Les mois suivants de cette annonce, susceptible de remotiver les troupes, furent bien compliqués. Fraîchement nommé, la mission du nouveau PDG d’EDF Luc Rémont paraît alors bien difficile. L’année 2022 est l’une des pires périodes en termes de résultats pour EDF, favorisée par l’arrêt de la moitié de ces réacteurs suite à l’identification du phénomène de corrosion sous contrainte.

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L’ambition retrouvée en 2023

L’objectif assigné à EDF est de rétablir une production à l’image du potentiel existant, d’assurer la maîtrise des projets en cours, et le redressement des finances. Et ce, après une baisse historique de sa production nucléaire liée au phénomène de corrosion sous contrainte affectant les réacteurs les plus récents et les plus puissants. Les contrôles et réparations se sont déroulés sans incident, dans les temps impartis fin 2022 et début 2023.

Le redémarrage de plusieurs réacteurs a permis de renouer avec une production de bon niveau en 2023, avec une estimation à 330 TWh, soit 16 % de plus qu’en 2022. EDF a ainsi renoué avec les bénéfices au premier semestre 2023 et les résultats annuels prochainement connus sont en principe bons.

Préparation physique nucléaire

Le planning du Grand carénage, pour prolonger la vie des centrales, maintient la production à un niveau loin des 400 TWh de 2015, mais dans une fourchette annuelle de 350 TWh, qui est l’objectif sous lequel il ne faut pas descendre. Le démarrage annoncé de l’EPR de Flamanville en 2024, doit permettre de maintenir cette fourchette, car bon nombre d’autres réacteurs sont à vérifier.

Changement de cap, l’objectif n’est plus le remplacement systématique, mais la vérification préalable, pour les réacteurs susceptibles de développer un problème de corrosion sans pour autant remettre en cause la sécurité, en accord avec le gendarme du nucléaire. Ainsi, la condition physique de l’athlète EDF s’améliore avec des soins réguliers et homogènes, permettant d’envisager en 2024 une performance notable, avec un succès espéré et désiré de l’EPR de Flamanville.

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Soigner les finances

Si la qualité athlétique est importante, une rémunération de haut niveau est indispensable pour réussir les investissements du futur et la réduction des dettes en cours. Sur ce dossier, Luc Rémont a imposé sa vision en favorisant la fixation des prix par les marchés, sans se voir imposer par l’État qu’il soit le plus attractif possible.

L’accord sur le prix de l’électricité permet à EDF de se débarrasser de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), mécanisme l’obligeant depuis 2010, à vendre à prix réduit une partie de sa production à ses concurrents, une épine dans le pied du marathonien EDF. L’entreprise pourra vendre son électricité selon ses propres conditions par des systèmes d’enchères ou de gré à gré, selon des contrats à échéance variable, à des prix indexés à ceux du marché, à compter du 1 janvier 2026.

Cette stratégie s’appuie sur une demande forte en électricité et des prix du marché stable de 2023/2024, avec la possibilité d’un prix plancher accordé par Bruxelles, ce qui met EDF à l’abri de toute ingérence de la Commission européenne.

Renforcer les projets

La compétition est la partie visible, toutefois, elle ne peut être que le reflet des projets à mettre en œuvre, dans l’atteinte des objectifs. Voici les projets attendus pour 2024 :

Démarrage de l’EPR de Flamanville avec un raccordement au réseau prévu mi-2024.

– Travaux préparatoires en terrassement et plateforme sur le site de Penly pour deux EPR 2, courant 2024.

– Pose du dôme d’un des réacteurs EPR de Hinkley point avant démarrage à l’horizon 2027.

– Études pour le projet de 8 réacteurs EPR2 supplémentaires, comme l’a laissé entendre Emmanuel Macron en décembre 2023.

L’accélération des performances est notable, pour passer de 2 réacteurs construits en 15 ans à 1,5 réacteur par an en Europe, car un tel niveau de production nécessite un marché à l’exportation. La réduction des délais est le fait que le design des EPR 2 est validé à 70 %, bien mieux affiné, que celui de Flamanville qui était au début des travaux à 30 %.

Le contexte est également favorable au nucléaire avec une volonté de développement au-delà de nos frontières. Des discussions sont en cours avec bon nombre de pays européens, dont une offre récente de 4 EPR en République tchèque. D’autres projets au niveau mondial sont à l’étude, notamment avec l’Inde et plus récemment le Canada.

Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il est nécessaire de doubler le nombre de réacteurs existants (400 unités) au niveau mondial, pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Une quinzaine de pays vont s’orienter vers l’énergie nucléaire dans la décennie à venir. La planification est longue et l’entraînement du marathonien EDF reste un atout, mais c’est loin d’être couru d’avance. Une victoire, par un fonctionnement sans encombre de l’EPR à Flamanville, est essentielle à la réussite des futurs objectifs.

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Suivre les autres compétitions

EDF se veut multi-compétiteur à l’international, et il s’engage dans d’autres disciplines :

– Les small modular réactor ou SMR, de petits réacteurs avec une puissance d’environ 300 MW, conçus en série pour être transportés sur leur lieu de production, avec Nuward.

Grâce au au projet Nuward, EDF s’attaque à une vraie opportunité pour la filière nucléaire française. Celle-ci possède une solide expérience dans les moteurs nucléaires de la Marine. Ce qui ne sera pas de trop, pour contrer l’avance des États-Unis et la Chine dans cette compétition. Bruxelles envisage, en 2024, le lancement d’une alliance industrielle européenne sur les SMR, de quoi conforter EDF dans son implication.

L’éolien en mer est un axe majeur pour l’accélération d’EDF dans le domaine du renouvelable. En décrochant, en mars 2023, l’appel d’offres du 5ᵉ parc d’éolien en mer sur les 8 en développement en France, l’électricien structure son action avec un prix extrêmement agressif. De quoi laisser pantois ses concurrents, alors que le gouvernement envisage un appel d’offres de 10 GW supplémentaire en 2025 au large des côtes françaises.