Les habitants du bassin parisien disposent sous leurs pieds de deux aquifères profonds qui valent de l’or : des nappes d’eau chaude souterraine. Depuis le premier forage réalisé à Melun en 1969, les projets géothermiques s’y sont succédés. Exploités aujourd’hui par une cinquantaine de réseaux de chaleur, ils alimentent l’équivalent de 250.000 logements.
A Bobigny un derrick est à l’œuvre depuis quelques mois. Quatre puits expérimentaux y sont forés. Si le projet réussit, il ouvrira de nouvelles perspectives à la géothermie française.

Situé entre 1.500 et 2.000 mètres de profondeur, le Dogger est le principal aquifère exploité en région parisienne, la plus productive d’Europe pour ce qui concerne le potentiel géothermique. Cette formation géologique calcaire âgée de 150 à 175 millions d’années recèle une nappe fossile dont la température varie entre 60 et 80°C. Fortement chargées en sels minéraux, les eaux saumâtres du Dogger sont impropres à la consommation mais la chaleur qu’elle contient peut être exploitée pour alimenter des réseaux de chauffage urbain. Il s’agit bel et bien d’une énergie renouvelable puisqu’après avoir cédé ses calories dans un échangeur, l’eau est réinjectée dans le sous-sol où elle se réchauffe en circulant dans les couches géologiques. A l’échelle humaine cette énergie est également inépuisable car elle est alimentée principalement par la désintégration naturelle d’éléments radioactifs contenus dans l’écorce terrestre, comme l’uranium et le thorium. Exploitable en continu, la géothermie ne dépend pas des conditions météo et ne nécessite donc pas de stockage. En outre, son exploitation n’émet pas de gaz à effets de serre. En résumé, c’est l’énergie « parfaite » … ou presque.

Raison pour laquelle depuis le premier forage réalisé dans le Dogger à Melun en 1969, les projets géothermiques se sont succédés en Île-de-France. Exploités aujourd’hui par une cinquantaine de réseaux de chaleur, ils alimentent l’équivalent de 250.000 logements. Les conditions y sont en effet réunies pour en faire la plus importante exploitation géothermique d’Europe : un grand bassin sédimentaire doté d’un aquifère d’eau chaude en profondeur et, en surface, une grande densité de population permettant une exploitation économique par les réseaux de chauffage urbain.

Eviter la surexploitation du gisement

Mais le danger qui guette un gisement géothermique est celui de sa surexploitation. L’eau, lorsqu’elle est réinjectée dans la nappe est refroidie à environ 40 °C. L’opération a donc pour conséquence de créer une bulle froide aux alentours du puits de réinjection. Si en surface la tête du puits de pompage et celle du puits de réinjection sont proches l’une de l’autre, ce dernier est foré en oblique pour qu’en profondeur une distance de plusieurs kilomètres sépare le captage de la réinjection.
Malgré tout, une croissance de cette bulle froide peut entraîner à terme le refroidissement de la ressource et remettre son exploitation en question. Dans le bassin parisien, le risque s’est accentué ces dernières années en raison de l’augmentation des nouveaux forages.

En 1985, les spécialistes de l’exploitation du Dogger francilien estimaient que l’extension des zones froides entraînerait la fermeture des réseaux de chaleur géothermiques vers 2005. Mais 30 ans plus tard de nouvelles études basées sur les relevés mensuels effectués par les exploitants ont montré que la géothermie en Île-de-France a encore de beaux jours devant elle. Hormis le cas du forage d’Alfortville où une baisse de 3°C a été constatée, les simulations prédisent une décroissance thermique qui ne devrait pas se ressentir dans l’aquifère avant les années 2040.

Toutefois, pour éviter la surexploitation du gisement et retarder l’échéance, le Sipperec (syndicat intercommunal de Paris pour l’énergie et les réseaux de communication) a décidé d’expérimenter à Bobigny une extraction dans une couche géologique plus profonde, celle du Trias, située sous le Dogger, à 2.100 mètres de la surface. L’eau de cet aquifère est naturellement plus chaude : 80°C contre 60°C dans le Dogger à cet endroit.

L’exploitation du Trias, si elle réussit, serait une première dans l’Hexagone et elle ouvrirait de nouvelles perspectives à la géothermie française. Elle permettrait notamment de prospecter à l’ouest de la région parisienne, où la température de l’eau pompée dans le Dogger n’est pas suffisante pour assurer une exploitation économique. Aujourd’hui, les deux tiers des puits franciliens sont concentrés à l’est, au sud et au nord, principalement dans le Val-de-Marne. Se lancer à la conquête de l’ouest nécessiterait cependant le feu vert de l’Etat et des autorités minières.

Descendre dans le Trias augmente les risques

Le coût des forages plus profonds est évidemment plus élevé : descendre dans le Trias revient à 9 millions d’euros par puits contre 5 millions pour ceux qui s’arrêtent dans le Dogger. Mais l’exploitation d’une eau plus chaude fonde l’espoir de frais d’exploitation plus réduits. Selon le Sipperec, le prix facturé aux utilisateurs du réseau pourrait même être réduit. En surface, l’eau pompée dans le forage n’est en effet pas immédiatement utilisable dans le réseau. Elle cède sa chaleur, dans un échangeur, à un circuit secondaire dont la température doit être rehaussée par des pompes à chaleur, ce qui entraîne des consommations d’électricité. Extraire une eau plus chaude, c’est donc l’assurance de dépenses énergétiques réduites.
La roche du Trias étant plus friable, les risques sont aussi plus élevés et, par le passé, deux tentatives ont déjà échoué. Comme dans l’exploration pétrolière le succès d’un forage géothermique n’est en effet jamais assuré : en bout de course la température de l’eau peut être trop faible ou son débit insuffisant.
L’expérimentation intéresse au plus haut point l’Ademe et la Région, qui financent respectivement 17 et 4 des 78 millions d’euros d’investissements prévus. Le Sipperec apporte presque 50 millions.

A Bobigny, en contrebas du parc de la Bergère, un derrick a entamé le forage de quatre puits le 21 novembre dernier : 2 pour le pompage et 2 pour la réinjection. Les travaux se sont poursuivis pendant toute la durée du confinement. Les puits ont été forés jusqu’à l’aquifère du Dogger à 1.800 mètres de profondeur environ. C’est un succès : les tests réalisés ont montré que les températures et débits sont conformes à ce qui était attendu. La poursuite des forages jusqu’au Trias à 2.100 mètres de profondeur a démarré le 25 mai.

Si tout va bien, le réseau Genyo y verra le jour d’ici 2021. Long de trente kilomètres, il approvisionnera en chaleur verte l’équivalent de 20.000 logements dans la commune et à Drancy, sa voisine. Le projet permettra d’éviter annuellement l’émission de 30.000 tonnes de CO2.

Le succès d’un forage géothermique n’est jamais assuré