Après avoir opté en 2011 pour une sortie du nucléaire, le gouvernement de l’ex-chancelière Angela Merkel s’était aussi engagé en 2019 à fermer toutes ses centrales électriques au charbon d’ici 2038. Un horizon jugé trop lointain par les écologistes et les associations environnementales. Mais après la victoire aux dernières élections d’une coalition dont font désormais partie les Verts d’outre-Rhin, ceux-ci ont obtenu l’année passée de leurs partenaires, une accélération du processus, l’échéance étant maintenant fixée en 2030. Le géant de l’énergie RWE, l’un des plus grands pollueurs d’Europe, a confirmé ce 3 octobre qu’il se plierait à la volonté du gouvernement en fermant toutes ses mines de lignite et ses centrales au charbon d’ici 2030.

L’Allemagne et son charbon, c’est une histoire ancienne. Assis sur d’importantes réserves de houille, mais surtout de lignite[1], le pays a depuis très longtemps misé sur ces combustibles fossiles bon marché pour assurer l’approvisionnement en énergie de son économie, de ses ménages, et plus particulièrement de sa production d’électricité.

Outre-Rhin, l’industrie du charbon a été depuis plus d’un siècle un des piliers du développement économique et un grand pourvoyeur d’emploi. Une orientation prise bien avant qu’il soit question de changements climatiques.

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Chute depuis 2013 du recours au charbon pour la production d’électricité

Contrairement à un mythe fort répandu, le recours de nos cousins germains aux centrales électriques au charbon ne date donc pas de leur décision de sortie du nucléaire, prise après la catastrophe de Fukushima en 2011. Bien au contraire.

Alors qu’en 1990, charbon et lignite confondus comptaient encore pour 56 % dans la production électrique du pays, la réduction depuis 2013 de leur part combinée a été plus de 2 fois plus importante que la chute de la part du nucléaire : – 98 MWh par an contre « seulement » – 41 MWh par an pour l’atome (voir graphique ci-dessous). Le recul de ces deux énergies a été compensé exclusivement par la montée en puissance des renouvelables.

Si le pays est toujours montré du doigt à l’étranger pour ses émissions de CO2 qui, malgré l’effort considérable consenti déjà depuis dix ans, restent encore aujourd’hui parmi les plus importantes d’Europe, toute personne censée devrait pouvoir comprendre qu’un secteur industriel revêtant une telle importance dans un pays, ne peut pas être démantelé en quelques années sous peine de provoquer un bain de sang économique et social.

Attendre cela de l’Allemagne équivaudrait à exiger de la France qu’elle ferme en moins de dix ans tout son secteur nucléaire, y compris la filière du combustible. Quel gouvernement oserait prendre une telle décision ?

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La sortie du charbon en 2030 n’est pas remise en cause

Pourtant, sous la pression des associations environnementales, Angela Merkel et sa coalition se sont engagées en 2019 à sortir complètement du charbon en 2038. Un objectif jugé trop peu ambitieux par les Verts, associés à présent au pouvoir au sein du nouveau gouvernement d’Olaf Scholz (le successeur d’Angela Merkel), lesquels ont réussi à raccourcir de 8 ans, le délai laissé aux énergéticiens pour fermer toutes leurs centrales au charbon. La fin de l’électricité allemande au goût de charbon est donc fixée désormais en 2030.

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Une décision qui n’a pas été remise en cause malgré la crise de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine et la chute drastique des livraisons de gaz russe au pays. Aucune centrale de houille ou de lignite ne va rouvrir. Berlin a tout au plus décidé de verser dans une « réserve de réseau » cinq sites, qui devaient fermer leurs portes fin 2022 et fin 2023 et qui ne seront donc pas démantelés à court terme. Un dispositif qui permet à l’État de faire face à d’éventuelles pénuries.

« C’est amer, mais c’est indispensable pour diminuer notre consommation de gaz », explique Robert Habeck, le ministre écologiste de l’Économie et du climat. « C’est une mesure à court terme, sur une période limitée, jusqu’en 2024. La sortie du charbon en 2030 n’est pas du tout vacillante. La crise énergétique, liée au tarissement du gaz russe qui fait flamber les prix, concentre toute notre attention, mais le principal défi de notre époque est sans aucun doute le réchauffement climatique », a-t-il ajouté.

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RWE se plie à la volonté du gouvernement

Bête noire des écologistes d’outre-Rhin pour ses activités d’extraction de lignite dont l’extension menace des villages et des forêts, le géant allemand de l’énergie RWE, a été longtemps considéré comme l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre en Europe.

Au point que l’assureur français AXA ait annoncé en 2021 qu’il boycotterait désormais les opérations de RWE dont il jugeait le plan de sortie du charbon trop timide. Le Crédit Agricole avait déjà alerté la société lors de son assemblée générale de juin 2020 sur la faiblesse de sa feuille de route.

Lors d’une conférence de presse organisée ce 3 octobre, RWE a logiquement tenu compte de la volonté du gouvernement en annonçant sa décision de fermer ses mines de lignite et ses centrales d’ici 2030 dans le bassin rhénan. Une résolution présentée par certains médias comme une initiative courageuse de l’énergéticien, mais qui en réalité ne l’est pas puisque l’exécutif ne lui laissera pas le choix d’agir autrement.

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« Nous allons mettre fin à la production d’électricité au lignite en 2030 soit deux fois plus vite que prévu », a précisé Markus Krebber le PDG de RWE. Concrètement, trois unités au lignite d’une puissance de 1 000 MW chacune seront déconnectées du réseau d’ici la fin de la décennie.
A Lützerath, un hameau du bassin minier rhénan condamné depuis longtemps à disparaître pour permettre l’extension de l’immense mine à ciel ouvert de Garzweiler, les habitants ont poussé un ouf de soulagement. Leurs habitations ne seront finalement pas démolies, a déclaré la ministre de l’Économie du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Une excavatrice géante à l’œuvre dans l’immense mine de lignite à cien ouvert de Garweiler, avec à l’arrière-plan les centrales qu’elle alimente

RWE futur champion des renouvelables ?

S’il est connu comme le premier exploitant européen de centrales à charbon, rappelons quand même que le groupe RWE investit des milliards d’euros dans les énergies renouvelables. Il figure même dans le peloton de tête des plus importants producteurs d’électricité verte de notre continent, après l’espagnol Iberdrola, l’italien Enel, le portugais EDPR et le danois Orsted.

Fin 2021, il a notamment mis en service son premier parc éolien de France. Deux autres projets d’une puissance cumulée de 33 MW devraient être opérationnels cette année encore dans l’Hexagone et la société a annoncé un nouvel investissement dans les Hauts-de-France pour 44 MW supplémentaires.

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[1] Le lignite (appelé aussi houille brune) est un type de charbon dit « de rang inférieur », caractérisé par une teneur en eau élevée et une teneur en carbone de 50 à 60% lui conférant un faible pouvoir calorifique. En Allemagne, il est extrait dans d’immenses mines à ciel ouvert où il alimente des centrales électriques situées à proximité pour réduire les coûts de transport.