Avec le dérèglement du climat, la fréquence et l’intensité des sécheresses, des canicules et des inondations ont tendance à s’intensifier. Une situation qui constitue une menace grandissante tant pour le fonctionnement de nos centrales nucléaires qu’en matière de sécurité.

Il y a tout juste 20 ans, le 27 décembre 1999, la tempête Martin provoqua une inondation à la centrale de Blayais (Gironde), avec comme conséquence l’arrêt de deux des quatre réacteurs. En 2003, pendant la sécheresse, un quart du parc nucléaire français a été arrêté ou a vu sa puissance réduite. En mai 2011, la presse révélait que 44 réacteurs sur 58 risquaient d’être à l’arrêt si la sécheresse se prolongeait.

La fréquence de ces incidents a tendance à augmenter : en juillet dernier, 7 réacteurs ont connu une réduction de puissance « pour causes externes liées aux conditions climatiques ». Plus récemment, le réacteur n°2 de Chooz B a été mis à l’arrêt entre le 11 septembre et le 1er octobre de cette année, pour cause de débit de la Meuse insuffisant. Enfin, en Lorraine, le réacteur 4 de Cattenom a été interrompu pendant 3 jours à la fin septembre du fait du niveau critique du lac Pierre-Piercée.

Ces quelques exemples, dont la liste est loin d’être exhaustive si l’on s’intéresse aux centrales fonctionnant dans d’autres pays, illustrent à quel point l’énergie nucléaire est sensible aux aléas climatiques.

Une soif insatiable

L’électricité fournie par un réacteur nucléaire est engendrée dans une turbine activée par de la vapeur à 330°C et pressurisée à 150 bars. L’eau est elle-même chauffée par la réaction nucléaire qui se produit au cœur du réacteur. A la sortie de la turbine, un circuit d’eau de refroidissement permet de condenser et refroidir cette vapeur.
Pour son fonctionnement, une centrale nucléaire a donc besoin d’énormes quantités d’eau : généralement de 2 à 3 m³ d’eau par seconde lorsqu’elle est équipée d’une tour de refroidissement (dont environ 0,5 m³ se seront évaporés, le reste étant rejeté).
Mais lorsque la centrale est implantée en bord de mer ou sur la rive d’un fleuve à grand débit, sans tour de refroidissement, c’est de l’ordre de 50 m³ d’eau par seconde qu’un réacteur a besoin !

(©wikipedia.org)

Sécheresse et canicule

Le niveau d’eau des cours d’eau qui refroidissent les réacteurs nucléaires revêt donc une extrême importance. On comprend dès lors pourquoi les activités de loisirs sur certains lacs font carrément l’objet d’une interdiction en période de sécheresse : le refroidissement des centrales en aval doit être assuré à tout prix.

Le Ministère de la Transition énergétique met en garde contre un risque de baisse de 10% à 40% du débit moyen des cours d’eau à l’horizon 2050-2070. Ces chiffres semblent toutefois sous-évalués : selon le projet Explore2070, l’étiage[1] des cours d’eau va baisser de 20% en 2045-2065 (par rapport à 1990), mais cette baisse sera supérieure à 50% dans certaines zones (Chooz, Nogent, Golfech).

Plus insolite

Le réchauffement climatique n’entraîne pas qu’un risque de sécheresse. La prolifération des méduses, stimulée également par la surpêche, ou celle de certaines algues, donnent également du fil à retordre à EDF et Engie (qui exploite les centrales nucléaires belges). Les méduses sont régulièrement la cause de mises à l’arrêt de centrales suite à l’obstruction des arrivées d’eau de refroidissement.

Parallèlement, le réchauffement des fleuves entraîne la prolifération de l’élodée du Canada, une plante aquatique invasive dénommée peste d’eau, dont les longues tiges peuvent également boucher les canalisations.

Des agents d’EDF sont obligés de collecter les algues qui, malgré la filtration, arrivent dans les bassins de secours de la centrale de Flamanville. (©EDF)

Inondations et montée du niveau des océans

Les fortes pluies ou la hausse du niveau des océans constituent une autre menace pour les réacteurs nucléaires. Une soudaine montée du niveau des fleuves ou une tempête en mer peuvent inonder les installations, bloquer les systèmes de refroidissement, voire anéantir les groupes électrogènes de secours comme cela s’est produit à Fukushima il y a bientôt neuf ans.

Or, selon l’IRSN (Institut de Radiologie et de Sûreté Nucléaire), une vingtaine de réacteurs sur 58 sont exposés à un risque d’inondation. Fort heureusement, des leçons ont été tirées de l’inondation du Blayais en 1999, et ensuite du tsunami japonais en 2011 : les murets bordant le canal d’amenée de plusieurs centrales ont été rehaussés. Mais cette mesure suffira-t-elle au vu de la violence croissante des phénomènes météorologiques et de la rapidité des changements climatiques ?

Le nucléaire apparaît donc comme extrêmement sensible à l’augmentation des températures et aux aléas climatiques. D’onéreux travaux devront être réalisés dans un futur proche pour réduire les risques de submersion ou d’échauffement excessif des réacteurs.

Envisager la construction de nouveaux réacteurs au bord de fleuves fragilisés ou de littoraux menacés d’être submergés relève véritablement de l’inconscience.
Sans parler de son coût croissant, le faible impact carbone de l’énergie atomique semble un argument de plus en plus controversé face aux risques grandissants d’accident nucléaire que le dérèglement climatique fait peser sur l’Hexagone.


[1] Niveau le plus bas d’un cours d’eau au cours de l’année, généralement en été.