Fédérés au sein de l’initiative Ready for Hydrogen (Ready4H2), 90 transporteurs européens de gaz ont annoncé récemment que leurs canalisations pouvaient être converties à 96% au transport d’hydrogène. Derrière cette communication pointe notamment le projet d’utiliser l’hydrogène pour le chauffage des bâtiments. Cette solution serait toutefois une grave erreur selon plusieurs études qui se sont intéressées à la question.

Il est clair que les objectifs européens visant la neutralité carbone d’ici 2050 condamnent les gaziers à disparaître à moyenne échéance … ou à faire évoluer leur métier. Outre leur intérêt croissant pour le biométhane, ils mettent dès lors une partie de leurs espoirs dans la montée en puissance de l’hydrogène vert, boostée notamment par des programmes très généreux d’aides et de subsides lancés par la Commission de Bruxelles et de nombreux pays membres.

Raison pour laquelle la profession à créé Ready4H2, un organisme qui regroupe 90 transporteurs européens de gaz, dont le français GRDF. Son objectif est de soutenir la mise en place d’un marché intégré de l’hydrogène dans l’UE, et d’élaborer « une vision commune de la transformation de leur métier vers la neutralité climatique ».

Selon un communiqué publié en décembre, ces opérateurs soutiennent que leurs réseaux pourraient être convertis à 96% au transport d’hydrogène. « En termes économiques, transporter de l’hydrogène par canalisation coûte quatre fois moins cher que par camion. Les infrastructures de gaz locales sont donc de bons investissements pour l’hydrogène », explique Peter Kristensen, président de Ready4H2, lequel plaide pour une adaptation du cadre réglementaire européen afin de permettre l’injection d’hydrogène dans les canalisations.

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De l’hydrogène à toutes les sauces ?

Mais, comme nous l’avons déjà mentionné dans plusieurs articles, mettre l’hydrogène à toutes les sauces n’est certainement pas une solution de bon sens. De nombreux experts et des études scientifiques l’ont encore rappelé récemment. « Nous avons constaté que le discours public sur l’hydrogène semble gravement déséquilibré, le secteur gazier, en particulier, s’acharnant à vendre du ‘gaz vert’ aux décideurs politiques afin de protéger ses intérêts », peut-on notamment lire dans un rapport publié l’année dernière par le London Energy Transformation Initiative (LETI)[1].

En Allemagne, le Fraunhofer Institute for Energy Economics and Energy System Technology (IEE), une référence renommée dans le monde scientifique, s’est aussi penché sur la question du transport d’hydrogène par les réseaux de gaz. Dans un rapport d’une cinquantaine de pages, ces scientifiques affirment que l’ajout de 20% d’hydrogène vert dans les canalisations – le maximum que pourrait supporter les chaudières domestiques actuelles – alourdirait le coût moyen du combustible de 23,8 % pour les entreprises, mais jusqu’à 43% dans certains pays comme le Portugal.  Pour les ménages, la facture augmenterait de 11,2% en moyenne et jusqu’à 15,9 % au Portugal. Or, selon les chercheurs du IEE, cette solution ne réduirait les émissions de gaz à effet de serre que de 6 à 7%, en raison de la plus faible teneur énergétique de l’hydrogène par rapport au gaz fossile.

En conclusion, ils plaident pour que l’utilisation de l’hydrogène vert soit plutôt réservée aux secteurs où les réductions de CO2 seraient beaucoup plus importantes, notamment dans l’industrie, en remplacement de l’hydrogène gris pour la production d’engrais ou de charbon dans la sidérurgie. Mais aussi en substitut des carburants utilisés par la navigation et le transport aérien.

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Se chauffer à l’hydrogène n’est pas raisonnable

Une autre étude menée cette fois par le think-tank Agora Energiewende et financée par la Fondation européenne pour le climat s’est intéressée à l’utilisation d’hydrogène vert pour le chauffage des bâtiments. Sa conclusion est sans appel : « Chauffer les bâtiments à l’hydrogène n’est financièrement pas raisonnable et les distributeurs de gaz doivent se préparer à la fin de leur modèle économique ».

Leur objectif d’incorporer jusqu’à 20 % d’hydrogène propre dans les réseaux de gaz augmenterait les coûts du chauffage pour les consommateurs de 33 %, tout en ne réduisant les émissions que de 7 %, expliquent ces experts. Des chiffres comparables à ceux publiés par le Fraunhofer Institute.
Le passage aux 100 % d’hydrogène en 2030 — une hypothèse théorique en raison de l’insuffisance des quantités d’H2 vert disponibles — multiplierait par six les coûts de chauffage pour les ménages.

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Privilégier les pompes à chaleur

En revanche, les pompes à chaleur électriques « offriraient une bien meilleure solution », explique le rapport, en ajoutant qu’en ce qui concerne « l’utilisation des énergies renouvelables pour le chauffage, les chaudières à hydrogène sont la pire option ». L’étude explique qu’avec 100 kWh d’énergie renouvelable, seulement 61 kWh de chaleur seraient produits par une chaudière à hydrogène. Par contre la même quantité d’électricité alimentant une pompe à chaleur peut produire, en moyenne, 270 kWh de chaleur, et encore 135 kWh lorsque les températures extérieures sont négatives.

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Experts et scientifiques sur la même longueur d’onde

Ajoutons pour terminer que ces deux études ne sont pas isolées. En surfant sur le net vous pouvez trouver les déclarations de nombreux experts et scientifiques qui vont toutes dans le même sens. Espérons qu’ils seront entendus par les décideurs politiques qui rivalisent toujours d’ardeur dans leur volonté de promouvoir à tout crin le développement d’une économie de l’hydrogène.

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[1] Le LETI est un réseau de plus de 1000 professionnels de l’environnement dont l’objectif est de mettre Londres sur la voie d’un avenir zéro carbone