Après l’Allemagne et l’Europe, le gouvernement français a décidé d’investir dans l’hydrogène à grands coups de milliards d’euros pour en faire une «énergie du futur». Est-ce vraiment un bon plan et quelle sera la couleur de cet hydrogène « made in France » ?

Bien qu’il existe à l’état naturel dans l’écorce terrestre (nous y reviendrons), l’hydrogène est aujourd’hui produit industriellement et en grande quantité : chaque année l’industrie mondiale en consomme plus de 75 millions de tonnes dont près de la moitié (45%) sont utilisées pour le raffinage et la désulfuration du pétrole. L’autre moitié sert principalement à produire de l’ammoniac, lequel est utilisé comme matière de base dans le secteur de la chimie, notamment pour la production d’engrais. Mais l’hydrogène est aussi employé dans l’industrie alimentaire, l’électronique, la métallurgie et l’industrie spatiale où il entre dans la composition du « carburant » des fusées.

La consommation mondiale d’hydrogène équivaut à celle du quart de la consommation de gaz naturel, c’est tout dire.
Les Etats-Unis et la Chine en sont les principaux fournisseurs mondiaux avec une production annuelle d’environ 10 millions de tonnes chacun. La France produit près d’un million de tonnes d’hydrogène par an, soit 1,5% de la production mondiale.

Contrairement aux énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon), l’hydrogène n’est pas une énergie primaire, mais un « vecteur énergétique » qui, comme l’électricité, est produit à partir d’une autre source d’énergie.

Toutefois il a l’avantage de posséder des propriétés énergétiques remarquables ce qui explique son intérêt. C’est le vecteur énergétique qui dispose de la plus grande densité massique : par kilo il contient 2,2 fois plus d’énergie que le gaz naturel, 2,75 fois plus que l’essence et 3 fois plus que le pétrole. Cependant, c’est le gaz le plus léger ce qui complique son stockage. Pour l’entreposer, le transporter et le distribuer, il faut soit le liquéfier à une température extrêmement basse (- 253 °C), soit le comprimer à très haute pression (700 bars) et ces opérations sont très énergivores : sa liquéfaction, par exemple, consomme 10 à 13 kWh d’électricité par kg.

Il faut aussi maîtriser les risques car l’hydrogène est un gaz très dangereux : comme il s’agit de la plus petite des molécules gazeuses, les risques de fuites sont plus importants qu’avec n’importe quel autre gaz. Il est en effet difficile de rendre complètement étanche les réservoirs et tuyauteries contenant de l’hydrogène surtout lorsque celui-ci est comprimé à très haute pression : il peut s’échapper par des ouvertures microscopiques. Ainsi, mêmes les meilleurs réservoirs ne sont jamais complètement étanches : ceux des voitures à hydrogène peuvent se vider en quelques semaines, même quand le véhicule est à l’arrêt. En outre l’hydrogène est très facilement inflammable : l’énergie requise pour l’enflammer est dix fois plus faible que celle qui est nécessaire pour allumer du méthane ( c’est-à-dire le gaz « naturel »). De plus, lorsque l’hydrogène est comprimé à très haute pression (c’est le cas dans les véhicules à hydrogène et les stations de distribution) et qu’une fuite a lieu, le gaz se détend fortement et il se produit ce qu’on appelle un effet Joule-Thompson inverse. L’hydrogène qui s’échappe s’échauffe en se détendant, ce qui peut être suffisant pour qu’il s’enflamme spontanément.
Particularité de l’hydrogène : sa flamme est incolore : un début d’incendie d’hydrogène ne se voit donc pas.


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L’hydrogène gris et l’hydrogène bleu

Aujourd’hui, plus de 95 % de l’hydrogène consommé dans le monde sont extraits des combustibles fossiles, principalement du gaz naturel, sous l’action de la vapeur d’eau surchauffée. Des catalyseurs métalliques sont utilisés (nickel, fer, chrome, cuivre) pour faciliter les réactions. Cette technique appelée vaporeformage nécessite de porter le mélange gaz – vapeur à très haute température : entre 700°C et 1.000°C. Elle est donc énergivore et s’accompagne d’une importante émission de dioxyde de carbone (CO2) : pour chaque tonne d’hydrogène, 10 à 11 tonnes de CO2 sont produites et en général émises dans l’atmosphère. Dès lors, la production mondiale d’hydrogène est responsable de l’émission d’environ un milliard de tonnes de CO2 chaque année soit l’équivalent des émissions de l’Indonésie et du Royaume-Uni combinées selon l’Irena (l’Agence Internationale des Energies Renouvelables).
L’hydrogène peut aussi être fabriqué par gazéification du charbon, mais cette méthode, également très grande émettrice de CO2, reste, heureusement, relativement minoritaire dans le monde.
Le vaporeformage est le procédé actuellement le plus économique pour produire l’hydrogène. Son coût évalué à 1,5 €/kg est cependant 3 fois plus élevé que celui du gaz naturel. Mais si sa production est soumise à la taxe carbone comme en Europe, la facture est encore plus lourde.

Pour caractériser cet hydrogène produit à partir des énergies fossiles avec une forte émission de gaz à effet de serre, il s’est vu attribuer la couleur grise.
Pour le « décarboner », une possibilité consiste à capter le dioxyde de carbone émis lors du vaporeformage. Ce CO2 peut alors être utilisé comme matière première dans certaines industries (pour la production de mousses par exemple). Mais la solution la plus fréquemment envisagée est celle du stockage géologique, dans d’anciennes poches de gaz ou de pétrole vides. Une technique appelée CSC (ou en anglais CCS pour Carbon Capture and Storage).
L’hydrogène ainsi décarboné est alors devenu « bleu ». Inutile de dire que l’opération supplémentaire est coûteuse, tant en euros ou en dollars qu’en énergie et qu’aujourd’hui il n’existe presque pas d’hydrogène bleu sur le marché. Seuls quelques projets pilotes ont été lancés dans le monde.


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L’hydrogène vert et l’hydrogène jaune

Lorsque l’hydrogène est présenté à grand renfort d’annonces comme solution d’avenir dans les médias, ce n’est heureusement pas de l’hydrogène gris qu’il s’agit mais plus généralement d’hydrogène « décarboné » ou encore d’hydrogène « vert » : la couleur « écolo » qui l’affuble de tous les atours pour paraître « sympa » et porteur d’espoir dans les médias et les objectifs de transition énergétique ou de mobilité durable.

L’hydrogène vert est produit par électrolyse de l’eau. Il s’agit du procédé qui consiste à décomposer l’eau (H20), élément naturel par excellence, en dioxygène (O2) et dihydrogène (H2) grâce à un courant électrique. L’installation qui permet cette opération s’appelle un électrolyseur. Si l’électricité utilisée est exclusivement d’origine renouvelable (produite par exemple par des installations solaires, éoliennes ou hydroélectriques), cet hydrogène sera « propre » et qualifié de « vert ». S’il est produit par une proportion importante d’électricité d’origine nucléaire (comme en France), il se verra plutôt attribuer la couleur jaune. Cette fabrication-là n’est ni propre ni durable car elle dépend de l’utilisation d’un « combustible » fossile, l’uranium, dont la ressource n’est pas renouvelable. Elle s’accompagne en outre de la production de déchets radioactifs qui resteront dangereux pendant plusieurs centaines de milliers d’années et dont on ne sait toujours pas quoi faire.

Problème : l’hydrogène « vert » ou même « jaune » est beaucoup plus cher que l’hydrogène gris fabriqué par vaporeformage. Son coût est aujourd’hui de 5 à 6 € par kg soit environ 4 fois plus que l’hydrogène gris. Raison pour laquelle sa production mondiale est très marginale (moins de 5 % aujourd’hui).

Unité de production d’hydrogène par vaporeformage à la raffinerie de Jubail, en Arabie saoudite

Rendement médiocre

Autre obstacle de taille lorsque l’hydrogène vert est envisagé comme solution de stockage de l’électricité d’origine renouvelable : le rendement de l’opération qui consiste à produire de l’hydrogène dans un électrolyseur, à le comprimer à très haute pression, éventuellement à le transporter, puis à fabriquer à nouveau de l’électricité dans une pile à combustible, est médiocre : de 25 à 30 %. Cela veut dire que plus des deux tiers de l’électricité renouvelable produite au départ se sont volatilisés dans l’opération, en pure perte. Alors que des solutions de stockage alternatives comme les batteries ont un rendement bien meilleur d’environ 80 % et sont même moins chères (nous reviendrons sur ces aspects dans un prochain article).

La première électrolyse de l’eau a eu lieu en 1800 et la pile à combustible a été inventée en 1839 par l’Allemand Christian Schönbein. Ces technologies ne sont donc pas récentes. Lors de mon passage sur les bancs de l’université, notre professeur de chimie nous parlait déjà de leurs promesses dans les années 1970 …
Mais il est clair que les efforts de recherche, les budgets actuellement alloués par les plans nationaux et internationaux et les économies d’échelle envisagées par les projets de gigafactory comme celle que Bruno Le Maire voudrait construire en France, permettent d’espérer une réduction des coûts et une amélioration du rendement de la solution de stockage d’électricité renouvelable par l’hydrogène vert. Sera-t-elle un jour compétitive en regard de l’alternative offerte par les batteries ou d’autres solutions de stockage émergentes ? Honnêtement j’en doute, mais tant mieux si l’avenir me donne tort.


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Abandon des couleurs ?

Alors que les couleurs des différentes formes de production d’hydrogène avaient été définies dans un document de l’IRENA (l’Agence internationale des énergies renouvelables) et promues par la Commission européenne, celle-ci abandonne ce catalogue dans un document daté du mois de juin de cette année. Pour Bruxelles, l’hydrogène sera désormais soit « propre » – exclusivement produit à partir de renouvelables – soit « bas carbone », une notion que l’exécutif européen définit comme produit à partir d’électricité majoritairement nucléaire (l’hydrogène anciennement jaune) ou de combustibles fossiles avec captage et stockage du carbone (l’hydrogène bleu).
Ces nouvelles définitions devront être traduites lors de la révision du marché du carbone en juin 2021. Un seuil d’émissions de gaz à effet de serre pour la qualification de l’hydrogène «bas carbone» devra alors être fixé.
Quant à l’hydrogène « propre » ou « renouvelable », la Commission proposera une terminologie complète et des critères pour une certification sur la base des émissions de gaz à effet de serre mesurées sur le cycle de vie. Ce cadre pourrait aussi inclure des critères de durabilité plus larges.

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Et l’hydrogène « naturel » ? Il existe bel et bien !

Lorsque les médias et la plupart des « experts » nous parlent d’hydrogène, ils nous disent (presque) tous que cet élément, bien qu’il soit le plus abondant de l’Univers, ne se trouve pas à l’état naturel dans la croute terrestre ou l’atmosphère. En réalité il s’agit d’une « fake news ». Pour preuve : des puits d’hydrogène naturel découverts « par hasard » à proximité de Bourakébougou, au Mali et qui, depuis plusieurs années, alimentent ce village en électricité. Deux scientifiques français, Eric Deville et  Alain Prinzhofer sont partis à sa recherche et en ont trouvé des traces à plusieurs endroits de la planète. Leurs découvertes font l’objet d’un livre : « Hydrogène naturel : la prochaine révolution énergétique » publié chez Belin. Toute une histoire sur laquelle nous reviendrons dans un prochain article.

En attendant, n’hésitez pas à nous faire faire part de votre opinion dans les commentaires ci-dessous.


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