Les énergies renouvelables « variables » comme l’éolien et le solaire occupent une part croissante dans le mix énergétique des pays européens. Certains y voient une sérieuse menace pour l’équilibre des réseaux électriques, d’autres affirment qu’il s’agit d’un faux problème. Qu’en est-il exactement ? Décryptage.

Les médias regorgent autant de chroniques annonçant l’imminence de blackouts liés à « l’intermittence » des énergies renouvelables, que d’articles vous enjoignant de « circuler car il n’y a rien à voir ».

Un fait est acquis : les énergies renouvelables représentent plus de la moitié des investissements dans la production d’électricité. Avec, pour corollaire, une part d’énergie verte de plus en plus importante dans le mix électrique des Etats membres de l’Union européenne : en 2019, le Danemark a couvert 75% de ses besoins électriques par les renouvelables, l’Autriche 72%, la Suède 56,8%, la Finlande 47% et l’Allemagne 40%[1] pour ne citer que les meilleurs élèves de la classe.

Précisons d’emblée que le terme « intermittence » est mal approprié : la production d’électricité ne s’interrompt pas comme on éteint la lumière. Il n’y a pas de position ‘on’ ou ‘off’, mais une variabilité de la production en grande partie prévisible : le soleil se lève et se couche à l’heure prévue, et la nébulosité comme la force du vent peuvent être calculées par les météorologues qui disposent de simulateurs numériques dont la fiabilité s’améliore d’année en année. La production attendue des énergies « variables » peut donc être déterminée par les gestionnaires de réseau plusieurs jours à l’avance.

Des énergies vertes « modulables » et « pilotables« 

Malgré cette prévisibilité des sources renouvelables, il est clair que des moyens de production modulables doivent rester disponibles pour assurer la stabilité d’un réseau électrique, et fournir du courant lorsque les renouvelables n’en produisent pas assez. Ou pour moduler à la baisse lorsque l’énergie produite est excédentaire. Malgré une part de renouvelables de plus de 40% dans son mix énergétique en 2018, l’Allemagne a conservé plus de 200 GW de moyens de production d’électricité « pilotables », principalement au charbon et au gaz. Ceux-ci peuvent compenser la chute éventuelle de l’offre et garantir la stabilité du réseau.
Au Danemark, par contre, de nombreuses centrales au charbon ont été remplacées par des centrales à biomasse, modulables et pilotables elles aussi. Elles couvrent aujourd’hui plus de 25% des besoins électriques du pays et peuvent donc relayer les parcs éoliens par de l’électricité renouvelable lorsque la force du vent faiblit. Elles utilisent notamment comme combustible les importants surplus de paille produits par l’agriculture danoise. Et en Allemagne, les centrales à biomasse et hydroélectriques (également pilotables) fournissent déjà plus de 12% de l’électricité consommée.

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Une variabilité inquiétante ?

Il est néanmoins vrai que l’amplitude des variations dues aux aléas de la production des énergies vertes variables suscite certaines inquiétudes : en France, en 2019, la puissance éolienne a oscillé entre 46,7 GW et 0,4 GW. Celle-ci peut aisément passer de 10 GW à moins de 3 GW en à peine quelques heures.
La puissance délivrée par les panneaux photovoltaïques, entre la pointe méridienne d’hiver et le solstice d’été, a fluctué entre 1,3 GW et 33,6 GW.
Dans la nuit du 24 janvier 2019, l’éolien et le photovoltaïque n’ont fourni que 0,65 GW de puissance, soit moins de 1% de la puissance consommée à ce moment.
Et en Allemagne, la part des énergies variables peut parfois atteindre 75% de la production, mais également ne couvrir que 15% à peine quelques jours plus tard.

Si d’aucuns mettent en avant la complémentarité du solaire et de l’éolien, d’autres alertent donc contre les risques de déséquilibre des réseaux si la proportion des énergies renouvelables variables devient trop importante. Cette année, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont connu en avril des épisodes de coupure du courant. Bien que des défaillances de centrales thermiques aient été à l’origine de ces événements, ceux-ci sont utilisés par certains pour pointer la fragilité des réseaux face à la montée en puissance des énergies alternatives.

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Le foisonnement comme remède à la variabilité ?

L’intermittence ou plutôt la variabilité de certaines sources d’énergie renouvelable suppose une adaptation constante des réseaux aux cycles naturels. Pour remédier à leurs fluctuations, les scénarios projetant des mix électriques bâtis sur 100% d’énergies renouvelables d’ici 2050 prévoient notamment un développement plus important des technologies de production d’énergies vertes modulables et pilotables : hydroélectricité, centrales à biomasse, géothermie, énergies de la mer. Ils tablent aussi sur la théorie du « foisonnement ».

 A l’échelle nationale et certainement continentale, les sites de production éoliens et solaires sont suffisamment éloignés les uns des autres pour que les conditions météo soient différentes à un instant donné. Par exemple, une tempête septentrionale pourra compenser l’anticyclone qui s’installe dans le midi. Une dépression venant de l’Atlantique mettra 2 jours à traverser la France et une semaine pour se déplacer à l’autre extrémité de l’Europe. La production éolienne liée à ce passage s’étalera donc sur plusieurs jours et les interconnexions entre les réseaux des différents Etats permettront de la mutualiser. A l’échelle d’un continent, les productions variables cumulées sont donc plus constantes que celles d’une seule région et les prévisions sur l’ensemble du territoire sont plus précises. C’est ce qu’on appelle le foisonnement.

Ce terme décrit la capacité de la production d’électricité d’une zone climatique à compenser un excès ou un déficit de production dans une autre zone climatique. L’approche peut s’appliquer au territoire européen dans son ensemble en développant les interconnexions des réseaux entre des pays soumis à des régimes de vent différents.

En France, les données publiques de production fournies par RTE montrent que, si la variabilité de production à l’échelle d’un parc éolien est forte, elle est lissée à l’échelle régionale et, d’autant plus, à l’échelle nationale, du fait des trois régimes de vent indépendants présents sur le territoire : océanique (Bretagne, Centre-Val de Loire et Pays de la Loire), continental (Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine) et méditerranéen (Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées).

Précisons toutefois que la théorie du foisonnement est contestée par plusieurs scientifiques et notamment par Hartmut Lauer, docteur-ingénieur de l’université de Hanovre et ancien dirigeant d’un grand groupe énergétique allemand. Il a notamment enseigné l’énergie nucléaire à l’université de Darmstadt.  Dans son article « Energies renouvelables : de nombreux défis », il admet que l’impression « il y a toujours du vent quelque part » paraît logique étant donné la multiplication des parcs éoliens, mais il soutient que « le fameux ‘foisonnement’ (…) ne correspond pas à la réalité ». Lauer prétend (sans le démontrer) que l’homogénéité des vents qui soufflent sur le continent européen explique les épisodes de prix négatifs, et il pointe l’inefficacité du foisonnement photovoltaïque puisque l’ouest européen ne couvre que 1,5 fuseau horaire.

Mais une étude rendue publique en janvier de cette année par le groupe énergétique français Engie apporte de l’eau au moulin de la théorie du foisonnement. Basée sur l’analyse de 20 années de données météo enregistrées heure par heure sur chacune des façades maritimes du pays (Manche, Atlantique, Méditerranée), l’étude démontre que les régimes de vent y sont complémentaires dans le temps et qu’il y aura un foisonnement de la production des futurs parcs éoliens offshore projetés sur les 3 côtes.
Selon les auteurs de l’étude, les statistiques montrent que l’ensemble de ces parcs produiront avec plus de 20% de leur puissance maximale cumulée de façon quasi constante (pendant 90% de l’année et même 95% de novembre à mars), le facteur de charge cumulé des parcs montant même à presque 30% pendant l’hiver, période au cours de laquelle la demande d’électricité est la plus forte. Les épisodes de vent très faible, sur toutes les côtes françaises en même temps, se réduisent à quelques jours dans l’année, durant l’été seulement. Enfin, lors des 18 dernières pointes annuelles de consommation d’électricité, ces parcs auraient produit ensemble plus de 25% de leur puissance cumulée, et plus de 50% à 13 reprises.

Notre étude offre « un éclairage pour le débat sur la contribution de l’éolien en mer au futur mix électrique français » souligne Dominique Moniot, directeur développement Energies Marines Renouvelables chez Engie.

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Interconnexions

Pour profiter à plein du foisonnement des énergies variables, il est évidemment important d’interconnecter les différents réseaux électriques nationaux des pays européens pour transporter instantanément le courant d’une zone qui bénéficie d’un surplus d’électricité vers une autre qui est en déficit.
Du Portugal à la Suède, c’est déjà le cas. Les échanges d’électricité entre pays sont rendus possibles par des câbles à haute tension, parfois sous-marins, et le plus souvent en courant continu lorsque les distances sont supérieures à 100 km. C’est ce qu’on appelle le CCHT (ou HVDC en anglais) qui permet de transporter le courant avec peu de pertes : 3 % pour 1 000 km. Plusieurs câbles sous-marins relient par exemple l’Angleterre au continent. Il y a notamment un projet d’interconnexion entre la France et l’Irlande par un câble sous-marin CCHT de 575 km et d’une capacité de 700 MW.  C’est le projet Celtic Interconnector qui devrait entrer en service en 2026.

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Puisque c’est un des moyens de pallier la variabilité des énergies renouvelables et d’atteindre l’objectif de décarbonation complète du mix énergétique en 2050, l’Europe prévoit des investissements importants dans les interconnexions. Une directive européenne impose d’ailleurs à chaque Etat membre de disposer d’ici 2030 d’une capacité d’interconnexion électrique d’au moins 15 % de sa production installée.

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Effacement

Pour éviter le déséquilibre d’un réseau entre l’offre et la demande d’électricité, leur gestionnaire dispose aussi d’un autre outil : l’effacement. Il consiste à réduire temporairement les consommations de sites industriels ou de groupes de consommateurs, ceux-ci étant disposés à le faire contre rémunération. Également appelé « gestion active de la consommation », l’effacement permet donc de piloter à distance la demande pour maintenir une tension constante, sans devoir recourir à des centrales pilotables.

C’est ainsi qu’émerge un nouveau métier : celui d’agrégateur d’effacement. Ces acteurs spécialisés regroupent des capacités d’effacement auprès de consommateurs individuels, en général des entreprises, afin de les valoriser sur le marché ou directement auprès du gestionnaire du réseau.

Récemment est apparue la technique de l’effacement diffus. En France, par exemple, RTE (le gestionnaire du réseau de transport d’électricité) teste la possibilité d’effacer simultanément la consommation de milliers de ménages volontaires. Un agrégateur ou opérateur d’effacement diffus disposant de moyens de télégestion (via un boitier, gratuitement ajouté au tableau électrique) éteint durant un certain temps (quelques minutes en général) le chauffage ou la climatisation du client. Celui-ci est ensuite rémunéré par un prix d’électricité un peu plus avantageux le reste du temps et par ses économies d’énergie. Quant à l’opérateur, il est rétribué par le gestionnaire du réseau, comme s’il était un producteur d’électricité.

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Stockage

Enfin, la transition énergétique s’accompagne évidemment d’un développement important des solutions de stockage de l’électricité. Elles permettent d’emmagasiner les surplus produits par les parcs éoliens et solaires pour les restituer lors des épisodes au cours desquels la demande excède l’offre. Sur ce site nous vous avons déjà présenté de nombreuses techniques de stockage allant des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) aux systèmes de stockage gravitaire en passant par les batteries géantes, la production d’hydrogène vert ou les volants d’inertie. Lisez les articles qui les décrivent, cela vaut la peine !

Le groupe EDF va investir 8 milliards d’euros dans un plan de stockage électrique et installer 10 GW de nouvelles capacités dans le monde d’ici 2035. 80% de celles-ci seront des batteries au service de grands systèmes électriques. Dans l’Hexagone, l’entreprise s’est fixée comme objectif d’installer 2 GW de STEP supplémentaires.

Si le stockage d’électricité dans le monde est encore constitué à 98 % d’hydraulique, l’énergie emmagasinée et restituée par une STEP étant jusqu’il y a peu la moins chère, les batteries stationnaires au lithium-ion sont de plus en plus plébiscitées. Aux quatre coins de la planète, les batteries géantes rivalisent de puissance. Dernier record en date : la batterie LS installée à San Diego (Californie) d’une capacité de 250 MWh.

Et puis, très récemment, l’hydrogène est apparu comme une solution de stockage d’avenir, plusieurs pays dont l’Allemagne et la France, mais aussi la Commission européenne ayant décidé de consacrer des budgets faramineux pour développer cette technologie.

Selon Luc Payen, expert énergie chez Enea Consulting : « le stockage ne sera jamais bloquant pour le développement des énergies renouvelables. Dès que l’on sentira un déséquilibre, il y aura quelqu’un pour y répondre. Le réseau européen est l’outil de stockage le plus efficace qu’on puisse imaginer ».

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Aucun risque pour la transition énergétique

S’il est vrai qu’en 2008, les experts estimaient que les réseaux ne pourraient jamais supporter plus de 5 % d’énergies « intermittentes », la plupart des scientifiques constatent aujourd’hui que la variabilité de l’éolien et du solaire n’a pas empêché les renouvelables de se développer. En 2019, l’éolien a couvert 47% de l’électricité consommée au Danemark, sans que cela ne génère la moindre coupure de courant. « Et les Danois n’ont toujours pas besoin de stockage supplémentaire », précise Marc Jedliczka, le porte-parole de l’association négaWatt.

Dans une interview accordée en 2016 au quotidien allemand Tagesspiegel, Boris Schucht, directeur de l’opérateur du réseau à haute tension 50Hertz, mettait déjà les choses au clair : « 80% de renouvelables, ce n’est pas un problème » affirmait sans hésiter cet expert. Outre-Rhin, son réseau, l’un des plus performants d’Europe, alimente 18 millions de citoyens. « Nous couvrons environ un tiers de l’Allemagne. L’année dernière (en 2015 donc NDLR), la part des énergies renouvelables dans la consommation d’électricité a été calculée à 49,5% » expliquait-il. « Il y a quelques mythes dans l’industrie de l’énergie. L’un d’eux est l’idée que l’intégration des énergies renouvelables requiert immédiatement davantage de flexibilité dans le système. Ceci est une fiction. Nous avons dès à présent dans le système beaucoup plus de flexibilité que nécessaire. Et nous avons aussi un énorme potentiel supplémentaire » ajoutait ce gestionnaire qui approvisionne aussi en énergie les entreprises de la première puissance industrielle d’Europe.
Boris Schucht rappelait aussi que durant l’éclipse solaire du 20 mars 2015, une descente puis une remontée en puissance des 14.000 mégawatts du parc photovoltaïque a été réalisée en 75 minutes par temps ensoleillé sur la plus grande partie du pays. L’équivalent de 14 centrales nucléaires qui s’éteignent puis se rallument, une toutes les 5 minutes. La performance illustre la robustesse du système électrique allemand et sa capacité à faire face aux fluctuations de production.

Liu Zhenya directeur du réseau chinois, probablement le plus étendu de la planète, est sur la même longueur d’onde que Boris Schucht.  Interrogé par le site australien RenewEconomy, ce spécialiste expliquait que « le seul obstacle est le paysage mental de ceux dont la doctrine est archaïque. Il n’y a pas du tout de défi technique ». Mark Jacobson, directeur du Département énergie et atmosphère de l’Université Stanford, est encore plus catégorique : « la nécessité de disposer d’un ‘baseload’ (une production en base NDLR) assurée par des centrales pilotables est en réalité une fable utilisée par les lobbyistes des ‘énergies sales’ » déclarait-t-il dans un tweet.

En conclusion nous rappellerons enfin que toutes les recherches scientifiques sérieuses menées par des chercheurs universitaires et revues par leurs pairs, notamment l’étude publiée par la très réputée université Standford en Californie démontrent qu’une transition vers 100 % d’énergie renouvelable en 2050 est tout à fait possible en épaulant les énergies variables par des capacités de production modulables comme la biomasse, l’hydroélectricité, les énergies marines et la géothermie, par du stockage, des interconnexions pour profiter du foisonnement et par des capacités d’effacement. C’est évidemment la complémentarité de toutes ces solutions qui permettra d’atteindre l’objectif alors que les lobbyistes anti-renouvelables s’ingénient à en isoler une pour essayer de démontrer son inefficacité.

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[1] Source : Wikipedia