Malgré son potentiel colossal, la mer est peu exploitée pour la production d’énergie bas-carbone. Pourtant, nul besoin de technologies futuristes pour cela : elles existent déjà. À Marseille par exemple, des quartiers entiers sont chauffés et climatisés grâce à des pompes à chaleur puisant leurs calories dans l’eau de la Méditerranée. Nous avons visité les coulisses d’une de ces usines.

Pour se chauffer, on peut brûler du gaz ou du fioul, mais c’est extrêmement polluant, émetteur de gaz à effet de serre et nocif pour la santé aussi bien que notre balance commerciale. Brûler du bois est un peu moins carboné, plus local mais rejette notamment des particules fines. Reste l’électricité. Si les convecteurs et radiateurs « grille-pain » sont exempts d’émissions, ce sont des gouffres énergétiques. L’alternative la plus avantageuse semble donc être la pompe à chaleur.

Une pompe à chaleur puise son énergie dans n’importe dans n’importe quel milieu : l’air ambiant, le sol ou l’eau, et peut produire aussi bien de la chaleur que du froid sans dévorer d’outrageuses quantités d’électricité. À Marseille, plusieurs quartiers se chauffent et se climatisent sobrement au moyen d’imposantes pompes à chaleur, non pas individuelles, mais collectives. Ces machines ont la particularité d’utiliser la mer Méditerranée comme source d’énergie principale. Ainsi, l’hiver, l’eau de mer qui reste plus chaude que l’air est exploitée pour le chauffage. L’été, l’eau en permanence plus froide que l’air fournit de la climatisation.

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La température de l’eau de mer toujours opposée à celle de l’air

Plusieurs milliers d’habitants, des bureaux, commerces, crèches et écoles pour un total approchant les 600 000 m² de planchers sont raccordés à des « réseaux de thalassothermie ». Il y en a 2 installés sur les quais du port de Marseille, dans les quartiers d’Arenc et de La Joliette. L’un, baptisé « Thassalia », est exploité par Engie et l’autre, appelé « Massileo », conçu et opéré par Dalkia. Cette dernière, filiale d’EDF, nous a ouvert les portes de son usine, afin de mieux comprendre son fonctionnement.

L’installation est composée de plusieurs éléments. D’abord, la « station d’échange sur eau de mer », ou « local source » située les quais du port, quasiment « les pieds dans l’eau ». Dans ce hangar, deux pompes électriques capables d’atteindre un débit fde 450 m³/h puisent l’eau de mer à environ 5 m de profondeur et remplissent un réservoir souterrain. Afin d’optimiser la consommation d’électricité, ces pompes s’adaptent aux besoins en temps réel : la petite est utilisée lorsque la demande est faible, la grande lorsque les besoins sont élevés. Lors de notre venue en milieu de printemps, elles n’étaient pas en fonctionnement continu.

L’eau de mer est pompée au pied du quai, dans les bassins du port de Marseille / Image : RE – HL.

L’eau de mer n’est pas directement utilisée pour la production de chaleur ou de froid. Après filtration, elle circule dans un échangeur à plaques, afin de céder ses calories à un réseau d’« eau douce tempérée ». Pompée à une température d’environ 12 °C l’hiver et 24 °C l’été, l’eau de mer est ensuite relâchée sans modifications chimiques à son milieu, à une température toutefois différente : 7 °C l’hiver et 29 °C l’été.

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Au cœur du concept, la pompe à chaleur

L’eau douce tempérée, elle, est expédiée vers les immeubles à chauffer et/ou climatiser, à travers une canalisation non isolée d’environ 1 400 m de long pour 330 m³ de contenance. Elle serpente essentiellement en souterrain jusqu’à un quartier entièrement nouveau baptisé « Smartseille ». Lancé en 2016, en même temps que le réseau Massileo, cet îlot de 2,7 hectares est composé de logements sociaux, d’une résidence séniors, d’une crèche, d’un hôtel et de nombreux bureaux et commerces totalisant 58 000 m² de planchers.

L’intégralité des surfaces est alimentée en chauffage, eau chaude sanitaire et climatisation par le réseau de thalassothermie déployé par Dalkia. Le quartier possède sa propre « centrale de production », située en sous-sol, au milieu d’un vaste parking souterrain. Cette petite usine abrite les 3 grandes pompes à chaleur eau/eau qui puisent l’essentiel de leur énergie dans la boucle d’eau douce tempérée. Elles délivrent jusqu’à 3 000 kW thermiques aux postes de distribution, le dernier maillon. Dans ces locaux également souterrains, l’eau chaude produite par les pompes à chaleur est stockée dans d’immenses ballons. Chaque immeuble vient y puiser des calories, à travers des échangeurs de chaleur, afin d’obtenir sa propre eau chaude sanitaire entre 50 et 55 °C.

Une des 3 pompes à chaleur dans l’usine de production souterraine / Image : RE – HL.

Pour le chauffage, l’eau circule à une température plus basse, entre 35 et 45 °C. Enfin, de l’eau dite « glacée » entre 7 et 15 °C est envoyée dans un autre réseau de canalisations pour satisfaire les besoins de climatisation. Ainsi, l’usine peut couvrir différents besoins simultanément : produire de l’eau chaude pour la douche des résidents pendant qu’un immeuble de bureau fait fonctionner ses climatiseurs.

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La thalassothermie, est-ce bas-carbone ?

Dans cette situation, le système permet d’ailleurs de fonctionner en boucle ultra-locale, sans solliciter les calories de l’eau de mer. En effet, la chaleur « fatale » rejetée par la pompe à chaleur en production de froid est directement valorisée pour générer de l’eau chaude sanitaire. Le principe fonctionne en sens inverse : une pompe à chaleur produisant de la chaleur émet du froid, utilisable pour la climatisation.

C’est l’un des grands avantages des réseaux utilisant des pompes à chaleur mutualisées. Alors qu’une pompe à chaleur individuelle « dilapide » de l’air chaud ou froid dans l’air extérieur selon qu’il fonctionne en mode climatisation ou chauffage, les réseaux communs le réutilisent. En été, cela permet notamment de limiter les effets des « îlots de chaleur urbains ». Par ailleurs, le coefficient de performance (COP), qui désigne le rapport entre l’énergie électrique consommée et l’énergie thermique produite, est estimé entre 3 et 4, « selon la température de l’eau de mer » précise Dalkia. Cela signifie que pour 1 kWh d’électricité consommée, 3 à 4 kWh de chaleur ou de froid sont délivrés.

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Ce COP est d’autant plus intéressant qu’il reste assez stable au fil des saisons, contrairement aux pompes à chaleur individuelles, dont le COP peut chuter à 1 lors d’intenses vagues de froid. Il s’agit donc d’un mode de chauffage particulièrement bas-carbone. La mer, principale source d’énergie, est renouvelable et l’électricité consommée par les machines est celle du mix français faiblement carboné. Le bilan environnemental est à des années-lumière de celui d’une chaufferie collective au gaz, hélas toujours très présentes dans les copropriétés et immeubles tertiaires.

Plan du réseau de thalassothermie Massileo et schéma de fonctionnement / Images : Révolution Énergétique (plan), Dalkia (schéma).

Quel coût pour chauffer et climatiser à l’eau de mer ?

Concrètement, l’énergie thermique est facturée aux syndicats (les « ASL ») gérant chaque immeuble ou ensemble d’immeubles, puis répercutée aux occupants. Dalkia reste toutefois évasif concernant les prix appliqués, « qui varient avec la fluctuation des prix de l’énergie ». « En moyenne, par rapport à une solution concurrente, cette installation permet aux usagers de bénéficier de 15 % d’économies sur la facture énergétique » assure la société. À noter que le réseau de thalassothermie Massileo a nécessité un investissement de 10 millions d’euros, dont 17,2 % provenant de subventions (942 000 € versés par le FEDER et 780 000 € par le fonds chaleur de l’ADEME).

Quoi qu’il en soit, la thalassothermie semble rencontrer un certain succès à Marseille. Dans les nouveaux quartiers qui poussent sur les immenses friches industrielles du port, ce mode de chauffage et de climatisation apparaît comme le compromis idéal. Après « Smartseille », un second quartier baptisé « Les Fabriques » totalisant 250 000 m² de planchers se raccorde actuellement à Massileo. La puissance du réseau sera alors triplée pour atteindre 9 MWth.

À terme, il pourra développer jusqu’à 21 MWth pour servir toujours pfonlus de nouvelles constructions. Le débit de la boucle d’eau douce tempérée bondira ainsi de 450 à près de 4 000 m³/h. Plusieurs réservations ont ainsi été prévues afin d’installer des pompes supplémentaires, au fil des nouveaux quartiers qui s’y raccorderont.

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