Sur les rives du Danube, à 50 km de Vienne, une centrale nucléaire unique au monde se dresse dans le paysage. Sa construction s’est achevée en 1977 mais elle n’a jamais injecté le moindre kilowattheure dans le réseau d’électricité autrichien. Pourquoi donc ?

L’Autriche est l’un de ces pays qui ont définitivement tourné le dos à l’atome pour leur production d’électricité. Les autrichiens ont même été les premiers à s’orienter dans la voie d’une sortie du nucléaire.

Au début des années 1970, le gouvernement avait pourtant décidé de construire une première centrale à Zwentendorf, sur les rives du Danube. Situé à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de la capitale, le projet prévoyait l’installation d’un réacteur à eau bouillante de 730 mégawatts (MW). Il s’agit d’une technologie similaire à celle qui a été utilisée dans la centrale de Fukushima, mais qui n’est pas représentée dans le parc nucléaire français.

Lancé en 1972, le chantier de Zwentendorf s’est achevé en 1977. Coût de l’opération : 380 millions d’euros. Le réacteur devait couvrir les consommations électriques d’environ 1,7 millions d’habitants et fournir de nombreux emplois dans la région.

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Organisation d’un référendum

À l’époque, aucun accident nucléaire de grande ampleur n’avait encore frappé l’opinion publique. Celui de Three Mile Island est survenu deux ans plus tard, en 1979 ; Tchernobyl c’était en 1986 et Fukushima en 2011. Pourtant, dans la foulée de mai 68 et en réaction au lancement, dès le début des années 70′, de programmes nucléaires civils ambitieux dans de nombreux pays, des mouvements opposés au développement de l’énergie nucléaire naissent et se structurent un peu partout en Europe. Particulièrement actives en Autriche, ces associations parviennent à obtenir du gouvernement l’organisation d’un référendum avant la mise en service de Zwentendorf.

Le 5 novembre 1978, les autrichiens ont été nombreux à se rendre aux urnes pour se prononcer sur l’engagement du pays dans la filière nucléaire, puisque plus de 64% des électeurs ont pris part au vote. Et par une courte majorité de 50,5%, ils se sont prononcés contre la mise en service de la centrale « flambant neuve ». À la suite de ce résultat, le parlement a voté une loi de non-utilisation de l’énergie nucléaire (Atomsperrgesetz).

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Consensus anti-nucléaire

Pendant une dizaine d’années les débats ont toutefois continué à faire rage dans la classe politique autrichienne comme dans l’opinion publique, sur l’opportunité d’une sortie du nucléaire. Mais après la catastrophe de Tchernobyl en 1986, un consensus « anti-nucléaire » s’est progressivement installé et il est devenu évident aux yeux de tous que la centrale de Zwentendorf ne serait jamais mise en service.

La législation en la matière a même été renforcée en 1999 par l’entrée dans la Constitution du pays d’une interdiction du recours à l’énergie nucléaire. « Deux cents salariés étaient occupés dans la centrale » explique Hermann Kühtreiber, l’ancien maire de Zwentendorf, dans un reportage vidéo de France 24. « Ils ont évidemment perdu leur emploi, mais la plupart ont trouvé du travail dans d’autres centrales électriques. Aujourd’hui, après Tchernobyl et Fukushima, vous aurez du mal à trouver à Zwentendorf une personne qui regrette que le réacteur n’ait pas été mis en route » ajoute-t-il.

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Que devient la centrale ?

Aujourd’hui, le site offre aux visiteurs un voyage dans le temps. C’est la seule centrale atomique dont l’intérieur est accessible au public. Toutes les installations ont été conservées dans leur état d’origine, transportant le badaud dans les années 70′. Dans la salle de contrôle, l’horloge indique minuit moins cinq : une allusion à l’urgence qu’il y a d’accélérer la transition énergétique.

Depuis l’arrêt du projet nucléaire, différents scénarios de reconversion ont été entrepris, dont la transformation de Zwentendorf en centrale à gaz ou en musée. Mais ils ont tous échoué.

La salle de contrôle de la centrale : toutes les installations ont été conservées dans leur état d’origine.

Actuellement, elle est utilisée comme centre d’entrainement au démantèlement des centrales nucléaires. Des équipes peuvent s’exercer sans danger au démontage des réacteurs puisqu’aucune radioactivité n’y règne.

En 2005, l’énergéticien autrichien EVN a racheté le site. Il revend certains éléments des installations comme pièces de rechange pour entretenir ou réparer des réacteurs allemands. Un petit parc photovoltaïque a aussi été installé à l’intérieur de l’enceinte. Il fournit de l’électricité pour l’équivalent de 200 ménages. Une manière symbolique de marquer l’attachement du pays aux énergies renouvelables.

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Objectif : 100 % de renouvelables d’ici 8 ans !

L’année dernière, le parlement autrichien a voté une nouvelle loi fixant des objectifs pour la transition énergétique. D’ici 2030, la production d’électricité devra être assurée à 100 % par les énergies « vertes ». Un véritable défi pour ce pays montagneux d’Europe centrale qui n’est pas spécialement gâté par le soleil et le vent.

Avec déjà plus de 75 % d’énergies propres dans son mix électrique actuel, l’Autriche se classe pourtant au 1er rang européen pour la part des énergies renouvelables dans sa consommation d’électricité. Pour information, la production électrique autrichienne se décomposait ainsi en 2020 selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA) : 61,5 % d’hydroélectricité, 13,5 % de gaz fossile, 9,2 % d’éolien, 5,8 % de biomasse, le reste étant généré par du charbon, fioul, déchets, et 2,8 % de photovoltaïque. Le pays importe également une part importante de ses besoins depuis l’Allemagne et la Tchéquie.

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