Après plusieurs mois d’essais et de vérifications sur place, elle est entrée en service commercial lundi 6 mars – prétexte à une petite cérémonie d’inauguration. Elle, c’est la première « batterie de chaleur » électrique aux États-Unis à atteindre des températures de 1 500 °C. Elle est installée à Pixley, en Californie, à peu près à mi-chemin entre San Francisco et Los Angeles, au sein de l’usine de production d’éthanol de Calgren.

La production de carburants plus ou moins verts, alternatives aux carburants pétroliers, est sans doute en Californie le marché le plus profitable aujourd’hui pour ce type de technologie : les subventions aux carburants alternatifs dans le secteur des transports sont directement indexées sur les émissions de CO₂ qu’elles évitent sur l’ensemble de leur cycle de vie. Or, l’État de Californie valorise les réductions d’émissions dans les transports bien plus que celles de l’industrie. Résultat, les émissions évitées lors de la fabrication industrielle des biocarburants sont davantage récompensées que les émissions évitées dans d’autres secteurs industriels, moins directement liés aux transports.

La performance environnementale de l’éthanol est faible, mais elle peut être sérieusement améliorée si l’on évite d’employer du gaz ou du pétrole pour distiller l’éthanol, une étape qui représente la moitié de la consommation totale d’énergie fossile nécessaire. Utiliser l’énergie renouvelable est idéal, et en Californie, en milieu de journée l’énergie solaire est abondante, et donc peu coûteuse. La batterie de chaleur de Rondo transforme quelques heures d’énergie solaire en une source de chaleur haute température continue, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Au total, cette énergie sera bien moins coûteuse qu’une alimentation électrique continue, et son contenu en carbone sera nul, pour un bénéfice maximal.

Principe de fonctionnement de la batterie de chaleur Rondo / Infographie : Rondo Energy.

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Un principe de fonctionnement simplissime

Comment ça marche ? C’est assez simple. Des résistances électriques servent de radiateurs. Elles sont insérées dans de savants empilements de briques réfractaires, un matériau peu coûteux et pratiquement indestructible, qui peut sans dommage emmagasiner de la chaleur jusqu’à 1 500° C, voire davantage selon sa composition. Une circulation d’air permet, par convection, d’extraire cette chaleur pour tout processus industriel.

Cette première unité est encore modeste : 2 MW de puissance seulement.  Les prochaines unités – la seconde est en construction – auront une puissance électrique de 70 MW, pour délivrer 20 MW de puissance thermique, avec une efficacité annoncée de 98 %. La capacité de stockage est très variable, de 130 à 340 MWh selon les modèles. L’avantage de la taille, tout simplement : les surfaces extérieures sont proportionnellement plus petites par rapport au volume, il y a donc moins de pertes de chaleur.

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Plus efficace que l’hydrogène

Par comparaison, le détour par l’hydrogène pour assurer les besoins de chaleur haute température n’offre qu’une efficacité de 50 % environ : il lui faut deux fois plus d’électricité pour fournir la même quantité de chaleur. Cette première unité sera sans doute suivie de beaucoup d’autres : la chaleur industrielle absorbe un quart de l’énergie mondiale – pour le ciment, les produits chimiques, l’acier, le verre et bien d’autres produits. Et les trois quarts de cette chaleur se situent à des températures entre 300 et 1 500° C, clairement au-dessus des possibilités des pompes à chaleur.

Même dans le cas de chaleur basse température, d’ailleurs, les industriels devront comparer les coûts et mérites respectifs face aux pompes à chaleur, d’une efficacité apparente supérieure à 100 %, mais plus coûteuses et qui ont besoin d’une alimentation électrique continue.

Bien que petite, la batterie Rondo suffit à remplacer tout le fioul utilisé dans la production d’éthanol à Calgren. Elle alimente une turbine qui produit de l’électricité en continu, pour environ 20 % de l’électricité photovoltaïque absorbée, et de la chaleur pour 75 %. N’étant plus pollué par le flux dilué de CO₂ provenant de la combustion d’une énergie fossile, le flux de CO₂ inévitable de la fermentation devient très facile à capturer. Il est comprimé avec l’électricité de la turbine et séquestré : les émissions de CO₂ de la raffinerie sont négatives, et compensent les émissions dues au transport de la biomasse vers l’usine. Finalement, alors que l’éthanol californien a en moyenne une intensité carbone de 71 gCO2-equivalent (tous gaz à effet de serre confondus) par mégajoule (contre 100 CO2-eq/MJ pour l’essence), celui de Cargren affiche fièrement une intensité carbone nulle !

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Une solution pour se débarrasser du gaz fossile ?

Pour l’industrie allemande et européenne, qui doit se défaire rapidement d’une forte dépendance au gaz par suite de la guerre déclenchée en Ukraine par la Russie, ce type de stockage offre d’énormes possibilités. À condition toutefois que les énergies renouvelables se développent suffisamment vite. Le fondateur de Rondo Energy, John O’Donnell, était d’ailleurs invité mi-février à prendre la parole lors d’un évènement sur la résilience énergétique regroupant Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, Bill Gates et Ursula von der Layen, la présidente de la Commission européenne, dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité de Munich.

Beaucoup de start-up se sont lancées ces dernières années sur le marché de la production et du stockage de chaleur à partir d’électricité renouvelables. Rondo semble avoir une longueur d’avance : elle est la première à offrir un air surchauffé à plus de 1 000° C. La simplicité de son concept, la flexibilité offerte par un chargement rapide car « radiatif » (et non « convectif » comme d’autres solutions), la robustesse et l’économie des matériaux employés (éprouvés depuis plus d’un siècle dans les récupérateurs de chaleur de la sidérurgie), pourraient lui assurer un avantage déterminant.

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