Cet été, Révolution Énergétique retrace une partie de l’histoire des énergies. Ces « premières fois » où l’électricité est sortie d’une centrale nucléaire, d’une éolienne ou d’une centrale hydroélectrique. Ces grandes étapes souvent méconnues, où le premier panneau photovoltaïque a été installé, où la première pompe à chaleur a délivré des kilowattheures de froid ou de chaud « bas-carbone ». Cette semaine, nous explorons la première fois que de l’électricité a été stockée.

Le stockage de l’électricité est devenu un sujet très à la mode. Mais quand est-ce que le premier électron a été stocké pour la toute première fois ? Pour le savoir, nous avons interrogé Yves Bamberger, le vice-président de l’Académie des technologies et ancien directeur de la R&D d’EDF.

Pour alimenter nos smartphones, pour assurer que nos voitures électriques nous transportent à destination ou encore pour accumuler la production des énergies bas-carbone : stocker de l’électricité semble aujourd’hui devenu incontournable. Mais comment et surtout quand tout cela a-t-il commencé ?

Avant tout, il est peut-être intéressant de rappeler que parler de stockage de l’électricité, c’est en quelque sorte, un abus de langage. « On ne stocke jamais de l’électricité. On stocke d’autres formes d’énergie qu’ensuite, on peut retransformer en électricité », nous confirme Yves Bamberger. Dire que l’on stocke de l’électricité, c’est donc un raccourci pour dire que l’on convertit un courant électrique en une autre forme d’énergie qui, elle, pourra être stockée. Ceci étant posé et gardé en tête, autorisons-nous allègrement à emprunter le raccourci.

« Le besoin de stocker est apparu très tôt dans l’histoire même de l’électricité », nous rappelle le vice-président de l’Académie des technologies. « Avec l’idée, déjà, de rallier le camp de la fourmi plutôt que celui de la cigale, en stockant les surplus de production lorsqu’ils se présentaient. »

À lire aussi Les 3 plus grands sites de stockage d’électricité du monde

Stocker de l’électricité avec une batterie

Rappelons que les premières observations de phénomènes électriques remontent à aussi loin que le VIe siècle avant J.-C. Mais la pile qui permet de produire de l’électricité ne sera inventée qu’en 1800, par le physicien italien Alessandro Volta (1745-1827). Des disques de cuivre, des disques de zinc et des tissus imbibés d’eau salée. « Mais si la pile peut tout à fait être considérée comme un stock d’électricité — tout comme le combustible d’une centrale nucléaire ou même le charbon ou le gaz fossile —, elle ne peut pas à proprement parler être classée parmi les systèmes de stockage. » Une pile, en effet, se décharge, mais ne se recharge pas. Contrairement à une batterie.

Ainsi, la première fois que de l’électricité a été stockée, c’était grâce à la batterie au plomb inventée par Gaston Planté (1834-1889), un physicien français. Un stockage sous forme d’énergie chimique, donc. Grâce à un accumulateur électrique, disait-on alors. C’était en 1859. Une batterie rudimentaire qui se présentait sous la forme d’un rouleau de deux feuilles de plomb séparées par un tissu en lin. Le tout plongé dans une solution d’acide. C’est une évolution de ce type de batterie qui a équipé les voitures à moteur à combustion interne puis les toutes premières voitures électriques, avant même la fin du XIXe siècle.

À lire aussi Où se trouve la plus grande batterie du monde ?

Stocker de l’électricité avec de l’eau

Après la batterie, un autre moyen de stocker de l’électricité à grande échelle n’a pas tardé à faire son apparition : le stockage par pompage et turbinage de l’eau. Un stockage d’énergie potentielle. Grâce aux installations que les experts appellent maintenant les stations de transfert d’énergie par pompage, les STEP. « C’est la solution qui domine aujourd’hui dans les systèmes électriques de tous les pays », nous précise Yves Bamberger. Une domination qui n’est pas prête d’être remise en cause. « La Chine, par exemple, construit, depuis plusieurs années, quelque 2 à 3 GW de STEP par an. »

La toute première STEP a été mise en service dès 1907, sur le Rhin, près de Schaffhouse, par création d’un petit lac côté suisse. « Elle est toujours en fonctionnement. ». La première STEP française date, quant à elle, de 1933. Pendant les périodes de creux de consommation, de l’électricité servait à pomper de l’eau du lac Noir, dans les Vosges, vers le lac Blanc, à plus d’une centaine de mètres plus haut. Lorsque la demande augmentait, l’eau était relâchée, faisant tourner les turbines et produisant à nouveau de l’électricité. Le tout pour une puissance de l’ordre de 80 MW. La STEP du Lac Noir a été déconstruite il y a une dizaine d’années.

À lire aussi Dans les entrailles d’une gigantesque usine de stockage d’électricité

Stocker de l’électricité avec un volant d’inertie

L’énergie cinétique peut, elle aussi, permettre de stocker de l’électricité. Par l’intermédiaire de ce que les experts appellent les volants d’inertie. Des objets lourds que l’on fait tourner grâce à un moteur électrique et qui peuvent ensuite restituer cette énergie si on utilise le moteur comme un générateur d’électricité. « L’idée remonte à la préhistoire. Et à l’époque de la machine à vapeur, on utilisait des volants d’inertie pour réguler la rotation », nous raconte Yves Bamberger.

Dans les années 1950, quelques villes, en Belgique et en Suisse, ont exploité des volants d’inertie pour alimenter des bus. Avec une autonomie de 6 à 10 km. Ces volants faits d’acier tournaient à quelque 3 000 tours par minute. « Ceux d’aujourd’hui — ils ne sont pas nombreux, il en existe par exemple deux de 20 MW aux États-Unis — peuvent tourner jusqu’à 20 000 tours par minute pendant un quart d’heure. » Et des constructeurs envisagent à nouveau de les exploiter pour alimenter des tramways.

Stocker de l’électricité avec de l’air

Reste à aborder la question du stockage par air comprimé (Compressed Air Energy Storage ou CAES). Cette fois, on utilise l’électricité pour comprimer de l’air qu’on enferme dans une cavité. Une fois relâché, l’air peut servir à produire de nouveau de l’électricité. « Aujourd’hui encore, il n’y a que deux CAES dans le monde. Un aux États-Unis et l’autre en Allemagne, à Huntorf. Il aura été le tout premier à être mis en service en 1978 », note Yves Bamberger. Une installation de 290 MW.

« Si on veut être exact, le stockage par air comprimé remonte à un peu plus loin que ça. À la fin du XIXe siècle où un réseau d’air comprimé qui avait, un temps, fait fonctionner les horloges publiques parisiennes, a fini par servir à alimenter en électricité quelques restaurants, bars et autres hôtels de la capitale », nous confie le vice-président de l’Académie des technologies. Un stockage pas tout à fait d’électricité puisque l’air était alors comprimé à grand renfort de machines à vapeur brûlant du charbon.

À lire aussi Un gigantesque projet de stockage d’électricité par air comprimé lancé en Californie

L’ennui, pour le stockage par air comprimé, c’est que son rendement est pour l’heure encore faible. De l’ordre de 45 %. Et le rendement, c’est aussi le problème d’un autre moyen de stockage de l’électricité envisagé depuis quelques années seulement, celui-ci : l’hydrogène. Il dépasse aujourd’hui péniblement les 35 % ! « On est très loin du rendement des STEP — de l’ordre de 80 % — ou de celui des batteries — qui atteint les 90 % », conclut Yves Bamberger. Cela explique sans doute pourquoi il n’est pas encore réellement mis en œuvre aujourd’hui.

Tous les articles de notre série « les premières fois de l’énergie »

À lire aussi La première fois que l’électricité a été stockée À lire aussi La première fois qu’une centrale nucléaire a produit de l’électricité À lire aussi La première fois qu’une centrale hydroélectrique a produit du courant

Tous les articles de notre série « les plus puissantes centrales électriques bas-carbone de la planète »

À lire aussi Les 3 centrales nucléaires les plus puissantes du monde À lire aussi Les 3 parcs éoliens terrestres les plus puissants du monde À lire aussi Les 3 centrales hydroélectriques les plus puissantes du monde À lire aussi Les 3 centrales solaires photovoltaïques les plus puissantes du monde À lire aussi Les 3 centrales à biomasse les plus puissantes du monde À lire aussi Les 3 plus grands sites de stockage d’électricité du monde