De très haut niveaux de solaire photovoltaïque et d’éolien sans perturber le réseau électrique, est-ce possible ? Oui, « aujourd’hui, c’est possible ! » répond RTE, le Réseau de Transport d’Électricité, une filiale d’EDF.

« Même si elles doivent encore faire l’objet d’une démonstration à grande échelle, il existe un consensus scientifique sur l’existence de solutions technologiques permettant de maintenir la stabilité du système électrique sans production conventionnelle » met en exergue RTE, Réseau de Transport d’Électricité, dans son « Étude sur un système électrique à forte part d’énergies renouvelables en France à l’horizon 2050 »

Dans leur page de synthèse des points-clés du rapport, les experts de RTE soulignent  cependant que les systèmes à base de solaire photovoltaïque décentralisé[1] posent les plus importants défis : « Des difficultés spécifiques pourraient concerner les systèmes comportant une part importante de photovoltaïque distribué pour lesquels il est nécessaire de poursuivre l’évaluation des impacts sur le réseau de distribution et la sûreté du système électrique.»

La quintessence de l’énergie renouvelable

La performance récente d’Onslow en Australie – parvenir aux 100% d’énergies renouvelables variables pendant plus d’une heure avec du solaire distribué, ceci sans poser de problèmes de tension et de fréquence au réseau – est remarquable. D’autres systèmes isolés y étaient parvenus pendant diverses durées, parfois très appréciables, mais avec des unités de production éoliennes et/ou solaires centralisées. Exemples : les îles de Tokelau dans l’océan pacifique (solaire PV)[2],  de Tilos en Grèce (solaire PV et éolien)[3], d’El Hierro en Espagne (éolien)[4] ou encore de Samsø au Danemark (éolien).

La percée réalisée par le projet d’Onslow a consisté à utiliser exclusivement des actifs solaires distribués. Le graal de la décentralisation énergétique. La possibilité de cette décentralisation a conduit le Professeur John Schellnhuber (fondateur du Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK) et  ex-président du Conseil sur les changements globaux pour le gouvernement fédéral allemand) à estimer que « les renouvelables sont la quintessence de la source énergétique démocratique. »

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Le Grid Forming

«  Que faire alors avec un réseau avec plus d’énergie renouvelable ou même avec 100% d’énergie renouvelable ? » s’interroge RTE dans une vidéo très pédagogique. « Deux solutions sont envisageables » soulignent ces experts en réseaux électriques.  

«  La première consiste à conserver les rotors des centrales classiques pour les faire fonctionner comme des compensateurs synchrones. Ils puisent alors leur énergie sur le réseau, et se chargent de produire la fréquence et d’en garantir la stabilité. » 

Mais les scientifiques et ingénieurs ont plus d’un tour dans leur besace. En effet, selon RTE,  « la seconde solution est d’utiliser les capacités de l’électronique de puissance via des énergies renouvelables ou des batteries pour créer la fréquence et en assurer la stabilité, même avec des machines tournantes en fonctionnement. » 

Les ingénieurs de RTE ont recours à une métaphore musicale pour que le citoyen lambda puisse comprendre en quoi consiste le défi : « A la manière des rotors d’aujourd’hui, ces équipements deviendraient les chefs d’orchestre du réseau dont les autres énergies renouvelables n’auraient plus qu’à suivre les partitions. Cette solution s’appelle le grid forming ». 

 

Ils concluent que « gérer le réseau électrique avec une très forte part d’énergie renouvelable à l’équilibre fragile, aujourd’hui, c’est possible ! RTE relève le challenge de la transition énergétique avec une nouvelle solution technique. » Impossible n’est pas français.

Projets Migrate & Osmose

Le grid forming est aujourd’hui en cours de développement à échelle réduite dans le projet européen Migrate (vidéo) et sera bientôt expérimenté à taille réelle sur le réseau RTE du projet européen Osmose (vidéo).  « Et chez RTE, nous pensons qu’il est une vraie solution d’avenir. »

Les opérateurs des réseaux électriques d’Estonie, Finlande, France, Allemagne, Islande, Irlande, Italie, Pays-Bas, Slovénie, Espagne et Royaume-Uni se sont unis pour mener le projet Migrate (Massive InteGRATion of power Electronic devices), ceci en collaboration avec  des manufacturiers (GE, Schneider Electric) ainsi que des Universités et centres de recherche.

Le projet holistique Osmose (Optimal System-Mix of Flexibility Solutions for European Electricity) réunit des partenaires du Portugal, d’Espagne, de France, de Belgique, de Suisse, d’Allemagne, de Slovénie et de Serbie. Son objectif est d’identifier «  le mix de flexibilité optimal pour le système électrique européen afin de permettre la réalisation de la transition énergétique. ».

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[1] Aussi appelé production distribuée (calque de l’anglais), la production décentralisée est la production d’énergie électrique à l’aide d’installations de petite capacité raccordées au réseau électrique à des niveaux de tension peu élevée : basse ou moyenne tension.

[2] Sur l’île de Tokelau un back-up diesel vient en secours du système photovoltaïque. Le 100% renouvelable à l’échelle annuelle n’a jamais été atteint sur cette île.

[3] Sur l’île de Tilos l’enjeu était d’atteindre un optimum économique entre l’importation d’électricité de l’île voisine par câble sous-marin ou le surdimensionnement du système centralisé solaire + éolien, et de perdre ainsi une partie de la production sur cette île où la densité de population est, durant la saison estivale, comparable à celle de l’Union européenne. C’est bien entendu la consommation électrique estivale, bien plus élevée que l’hivernale, qui a servi à dimensionner le système électrique de cette île grecque. Afin de limiter les coûts et le gaspillage de l’électricité solaire et éolienne, il a été décidé qu’une partie de l’énergie électrique soit importée. Cet exemple montre, si besoin en était, qu’il est beaucoup plus difficile sur le plan technico-économique d’atteindre le 100% renouvelable (non atteint sur Tilos) sur une petite île qu’avec une super-grid continental qui jouit de l’effet de foisonnement et de la possibilité de mutualiser les outils de flexibilité. De plus, en Europe, les espaces littoraux sont protégés, ce qui augmente les contraintes associées à l’insularité. Ce sont les raisons pour lesquelles Tilos a été récompensée récemment par l’Europe.

[4] Sur l’emblématique île d’El Hierro l’objectif était d’assister un parc éolien (production centralisée) par  un système de stockage gravitaire, une micro-STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage). Mais, comme le souligne l’association spécialisée Hydrocoop, les petites STEP ont peu d’intérêt sur le plan économique comparativement aux grandes pour une raison mathématique très simple: le volume augmente à la puissance 3 tandis que le périmètre croit à la puissance 1. Par ailleurs El Hierro, tout comme Tilos, n’est pas parvenue au 100% renouvelable. Les résultats concrets de ce projet ont d’ailleurs été assez décevants, malgré l’abondance locale de la ressource éolienne (vents alizés). A ce jour, aucune île dans le monde n’est parvenue à devenir autonome en électricité. Small is difficult.