Depuis les années 80, la France s’est dotée d’un parc nucléaire capable de répondre aux besoins électriques du pays grâce à une énergie produite à bas coût. Mais est-ce que cela signifie que la France pourrait isoler son système électrique de celui de ses voisins, pour être totalement autonome ? En quoi les interconnexions nous reliant aux réseaux électriques des pays frontaliers sont-elles importantes pour le réseau français ? C’est ce que nous allons voir ici.

Pour répondre à la demande en électricité des Français, le territoire est maillé par un réseau de transport géré par une société bien nommée : Réseau de transport d’électricité (RTE). Pour parvenir ensuite jusqu’au compteur électrique de chaque consommateur, le réseau de distribution piloté par ENEDIS prend le relais.

Mais les câbles électriques ne s’arrêtent pas aux frontières. La France est reliée à ses voisins par le biais d’interconnexions électriques. La commission de régulation de l’énergie (CRE) définit une interconnexion comme « une ligne de transport qui traverse ou enjambe une frontière entre des États membres et qui relie les réseaux de transport nationaux des États membres de l’Union européenne ». Selon RTE, il existe plus de 400 interconnexions en Europe.

Via des câbles terrestres, souterrains ou sous-marins, en courant alternatif voire continu, la France est reliée à ses voisins : le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suisse. En tout, ce sont 51 points d’interconnexions qui existent aux frontières françaises. C’est RTE qui régit les liaisons transfrontalières électriques françaises.

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Les avantages des interconnexions électriques

Initialement, les interconnexions qui ont conduit à la création d’un marché européen de l’énergie avaient notamment pour but de faire baisser les prix de l’électricité en développant la concurrence sur les marchés nationaux. L’idée était également de permettre la solidarité des États pour répondre à la demande en électricité de chaque consommateur, où qu’il soit en Europe. Les interconnexions permettent donc une complémentarité des parcs de production européens, en réduisant les problématiques de stockage.

En cas de pic de consommation électrique dans un pays, en raison d’une vague de froid, par exemple, la production électrique d’un État voisin peut compléter la production nationale ponctuellement insuffisante. Pour les consommateurs, ce mécanisme est totalement transparent. Il permet d’éviter un déséquilibre du réseau national qui conduirait à des délestages ou des coupures, et, dans certains cas, à l’utilisation massive de centrales à énergie fossile (gaz, fioul, turbines à combustion, charbon).

Et ce n’est pas tout. Le réseau européen interconnecté est une aubaine pour le développement des énergies renouvelables variables puisqu’il leur offre des débouchés au-delà des territoires nationaux. Cela permet d’utiliser la production éolienne et solaire au meilleur de leur potentiel, en l’évacuant vers les voisins lorsque la production dépasse la consommation locale, par exemple.

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La France peut-elle se passer des interconnexions électriques ?

En France, le parc nucléaire assure une production d’électricité massive et à bas coût depuis sa création progressive dans les années 80. On pourrait penser que notre pays pourrait se passer des interconnexions. D’ailleurs, au moment de la crise de l’énergie, le marché européen de l’énergie a fait l’objet de vives critiques en raison de son système de fixation des prix qui faisait augmenter les tarifs également en France alors que nous disposons d’une électricité nucléaire peu chère.

À ce sujet, une réforme du marché de l’électricité a été proposée par la Commission européenne en mars 2023 pour faire évoluer notamment le système de fixation des prix. Néanmoins, la présence d’interconnexions aux frontières françaises présente deux avantages pour le pays. D’abord, même si la capacité de production française (essentiellement nucléaire) répond la plupart du temps à la demande, ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, tous les ans, la France importe de l’électricité, pendant quelques jours, pour répondre à des pics de demandes des consommateurs nationaux.

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Selon le bilan électrique 2020 de RTE, la France a connu un solde journalier importateur pendant 43 jours en 2020. C’est 18 jours de plus que l’année précédente. Et cela ne s’est pas amélioré par la suite. En effet, le parc nucléaire français vieillissant a subi de nombreuses défaillances inopinées (le fameux phénomène de corrosion sous contrainte) qui ont conduit à l’arrêt de nombreux réacteurs. Dans son bilan électrique 2022, RTE souligne que « la disponibilité nucléaire a été historiquement basse tout au long de l’année (taux de 54 % contre 73 % en moyenne sur la période 2015-2019) ». Cela a entraîné une hausse des importations et en 2022, la France a été pour la première fois depuis 1980 importatrice nette d’électricité (bilan net de 16,5 TWh en import).

Indispensable en hiver

La France a donc plus que jamais besoin de ses voisins aujourd’hui, pour sauvegarder l’équilibre de son réseau électrique. D’ailleurs, dans le rapport d’activité 2022 de la CRE, sa présidente Emmanuelle Wargon a rappelé que « sans les interconnexions (qui ont été renforcées pendant la crise) avec l’Espagne, la Belgique, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie et qui continueront de se développer entre la France et ses voisins, la France aurait eu recours au signal éco-watt rouge, voire aux délestages l’hiver dernier ».

En outre, dans l’autre sens, le système interconnecté permet également à la France d’exporter de l’électricité en cas de surplus de production. Pendant longtemps, la France a d’ailleurs été le principal exportateur d’électricité en Europe. Les interconnexions permettent donc de produire des revenus à la France. Ainsi, même si le système interconnecté européen n’est pas parfait et mérite des ajustements, la France ne pourrait pas s’en passer. Et cela d’autant moins que notre système nucléaire est à la peine depuis plusieurs mois et que notre système électrique est sécurisé par la présence de ses voisins.

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Quel est l’avenir des interconnexions en Europe ?

Il n’est pas prévu de limiter la présence des interconnexions en Europe pour les années à venir. Au contraire, la guerre en Ukraine et les difficultés d’approvisionnement en gaz qui ont bousculé le marché de l’énergie ont prouvé que la solidarité européenne était indispensable dans le secteur.

D’ailleurs, d’ici 2030, chaque pays de l’UE devra avoir mis en place suffisamment d’interconnexions à ses frontières pour lui permettre d’importer l’équivalent d’au moins 15 % de sa production d’électricité. Plusieurs projets d’interconnexions sont en cours. Par exemple, le Celtic Interconnector devrait constituer la première liaison électrique entre la France et l’Irlande, au moyen de 575 kilomètres (km) de câbles pour la plupart sous-marins. Sa mise en service est prévue pour 2027 pour une capacité d’échange de 700 mégawatts (MW).

Le projet du golfe de Gascogne est également en cours pour réaliser une nouvelle liaison entre la France et l’Espagne, sur 400 km. L’objectif est de doubler les capacités d’échanges entre les deux pays pour atteindre 5 000 MW, soit la consommation de 5 millions de foyers.

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