Recycler la chaleur dégagée par des ordinateurs et des serveurs pour chauffer des habitations, des logements sociaux ou des piscines. Une idée innovante exploitée par plusieurs start-up européennes.

Il y aurait près de 3 milliards d’ordinateurs dans le monde et plus de 8,5 millions de serveurs informatiques. Leurs microprocesseurs dégagent en permanence de la chaleur et pour éviter que celle-ci ne les détériorent, ils doivent être ventilés ou réfrigérés. Les consommations électriques de toutes ces machines sont colossales. A eux seuls, les datacenters seraient responsables de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Une empreinte carbone plus importante que celles de certains pays comme l’Argentine ou les Pays-Bas.

L’explosion des besoins en stockage de données informatiques ne va pas améliorer la situation. Une étude japonaise prédit même que si la croissance du nombre de serveurs se poursuit au rythme actuel, ils consommeront dans quelques années toute l’électricité produite au Japon.

En y réfléchissant bien, nous sommes face à un double gaspillage d’énergie : l’électricité utilisée par les ordinateurs est finalement transformée en chaleur perdue dans l’air – ce qu’on appelle en informatique la « chaleur fatale des machines » – et il faut encore dépenser un surcroît d’énergie pour ventiler ou réfrigérer tous ces appareils.

Recycler la chaleur

Dans un article précédent nous avions déjà décrit différentes initiatives permettant de réduire ces consommations, notamment par la technique du « free cooling ». Une autre idée, déjà exploitée par quelques start-up, consiste à « recycler » la chaleur dégagée. Ainsi, aux Pays-Bas, Nerdalize, une jeune société créée en 2013 proposait aux particuliers des radiateurs sans eau ni résistance électrique mais truffés de milliers de micro-processeurs connectés à internet grâce à la fibre optique. Il s’agit en fait de serveurs qui effectuent des opérations informatiques pour le compte d’entreprises. Les données transmises et stockées dans ces radiateurs-ordinateurs sont évidemment cryptées pour garantir leur sécurité.

Nerdalize avait réussi à lever plus de 1,5 million d’euros par crowdfunding pour développer ce business, mais cela n’a pas suffi pour couvrir les investissements et les dépenses nécessaires. La start-up a fait faillite dans les derniers jours de 2018.

En France la même idée est exploitée par Qarnot computing. Cette jeune entreprise a conçu le QH-1, un radiateur-ordinateur qui réalise à distance des calculs informatiques pour des entreprises tierces. Lorsque le QH-1 est en marche, sa consommation électrique est mesurée par un compteur intégré, et Qarnot rembourse automatiquement les dépenses en électricité. Le particulier qui a installé ce radiateur dans son habitation se chauffe donc gratuitement. La start-up se rétribue en louant ses serveurs à des entreprises comme BNP-Paribas ou Disneyland. Pour celles-ci, le prix déboursé pour leur utilisation est 2 à 3 fois moins élevé que si elles les exploitaient en interne.

Un QH-1 peut chauffer jusqu’à 30 m² dans un bâtiment répondant aux normes modernes d’isolation. Selon Qarnot, la chaleur dégagée est homogène et stable ; elle assure donc un confort maximum et une sensation agréable, comparable à celle d’un chauffage central.

Des serveurs chauffent gratuitement des logements sociaux

A Bordeaux, une résidence sociale inaugurée en décembre dernier bénéficie déjà de cette technologie. « Oser proposer du chauffage gratuit est un véritable pari auquel nous réfléchissons depuis plusieurs années. Nous ouvrons une voie pour le logement social du futur », explique Sigrid Monnier, directrice de Gironde Habitat. « Les locataires n’ont plus qu’à tourner les boutons de leurs radiateurs pour se chauffer plus ou moins selon leurs envies. A la fin du mois, ils paient leurs loyers sans aucun frais d’électricité ».
Le prix de ces radiateurs n’est toutefois pas donné : un QC-1 coûte 2 500 €. Un engagement financier important que justifie Jean-Luc Gleyze, président de la Gironde : « Ces radiateurs seront amortis dans sept ans et d’ici là, le chauffage est gratuit ».

A première vue l’idée du radiateur-ordinateur est excellente … mais il y a toutefois un souci de taille. Les serveurs fonctionnent évidemment toute l’année, alors qu’en été la chaleur dégagée n’est pas la bienvenue. Certes, la magie d’internet permet de rediriger les flux de données vers des régions où les saisons ne coïncident pas avec les nôtres. Mais cela n’est ni évident ni simple. La solution proposée par Qarnot est de les envoyer vers des endroits peu utilisés en été, comme les écoles par exemple, où le chauffage resterait allumé en toute saison. Au moins, il ne faudrait pas utiliser d’énergie pour la réfrigération des machines.

Chauffer les piscines

Autre solution : utiliser la chaleur fatale informatique dans des installations qui doivent être chauffées toute l’année.  La piscine de la Butte-aux-Cailles, dans le 13ème arrondissement de Paris, est la première piscine au monde à bénéficier de la chaleur d’un data center. Avec 45 kW de puissance en plein fonctionnement, les six « chaudières numériques » du data center sont toutefois insuffisantes pour chauffer l’eau des bassins, après une vidange notamment. Elles ne couvrent que 15 à 20 % des besoins en chaleur de la piscine.
Pour un bassin public classique (25 mètres de long, 6 couloirs et une profondeur variable), 550.000 kWh d’électricité sont en effet nécessaires chaque année. C’est 250 fois la consommation moyenne d’un ménage européen.

En France, une dizaine de piscines sont maintenant en cours de conversion au “chauffage numérique”.