Pour atteindre la neutralité carbone, des états, des entreprises et des collectivités  parient sur le stockage du carbone par les forêts. Mais ce n’est, peut-être, pas le meilleur moyen d’alléger leur empreinte climatique. Avec le réchauffement, certaines forêts pourraient bientôt relâcher plus de CO2 qu’ils n’en capturent Explications.

C’est le grand acquis de l’accord de Paris. Conclu à l’issue du sommet climatique onusien de 2015 (la COP 21), ce traité international ambitionne de limiter le réchauffement climatique entre 1,5 °C et 2°C par rapport au niveau préindustriel. Ambitieux, cet objectif implique de réduire rapidement nos émissions de gaz à effet de serre (Ges) pour atteindre, au milieu du siècle, la neutralité carbone. Dit autrement, il s’agit, nous rappelle l’article 4 de l’accord, de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre ». Comment atteindre semblable équilibre ?

La neutralité carbone par la racine

Simple. Il faudra réduire de moitié, en 10 ans, nos rejets de gaz carbonique, méthane, protoxyde d’azote, hexafluorure de soufre et autre HFC. Sans oublier d’augmenter significativement la capacité de stockage des puits de carbone naturels. Aux forêts, aux sols agricoles et pourquoi pas à l’océan de séquestrer les Ges que l’on n’aura pas pu (ou su) éviter. Voilà pour le principe.

Dans la réalité, c’est un peu plus compliqué. A supposer, comme le postule le Global Carbon Project, que nous disposions encore d’un budget carbone de 570 milliards de tonnes de CO2, nous allons devoir réduire de 6 à 7 % par an nos rejets dans l’atmosphère (l’équivalent de l’économie d’émission générée par les confinements de 2020) pour réduire suffisamment nos émissions. A l’autre extrémité, les « éponges » à carbone devront absorber des quantités croissantes de dioxyde de carbone : 2 milliards de tonnes par an, en 2030, et jusqu’à 13 milliards de tonnes par an, en 2050, a calculé le consultant McKinsey.

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Planter des arbres

Et ils sont nombreux à compter sur la « carbophilie » des milieux naturels pour assurer leur conformité carbone. Selon un décompte, établi durant l’automne 2020 par Data Driven Lab, 826 villes, 103 régions, 1 565 entreprises, émettant collectivement 10 milliards de tonnes de Ges par an, visent désormais la neutralité carbone. Dans les airs, on ne quitte pas les forêts des yeux. En attendant le déploiement du système Corsia, de nombreuses compagnies aériennes, comme Air France, proposent à leurs passagers de compenser les émissions de leur voyage en finançant la plantation d’arbres.

Ce système est-il efficace ? On peut en douter pour plusieurs raisons. D’une part, la comptabilité des porteurs de projets d’afforestation (les « planteurs d’arbres ») laissent parfois à désirer. En Californie, par exemple, les bucherons générateurs de crédits carbone se « trompent » parfois de méthode de calcul. Et n’hésitent pas à déclarer qu’ils ont planté des arbres gros consommateurs de CO2, comme les tanoaks, là où ils ne font en réalité pousser que des pins jaunes peu friands de carbone. Le consultant Carbon Plan, qui a ausculté une centaine de projets de compensation forestiers californiens, estime que le tiers de leurs crédits carbone sont fallacieux. ça n’est pas neutre pour un système qui concoure à l’équilibre du marché californien du carbone, la Western Climate Initiative (WCI).

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Moins d’appétit par forte chaleur

Autre écueil : l’appétit pour le carbone des puits naturels devrait diminuer à mesure que les températures augmenteront. La photosynthèse contribue à absorber un peu plus du tiers des rejets anthropiques de dioxyde de carbone. Ce processus naturel se déroule dans des conditions optimales lorsque la température moyenne oscille entre 17 °C et 27 °C. Si nos émissions poussent encore les feux du climat, l’absorption du CO2 par les plantes va diminuer, mais pas leur respiration. Dans certaines régions tropicales ou boréales, les plantes vont donc excréter plus de carbone qu’elles n’en absorberont : elles deviendront des « sources » de carbone, comme l’a montré une équipe de chercheurs américano-néo-zélandaise, dirigée par Katharyn Duffy (université de l’Arizona du nord). Le phénomène n’est pas nouveau. Selon les membres d’une autre équipe dirigée par Wannes Hubau (université de Leeds), la diminution des puits de carbone des forêts tropicales aurait débuté à la fin des années 1990. Elle n’est pas sur le point de s’arrêter.

Avec l’âge, les végétaux absorbent moins de carbone

Les promoteurs des « solutions basées sur la nature » ont d’autres cordes à leur arc. Les biologistes marins savent depuis des lustres que certains écosystèmes marins ont une capacité certaine à absorber et stocker du carbone. Durant leurs premières années, les mangroves stockent jusqu’à 23 tonnes de carbone par hectare et par an. Des banques, de puissantes ONG américaines (comme Conservation International, l’ONG dirigée par l’acteur Harrison Ford), la Banque mondiale proposent aux petits Etats insulaires — souvent menacés par la montée du niveau de l’océan — de protéger leurs mangroves. En contrepartie, ils émettent des crédits carbone qu’acquièrent leurs mécènes du nord. Dans d’autres montages, les investisseurs rachètent de la dette des pays protecteurs de mangroves.

Les mangroves recullent partout
Les mangroves reculent partout sous la poussée de l’urbanisation et du tourisme

L’intérêt de cet échange « dette-nature » diminue rapidement. Avec l’âge, les végétaux les pieds dans l’eau absorbent de moins en moins de ce « carbone bleu ». Plus grave, les mangroves reculent partout sous la poussée de l’urbanisation, du tourisme et de la montée du niveau de la mer. Selon la FAO, le tiers des mangroves mondiales a disparu entre 1980 et 2000. Chaque année, leur surface s’atrophie au rythme de 1% par an, rappelle le CNRS. Bref, la solution n’apparaît pas pérenne pour stabiliser le réchauffement. On peut toujours tenter d’investir dans le stockage du carbone par les herbiers de posidonies. Reste à savoir combien de carbone ces plantes à fleurs monocotylédones sous-marines sont capables de séquestrer. Un sujet pour le prochain rapport du Giec ?

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