Cet été, Révolution Énergétique retrace une partie de l’histoire des énergies. Ces « premières fois » où de l’électricité est sortie d’une centrale nucléaire, d’une éolienne ou d’une centrale hydroélectrique. Ces grandes étapes souvent méconnues, où le premier panneau photovoltaïque a été installé, où la première pompe à chaleur a délivré des kilowattheures de froid ou de chaud « bas-carbone ». Cette semaine, nous explorons l’histoire de la production d’électricité à partir de l’énergie des atomes.

L’énergie nucléaire n’est pas ancienne, mais il faut tout de même remonter de quatre-vingts ans en arrière pour en trouver la genèse. Une période de guerre, car la technologie a été développée en pleine Seconde Guerre mondiale, qui vit émerger en parallèles les applications militaires et civiles.

La « pile de Chicago » (CP-1) est célèbre pour avoir été le premier réacteur dans lequel une réaction en chaîne nucléaire a été entretenue de manière stable, le 2 décembre 1942. Dans cette situation, autant de neutrons sont produits que de neutrons sont absorbés au sein du cœur du réacteur, on parle alors de criticité. C’est à partir de cet état, qu’il est possible de piloter à la hausse la puissance du réacteur et de réellement produire de l’énergie.

Construction de la Pile de Chicago / Image : Argonne National Laboratory.

La Pile de Chicago a été installée sous les tribunes ouest du Stagg Field, un terrain de football américain de l’Université de Chicago. L’expérience, menée par Enrico Fermi, est une première mondiale, mais elle resta rigoureusement secrète, car réalisée dans le cadre du projet Manhattan. Ce gigantesque projet de la Seconde Guerre mondiale fut en effet destiné à créer des armes nucléaires pour les forces armées des États-Unis, et ce avant que les forces de l’Axe, notamment l’Allemagne, ne les découvrent elles-mêmes.

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X10, le premier réacteur nucléaire de puissance

L’exploit de la Pile de Chicago ne fut que le début de l’histoire, qui amena à la première production d’électricité nucléaire. Le réacteur n’a en effet qu’une très faible puissance : il ne produisit que 0,5 W pendant 4 minutes et demie. Cela représente 130 joules (J) environ, à peine de quoi porter quelques gouttes d’eau à ébullition.

Ce premier réacteur fut suivi d’autres modèles. L’un d’entre eux, le réacteur au graphite X10, fut d’une taille et d’une puissance considérablement plus grandes. Il atteignit la criticité le 4 novembre 1943, et après plusieurs essais, sa puissance monta jusqu’à 4 MW en juillet 1944, et il était conçu pour fonctionner ainsi de manière continue. Ce niveau de puissance devient respectable, suffisant pour porter à ébullition toute l’eau d’une baignoire en moins de 30 secondes.

Le chargement d’éléments combustibles dans le réacteur X10 / Image : Oak Ridge National Laboratory.

Le réacteur X10 n’était toutefois pas capable de produire de l’électricité – il était après tout destiné à tout autre chose : fabriquer le plutonium pour les premières bombes nucléaires américaines.

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EBR-I, le premier réacteur nucléaire à produire de l’électricité

Quatre ampoules : c’est ce que réussit à allumer le Experimental Breeder Reactor I (EBR-I), en cette date historique du 20 décembre 1951 à 13h50. Comme l’indique une plaque à l’entrée du site, le réacteur devint ainsi la première centrale nucléaire de l’histoire, et ce moins de dix ans après la toute première criticité de la Pile de Chicago en 1942.

Les quatre ampoules allumées par EBR-I / Image : United States Department of Energy.

Le réacteur est situé dans le désert, sur un site d’essai de l’Argonne National Laboratory, appelé National Reactor Testing Station. Ce centre de recherche est situé dans l’Idaho, à environ 29 km au sud-est d’Arco, une petite ville dont nous reparlerons plus tard. Le réacteur a été conçu et construit par une équipe dirigée par Walter Zinn. La construction se termine le 10 avril 1951 et le 24 août de la même année, le réacteur atteint la criticité. De nouveaux essais conduisent ensuite à augmenter peu à peu sa puissance, jusqu’à atteindre une puissance suffisante pour générer de l’électricité en ce 20 décembre. Le lendemain, le réacteur produit suffisamment d’énergie pour éclairer tout le bâtiment. Au maximum de sa puissance, le réacteur produira 200 kW d’électricité à partir de 1,4 MW de chaleur générée.

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En plus de produire la première électricité d’origine nucléaire au monde, EBR-I a également été le premier réacteur surgénérateur au monde et le premier à utiliser du combustible au plutonium pour produire de l’électricité. On retrouve ici l’origine de son nom, le terme anglais « breeding » désigne en effet ce qu’en Français nous appelons par « surgénération », c’est-à-dire la capacité à produire plus de combustible nucléaire qu’il n’en a été consommé. Cette capacité fut démontrée par EBR-I en 1953.

La plaque à l’entrée du site historique d’EBR-I / Image : Bkleinf2 – Wikimédia.

Arco, le premier village alimenté uniquement par énergie nucléaire

Si EBR-I a produit de l’électricité, le réacteur n’a pas pour autant été connecté au réseau, et son électricité n’a servi qu’à alimenter le réacteur lui-même. Sur le même site de la National Reactor Testing Station se trouve une centrale expérimentale, de type à eau bouillante, appelée BORAX, et qui a fait l’objet d’un grand nombre d’évolutions successives.

Sa troisième configuration, appelée BORAX-III, produisit 2 MW d’électricité le 17 juillet 1955. Cette électricité fut utilisée pour alimenter la centrale elle-même (500 kW), et fut connectée au réseau pour alimenter une partie du centre de recherche (1000 kW) ainsi que la ville voisine d’Arco, pour 500 kW. La ville d’Arco fut ainsi la première dans l’histoire à être alimentée en électricité par un mix électrique 100 % nucléaire.

Turbine à vapeur et générateur de BORAX-III / Image : Idaho National Laboratory.

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