Aujourd’hui, la plupart des éoliennes ont 3 pales. Mais quelques fabricants, dont un français, développent des turbines bipales. Disposant de certains atouts elles pourraient bientôt revenir en force sur le marché offshore. Nous avons mené l’enquête.

Vous pouvez le constater dans le paysage : la plupart des éoliennes actuelles disposent de 3 pales et leur axe est horizontal. « Ce choix n’est pas guidé par des considérations techniques, mais résulte tout simplement de l’approche empirique des pionniers qui dans les années 1970 ont développé les premières éoliennes artisanales au Danemark » explique Martin Jakubowski, le fondateur de la startup néerlandaise Seawind, laquelle développe des prototypes bipales. « Ils ont fabriqué des turbines à trois pales, ça fonctionnait et ils ont commencé à les construire en plusieurs exemplaires » poursuit-il.

Pourtant aux débuts de l’histoire de l’éolien, d’autres modèles ont été inventés, notamment par la NASA et le fabriquant américain d’hélicoptères Glidden Doman. En 1982, ils ont testé dans le Wyoming une éolienne bipale géante de 4 MW, beaucoup plus puissante que les petites machines danoises de l’époque. Mais à ce moment, la surabondance de pétrole bon-marché a incité les Etats-Unis à interrompre leur programme éolien.

Au Danemark, par contre, puis en Allemagne, les gouvernements ont introduit des réglementations permettant aux citoyens, souvent regroupés en coopératives, de construire des éoliennes et d’injecter l’électricité sur le réseau en bénéficiant d’un tarif de rachat intéressant. Les initiatives se sont multipliées, ce qui a créé un marché pour le modèle tripales danois. Très vite, les industriels s’y sont engouffrés en copiant le concept expérimenté par les pionniers et en développant des turbines de plus en plus puissantes. Les éoliennes bipales ont alors en grande partie disparu.

Avantages et inconvénients

Il est vrai que d’un point de vue technique, le modèle à trois pales dispose d’atouts non négligeables. Plus le nombre de pales est élevé, plus le couple transmis à l’arbre du rotor est important, ce qui permet à la machine de démarrer à une vitesse de vent relativement faible. A contrario, un nombre de pales élevé entraîne une plus grande prise au vent, ce qui nécessite leur arrêt par vent fort.

De leur côté les bipales présentent aussi des inconvénients et des avantages. Leur rotor tourne plus vite ; elles sont donc plus bruyantes et l’impact visuel dans le paysage est plus important. Un obstacle majeur quand il s’agit d’obtenir l’acceptation de leur installation par les populations locales. Et à l’inverse des tripales, elles nécessitent une vitesse de vent plus importante pour démarrer.

A puissance égale, par contre, elles sont plus légères et permettent d’économiser le coût d’une pale. Elles supportent aussi mieux les vents violents. Contrairement aux tripales, il est même techniquement possible de les coucher horizontalement sur le sol en cas de tempête. Les bipales sont donc moins chères et mieux adaptées aux régions affectées par des ouragans et des cyclones fréquents.

Eolienne bipale
Les éoliennes bipales sont plus légères, moins coûteuses, plus faciles à entretenir et peuvent être rabattues au sol.

Vergnet a installé 900 éoliennes bipales dans le monde

Certains fabricants d’éoliennes ont entrevu les avantages des bipales et conçu des modèles pour des marchés spécifiques. C’est le cas notamment de l’entreprise française Vergnet. Etablie à Orléans depuis 25 ans elle a développé des modèles bipales qu’elle exporte pour plus de 95% dans les régions affectées par des conditions cycloniques extrêmes. Elle revendique l’installation de 900 éoliennes de taille moyenne dans le monde, comme par exemple dans les Fidji, les îles Samoa et la Nouvelle-Calédonie. La société se dit aussi fière d’avoir développé en Ethiopie un projet éolien de 120 MW avec des turbines bipales de 1 MW. Elles fournissent du courant pour plus de 3 millions d’Ethiopiens. Selon Vergnet, il s’agirait du plus important parc éolien de l’Afrique subsaharienne.  

Eolienne Vergnet
Une éolienne bipale de Vergnet

Les bipales à la conquête de l’offshore

Si certains fabricants comme le turbinier chinois Ming Yang Wind Power ont développé des modèles bipales pour ensuite abandonner le projet, d’autres pensent que la technologie pourrait revenir en force dans le marché offshore. Ses inconvénients y sont en effet moins contraignants et ses avantages plus décisifs.

C’est par exemple le cas de la société Envision. Associé à l’institut allemand Fraunhofer IWES dans le cadre du projet de recherche Ecoswing, ce fabricant chinois a testé en 2019 et pendant 7 mois, un prototype bipales de 3,6 MW. Les résultats semblent concluants puisque Envision ne cache pas sont projet de développer des machines bipales offshore beaucoup plus puissantes.

Eolienne bipale Envision
Envision a testé pendant 7 mois un prototype bipale de 3,6 MW

Siemens-Gamesa, s’intéresse aussi à la technologie bipale. Le numéro un de l’éolien offshore finance les travaux de recherche dans ce domaine menés par Vera Schorbach, professeure en énergies renouvelables à l’Université des Sciences Appliquées de Hambourg.
« A puissance égale, les éoliennes bipales pourraient être 10 à 15% moins chères que les turbines classiques » nous dit-elle. « Mais jusqu’à présent les projets offshore étaient suffisamment rentables pour que leur promoteurs ne prennent pas le risque d’investir dans une technologie qui n’a pas encore fait ses preuves. Toutefois, avec la concurrence qui s’intensifie, cela pourrait changer » estime-t-elle.

À lire aussi Une éolienne « colossale » de 14 MW : record de puissance pour Siemens Gamesa

Seawind développe des modèles bipales géant pour l’offshore

Fondée en 2014, la société néerlandaise Seawind parie également sur le développement des rotors bipales. « Les éoliennes à deux pales génèrent environ 2% d’électricité en moins que les machines à trois pales de même taille, mais ce déficit est plus que compensé par les dépenses d’investissement et d’exploitation beaucoup plus faibles » explique son fondateur et CEO Martin Jakubowski. « Cela se traduit par un coût global actualisé de l’énergie (LCOE ) réduit de moitié » prétend-il.

En exploitant les travaux de recherche menés sur les bipales par la NASA dans les années 1980, la startup a développé et testé avec succès un premier prototype d’une puissance de 1,5 MW. Elle conçoit maintenant pour l’offshore, deux modèles d’éoliennes flottantes bipales, l’un de 6 MW et l’autre de 12 MW. Ils sont spécialement prévus pour une installation en eaux profondes avec des conditions de vent extrêmes.
« Des études ont montré que le coût de l’électricité produite par une turbine offshore à deux pales de 10 MW avec un diamètre de rotor de 200 mètres pourrait être inférieur à 30 $ par MWh, en y incluant le prix des connexions au réseau » nous déclare Martin Jakubowski.
Seawind prévoit de tester cette année dans les eaux écossaises son modèle flottant bipale de 6 MW doté d’un rotor de 126 m de diamètre. Sa mise sur le marché est annoncée pour 2023 et celle du modèle de 12 MW pour 2024

Selon le journal britannique Recharge, les éoliennes bipales pourraient s’accaparer 20% des 10 GW du marché annuel attendu pour l’offshore d’ici 2025.

Seawind 6 MW
Seawind annonce la mise sur le marché de son éolienne bipales pour 2023
À lire aussi Des éoliennes munies de 4 rotors vont-elles bientôt fleurir dans nos campagnes ?