AccueilSolaireUne tempête solaire peut-elle nous ramener à l’âge de pierre ?

Une tempête solaire peut-elle nous ramener à l’âge de pierre ?

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Par Laurent GAUTHIERPublié le 6 juillet 2025
Une ligne 400 kV et des aurores boréales / Photomontage Révolution Énergétique.

Les tempêtes solaires illuminent les régions polaires de magnifiques aurores boréales. Parfois, ces tempêtes sont plus fortes, et les aurores peuvent être visibles jusqu’aux latitudes moyennes, comme ce fut le cas en ce début d’année. Mais lorsqu’elles deviennent encore plus fortes, c’est tout notre approvisionnement électrique qui est menacé.

Nous sommes en 2012. Le 23 juillet, plus précisément. Un colossal jet de plasma est éjecté par le soleil, et jaillit dans l’espace interplanétaire à plus de 3 000 km/s, soit 1 % de la vitesse de la lumière. Près de six fois la vitesse normale du vent solaire. Le jet de particules ionisée traverse les orbites de Mercure, puis celle de Vénus, et franchit celle de la Terre. Il aurait frappé notre planète de plein fouet, si elle avait été à cette position. Une position où elle se trouvait seulement une semaine plus tôt. À une semaine près, les conséquences auraient pu être catastrophiques.

Un scénario de science-fiction ? Non, c’est une observation réelle que nous relate la NASA. Il s’agit d’un phénomène appelé éjection de masse coronale (CME), ou, plus couramment, une tempête solaire. C’est un phénomène qui se produit plus ou moins régulièrement, en fonction du cycle solaire d’un peu plus de 11 ans, et qui est maximum lorsque le soleil est particulièrement agité, comme en 2025. Mais heureusement, la Terre est rarement sur la trajectoire des jets de plasma.

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Les télégraphes fonctionnent tous seuls !

Mais que se serait-il passé si tel avait été le cas ? Il y a moins de deux cents ans, en septembre 1859, une tempête solaire frappe la Terre. Celle-ci est particulièrement violente. Le jet de plasma interagit avec le champ magnétique terrestre, et génère des aurores polaires qui seront visibles jusqu’à des latitudes tropicales. Les variations brutales et intenses du champ magnétique terrestre génèrent à leur tour, dans le sol, des courants électriques, appelés courants induits géomagnétiquement (GIC) ; le sol, en effet, est un bon conducteur électrique, comme nous l’avons vu dans notre article sur les réseaux HVDC.

Les courants induits affectent également les autres conducteurs, typiquement les lignes électriques. À l’époque, il n’existe pas encore de réseau électrique – il faudra attendre 1882 pour voir apparaître les premiers d’entre eux en France et aux États-Unis. Mais il existe tout de même un vaste réseau de conducteurs électriques : les lignes télégraphiques. Ces dernières seront fortement affectées par la tempête solaire. Elles seront parfois brouillées, et plus étonnant, certaines fonctionneront seules, sans alimentation électrique. Les courant induits produisent des étincelles, et, un peu plus grave, quelques départs de feu.

Une ancienne ligne de télégraphe en Australie / Image : Wikimedia – Mart Moppel.

Le soleil plonge le Québec dans le noir

Les effets ont donc été sensibles il y a presque deux siècles. Mais aujourd’hui, alors que les réseaux électriques se sont répandus sur toute la planète, et ont une telle importance dans notre vie de tous les jours, que se passerait-il si une puissante éjection de masse coronale frappait la Terre ?

En mars 1989, cela s’est produit. Il faut savoir que, du fait de la forme du champ magnétique terrestre, les courants induits par la tempête solaire sont d’autant plus importants que l’on se rapproche des pôles magnétiques. C’est le Canada qui a alors été le plus touché – le pôle Nord magnétique se trouvait au large de son territoire, avant sa dérive plus récente vers le pôle géographique. Les courants induits (GIC) provoquèrent le déclenchement des systèmes de protection du réseau électrique du Québec, plongeant la région dans le noir pendant près de neuf heures. Un effet plutôt significatif, donc.

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Une cascade de défaillances est à redouter

La tempête solaire de 1989 a été près de trois fois moins intense que l’événement de Carrington de 1859. Et cela fait redouter des conséquences bien plus graves. Cela conduit les autorités publiques et les chercheurs (et les assurances !) à étudier de façon très précise ce type de risque. Et à étendre l’analyse à de nombreux domaines. Car le réseau électrique n’est pas le seul affecté. Les satellites peuvent être rendus inopérants ou endommagés, par exemple, nuisant à la localisation par GPS, ou aux télécommunications. Mais cela va plus loin encore.

Il est nécessaire en effet de prendre en compte toutes les répercussions de ces coupures de courant sur l’ensemble du fonctionnement de notre société. Car, aujourd’hui, tout ou presque fonctionne à l’électricité, voire utilise internet, et que ce soit l’approvisionnement en eau, l’organisation des secours, les transports, et l’usage le plus banal de la monnaie sous forme électronique. La coupure électrique du 28 avril 2025 en Espagne et au Portugal s’est montrée particulièrement illustrative à cet égard ; pour certains, il a fallu apprendre à nouveau à payer en espèces.

Une aurore boréale observée depuis le sud-est de la France, le 11 mai 2024 / Image : RE.

Une prise en compte de l’ensemble des dommages nécessite ainsi de prendre en compte l’ensemble de l’interconnectivité de notre société, et de la propagation de la cascade de défaillances. L’enjeu est d’évaluer les risques que notre système technologique ne parvienne pas à soutenir le choc, et ne risque pas de s’effondrer pour des durées trop longues avant de pouvoir être remis en service.

Si cela devait se produire, avec des blackouts de plusieurs semaines, mois ou années, la situation conduirait inévitablement à des troubles sociaux majeurs, qui amplifieront encore la difficulté à réparer les dégâts. Il s’agit typiquement d’une situation à très faible probabilité, mais à risque très important – un risque existentiel, même, pour notre civilisation. Un Cygne noir, pour reprendre le terme de Nassim Nicholas Taleb, le célèbre auteur de l’ouvrage éponyme.

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Des coûts astronomiques

En 2016, le Center for Risk Sudies de l’Université de Cambridge publie une évaluation du coût sur l’économie américaine de la survenue d’un événement de type Carrington. Un tel événement est caractérisé par deux phases : une première éjection de masse coronale (CME) d’intensité moyenne, qui serait détectée avec 30 ou 60 minutes d’avance grâce aux satellites, puis une deuxième CME, bien plus puissante, mais pour laquelle des mesures auraient pu être prises pour limiter les risques.

Dans cette situation, les satellites sont très fortement endommagés. Mais les effets sont bien plus graves en ce qui concerne les transformateurs du réseau électrique. La conception de ces derniers les rendent en effet particulièrement sensibles aux courants induits géomagnétiquement. Ces derniers peuvent conduire à leur arrêt automatique, mais peuvent, s’ils sont insuffisamment protégés, les endommager, voire les détruire définitivement.

Un des transformateurs de l’interconnexion Savoie-Piémont / Image : RTE.

Et c’est le point clé de l’étude : si des transformateurs sont hors d’usage, leur remplacement pourrait prendre des mois, voire des années. Pire encore s’ils sont nombreux à être détruits en même temps ; la capacité de production de ce type de grands équipements étant limitée, la file d’attente pourrait devenir gigantesque, et leur remplacement complet pourrait devenir extrêmement long. Selon les scénarios, l’équipe de Cambridge envisage des blackouts de quelques heures pour une partie de la population, mais dans certains cas de plusieurs mois, voire de l’ordre de l’année, pour une proportion importante des États-Unis (jusqu’à 10 %).

Les coûts directs estimés pour l’économie américaine s’échelonnent de 220 milliards de dollars (G$) et 1 200 G$ selon les scénarios de dommages, soit entre 1,4% et 8,1 % du PIB des États-Unis. Les coûts indirects, et notamment l’impact sur la chaîne d’approvisionnement mondiale, s’élèveraient à une fourchette de 470 G$ à 2 700 G$, soit entre 0,7 % et 3,9 % du PIB mondial. Des coûts vertigineux, donc, qui dépassent largement les coûts des pires catastrophes naturelles.

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Peut-il y avoir pire encore ?

Et que penser lorsque l’on apprend que l’événement de Carrington de 1859 ne serait pas la plus puissante tempête solaire qui se soit produite dans les parages de notre soleil ? En effet, des traces historiques, et notamment des distributions particulières d’isotopes radioactifs, tendent à montrer qu’en 775 se serait produit l’événement de Miyake. Ce dernier aurait été 10 à 100 fois plus puissant que celui de Carrington. Si un tel événement devait se produire, compte tenu de tous les effets sociaux redoutés, reviendrons-nous alors à l’âge de pierre, ou tout du moins à l’époque où l’électricité n’était pas utilisée, c’est-à-dire au XVIIIᵉ siècle ?

Ces réflexions montrent toute la fragilité de notre société, très interconnectée, et particulièrement dépendante de réseaux de fourniture d’énergie instantanée. Des chocs peu probables, mais extrêmement brutaux peuvent, en théorie, mettre l’ensemble de ce système dans une situation particulièrement difficile. En matière de tempête solaire, la situation est rendue d’autant plus critique qu’il s’agit d’événements aujourd’hui impossibles à prédire, et qui peuvent survenir brusquement, avec bien peu de temps pour s’y préparer.

S’attacher à concevoir des systèmes moins vulnérables vis-à-vis de ce type de risques est au cœur même de la démarche de résilience. Et notre civilisation ne fait que commencer à découvrir cette notion – ou à la redécouvrir, d’une certaine façon, puisque l’on peut penser que les sociétés anciennes étaient certes moins performantes en terme de volume de production, mais globalement moins fragiles.

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