Après la route solaire, voici le chemin de fer solaire. En partenariat avec la Deutsche Bahn, l’équivalent de la SNCF en Allemagne, la société britannique Bankset Energy teste actuellement un prototype de voie ferrée photovoltaïque. En recouvrant l’ensemble du réseau outre-Rhin, le concept pourrait développer une puissance de 6 GWc. De nombreux défis doivent toutefois être relevés.

[Article mis à jour le 10/07/22 avec les précisions de Bankset Energy]

Le solaire photovoltaïque nécessite beaucoup d’espace pour générer de grandes quantités d’électricité. S’il est techniquement possible d’installer des panneaux sur n’importe quelle surface, le coût, le rendement et la durabilité de chaque solution est déterminant.

Les centrales au sol sont naturellement les moins chères, mais provoquent parfois des conflits d’usage et polémiques environnementales. Les centrales sur toitures, flottantes ou agrivoltaïques exploitent des espaces abandonnés ou déjà utilisés pour d’autres activités, mais sont nettement plus coûteuses.

D’autres supports pour le moins surprenants ont été testés : panneaux scellés dans l’asphalte des routes, tunnels solaires, ombrières, couvertures de canaux, avec des résultats pas toujours probants, voire catastrophiques pour certains. La soif d’espace du photovoltaïque semble impossible à étancher, si bien que les voies ferrées sont désormais lorgnées pour y installer des panneaux.

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100 kWc de puissance à chaque kilomètre de voie ferrée

Le concept est expérimenté en Allemagne, via un partenariat entre la Deutsche Bahn, l’opérateur ferroviaire national et Bankset Energy, une société britannique spécialisée dans l’énergie. Dans la Saxe, quelques mètres de chemin de fer ont été équipés de petits panneaux photovoltaïques. Les modules d’une puissance unitaire de 80 W sous 10 V sont installés sur les traverses, ces poutres en bois ou blocs de béton qui maintiennent les rails en place. Selon Bankset Energy, un kilomètre de voie développerait une puissance de 100 kWc.

Chaque section longue de 60 mètres comporterait environ 80 modules et afficherait une tension de 800 V. « Le systeme Bankset est connecté sur des batteries, sur le réseau électrique national ou ferroviaire en 50Hz ou en 16,7Hz , on peut connecter des industries ou des résidences individuelles ou même la caténaire pour envoyer le jus directement dans les trains. [Il] devient très, très rentable sur des distance de 100 km ou plus » détaille Marc Isoti, le responsable médias de la société.

En équipant la totalité des 60 000 km du réseau ferré allemand, la puissance solaire pourrait ainsi bondir de 6 GWc. En France, nos 27 483 km de rails pourraient développer 2,7 GWc, soit la puissance absorbée par environ 300 rames de TGV à plein régime.

Quelle résistance aux éléments ?

Entretenir une centrale solaire en pleine voie ferrée peut sembler compliqué, entre les projections de ballast (les pierres qui stabilisent la voie), la poussière soulevée à chaque passage d’un train et les quelques rames qui y déversent toujours leurs eaux usées. Ce n’est pas un problème selon Bankset Energy, qui annonce développer un train-robot capable de « nettoyer et scanner tout le matériel ».

« Il n’y a pas de projection de ballast à moins de 250 km/h, donc sur 90% du réseau selon nos estimations. On n’a pas constaté de projections de ballast en 7 ans de test. […] Le module Bankset est très résistant et spécialement solide », explique Marc Isoti.

« La poussière, les déjections d’oiseaux ou la neige en hiver sont un problème pour toutes les installations solaires en toiture ou sur sol, mais avec Bankset, sur rails on peut automatiser le nettoyage, c’est bien plus efficace et rapide pour nettoyer »  veut-il rassurer.

Quid des coûts et des trains de travaux ?

La solution devra aussi être compatible avec les opérations d’entretien de la voie. Des trains de travaux en grande partie automatisés circulent régulièrement pour meuler les rails, tasser voire remplacer le ballast, changer les traverses et leurs attaches. Il sera à priori nécessaire de retirer les panneaux pour certaines opérations. D’après Marc Isoti, le module photovoltaïque « est spécifique pour la maintenance, le bourrage de rails et meulage, il a été testé sans problèmes avec des machines classiques et modernes ».

Installer une multitude de panneaux de faible puissance plutôt qu’une moindre quantité de panneaux de forte puissance est normalement plus coûteux. Pour obtenir 1 GWc, il est par exemple nécessaire d’installer 12,5 millions de panneaux de 80 Wc, au lieu de 2,2 millions de panneaux de 450 Wc. Malgré cela, « le coût est relativement faible, par kilomètre on estime qu’1 MW coute 1 million d’euros » affirme le responsable.

Si l’expérimentation se limite pour l’instant au réseau allemand, Bankset souhaiterait l’étendre à d’autres pays comme la France. « On demande que la SNCF évolue vers des métiers nouveaux et modernise les mentalités et les procédures » explique Marc Isoti, avant de se lancer dans une surprenante critique.

« Le principal problème que l’on a, ce sont les syndicats et les fonctionnaires qui ne veulent pas changer de mentalité et aller de l’avant » s’agace t-il. « Pour le moment Bankset finance a 100% la réalisation de ce projet. C’est à présent à l’État et a la SNCF de faire avancer les choses et fournir l’aide technique et financière nécessaire » revendique Marc Isoti.