Le projet Katabata consistant à installer plus de 10 000 éoliennes terrestres au Groenland vient de franchir une étape importante : les trois stations météo installées au sud de l’île en 2020 démontrent la faisabilité de produire annuellement 220 TWh d’énergie éolienne.

Il y a deux ans, dans notre article « Le Groenland sera-t-il l’eldorado de l’Europe ? », nous vous présentions le projet un peu fou de trois scientifiques belges. Damien Ernst, Xavier Fettweis et Michaël Fonder, de l’Université de Liège, envisageaient d’implanter 10 000 éoliennes sur la pointe sud du Groenland.

Si le projet, dénommé Katabata, paraissait utopique de premier abord, il vient toutefois d’être validé par les relevés de données scientifiques réalisés sur place. « Il existe là-bas un phénomène météo particulier qui en fait un des endroits les plus venteux du monde », affirmait Damien Ernst, professeur et spécialiste en électricité à l’ULiège.

Il y a en effet deux courants de vents importants : le synoptique, lié à l’anticyclone souvent centré sur l’Islande, et le catabatique, qui a donné son nom au projet « Katabata », venant du Pôle Nord et glissant jusqu’à la pointe sud du Groenland.

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Un vent moyen de 60 km/h

La calotte glaciaire culmine à 3 000 mètres d’altitude. Les masses d’air refroidies prennent de la vitesse et créent les vents catabatiques. Les deux types de vents s’additionnent et soufflent en moyenne à 60 km/h, avec des rafales variant entre 100 et 200 km/h, depuis le centre du pays jusqu’aux rivages méridionaux de l’île.

Le météorologue Xavier Fettweis, qui a étudié la fonte des neiges au Groenland, avait déjà élaboré un modèle mathématique du phénomène des vents sur place. Il ne restait plus qu’à vérifier si les données du modèle numérique étaient correctes en effectuant des relevés sur place.
C’est pourquoi le doctorant Michaël Fonder est parti pour le sud-est de l’île à bord du voilier Uno Mundo en été 2020 afin d’y installer trois stations météo équipées d’anémomètres.

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Le projet validé scientifiquement à 90 %

Deux ans plus tard, les premières données enregistrées livrent leurs résultats et valident à plus de 90% les théories des trois scientifiques : les vents soufflent en permanence à plus de 60 km/h, ce qui représente un potentiel éolien par unité de surface trois plus élevé qu’en Mer du Nord, et six fois plus élevé que celui des éoliennes terrestres installées en Wallonie par exemple.

Certes, la plupart des éoliennes sont mises à l’arrêt lorsque les vents frisent les 100 km/h, mais Damien Ernst reste confiant, et est persuadé que nous pouvons concevoir des éoliennes qui continueront à tourner avec des vents de 130 km/h.

L’étude se poursuivra pendant trois ans. Si les données mathématiques sont bien confirmées, c’est un véritable hub énergétique de plusieurs dizaines de milliers d’éoliennes qui pourrait voir le jour et alimenter le continent européen.

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Produire près de 50 % des besoins électriques de la France

Dans une contrée aussi inhospitalière, les défis techniques à relever et les obstacles à surmonter pour réaliser un tel projet seront considérables.
À commencer par l’installation de milliers d’éoliennes dans un environnement hostile, constamment balayé par des vents froids et violents.
Mais le jeu semble en valoir la chandelle. Et ce n’est pas la récente explosion des prix de l’électricité qui démontrera le contraire.

Il a en effet été calculé que 10 000 éoliennes installées sur l’île pourraient produire jusqu’à 220 térawattheures (TWh) d’électricité par an. C’est l’équivalent de près de la moitié de la consommation annuelle d’électricité en France (468 TWh en 2021), ou encore de tout le gaz naturel brûlé chaque année en Belgique.

La rentabilité du projet est vite démontrée, d’autant que, même en revenant aux prix du gaz d’avant la crise ukrainienne, il resterait profitable grâce à la taxe CO2 évitée.

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Exporter l’électricité sur 3 000 km

Le projet Katabata a pour objectif de fournir à l’Europe d’énormes quantités d’électricité ultra-bas carbone. Mais il reste à définir la solution pour exporter le puissant courant sur les milliers de kilomètres qui séparent l’extrême sud du Groenland au continent. À vol d’oiseau, Paris est à 3 150 km, Hambourg (Allemagne) à 3 140 km et Belfast (Irlande-du-Nord), grande ville la plus proche, est à 2 300 km.

Pour ce faire, plusieurs solutions existent : l’une, la plus couramment utilisée, consiste à acheminer l’électricité en courant continu grâce à des câbles haute tension (CCHT, ou HVDC en anglais). La deuxième solution consiste à transformer l’énergie produite sur place en méthane (CH4), et à la convoyer ensuite par bateau jusqu’en Europe.

Mais Damien Ernst va plus loin et imagine une troisième alternative : produire de l’e-fuel grâce aux éoliennes. La solution consiste à générer de l’hydrogène à partir de l’électrolyse de l’eau. Ensuite, en ajoutant à l’hydrogène du CO2 déjà présent dans l’atmosphère, on peut produire tous les hydrocarbures que l’on souhaite.

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Un facteur de charge de 80 %

À l’heure de la sobriété énergétique, une telle idée est-elle écologique ? Le scientifique rassure : « Ici, nous ne produisons pas du nouveau CO2, nous réutilisons un CO2 déjà présent dans l’atmosphère que nous brûlons. Donc, c’est une forme de circuit fermé ».

Si le projet obtient tous les feux verts, il restera alors à trouver les investisseurs pour le réaliser. Mais, avec un facteur de charge [1] estimé à 80%, soit le double de celui de nos éoliennes offshore, les candidats pour l’exploitation des éoliennes ne devraient pas manquer.

[1] Le facteur de charge d’une éolienne est le rapport entre l’énergie effectivement produite sur une période donnée et l’énergie qu’elle aurait produite si elle avait fonctionné à sa puissance maximale durant la même période.

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