Certains en rêvent, mais l’avion électrique ne saurait voler loin. Le poids des batteries est rédhibitoire pour autre chose que des sauts de puces. L’avion à hydrogène, on l’a vu, n’est pas une solution à portée de la main. Faut-il pour autant renoncer à « verdir » les transports aériens ? Pas forcément.

D’abord il y a bien sûr les biocarburants. Cinq aéroports dans le monde (aucun en France) en fournissent régulièrement. Ils sont produits par hydrogénation d’huiles usées et de graisses animales, pour un total de 15 millions de litres en 2018. D’autres filières comme la distillation d’éthanol, les boues d’épuration et la gazéification ou la fermentation de déchets agricoles et forestiers, pourraient être mises à contribution. Elles nécessitent toutefois davantage de traitements complexes et même en comptant sur elles, les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone – 2% de kérosène « vert » en 2025, 5% en 2030 – seront difficiles à tenir.

À lire aussi L’avion à hydrogène est une chimère !

En 2019, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) comptait sur une production mondiale de biokérosène en 2024 entre 1 et 2,5 milliards de litres. Par comparaison, la demande de l’aviation était – avant la pandémie – de quelque 280 milliards de litres. La plupart des experts estiment qu’il sera difficile de faire mieux que quelques pourcents de la demande de kérosène avec des biocarburants – 20% en 2040 dit l’AIE – sans que cette production n’entre rapidement en conflit avec la production alimentaire, la biodiversité, les usages des sols et de l’eau, et les autres utilisations de la biomasse.

L’e-kérosène, une perspective encourageante

Plus encourageante est la perspective de développer la production de kérosène de synthèse avec de l’hydrogène produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable, ou en tout cas décarbonée. Deux filières sont envisageables, l’une passant par le méthanol, l’autre plus directe reposant sur le procédé « Fischer-Tropsch ». Toutes deux sont déjà utilisées pour produire des hydrocarbures de synthèse, avec du gaz naturel dans divers pays et du charbon en Afrique du Sud. La production de cet « e-kérosène », si elle intéresse vivement le monde de l’aviation, fait aujourd’hui figure de grande absente des perspectives du gouvernement français[1].

À lire aussi Première mondiale : KLM opère un vol commercial avec du kérosène synthétique « vert »

Comme le biokérosène, ce kérosène de synthèse, parfois nommé « e-fuel » (e pour électrique), serait extrêmement proche dans sa composition du kérosène tiré du pétrole. Avec pour premier avantage une densité énergétique (par unité de volume) et une énergie spécifique (l’énergie rapportée au poids) élevées. Ce dernier critère est particulièrement important pour les avions : le kérosène représente jusqu’à 45% du poids au décollage d’un appareil long-courrier. Surtout, ces carburants peuvent être utilisés sans changement dans les avions d’aujourd’hui, leurs réservoirs, leurs turbines et les infrastructures d’approvisionnement. Ils peuvent représenter jusqu’à 50% du carburant consommé pendant le vol, une barrière qui pourra sans doute être levée.

Il faut du carbone

Problème : cette compacité du kérosène lui vient de la présence de carbone au côté de l’hydrogène dans sa composition (et de l’absence d’oxygène, pourrait-on ajouter par comparaison avec le méthanol ou l’éthanol). Sa combustion engendre donc la production et l’émission de CO2. C’est dire que pour être pleinement « bas-carbone », le kérosène de synthèse doit satisfaire à deux critères : la production de l’hydrogène qu’il contient doit être elle-même « bas-carbone », ce qui est notamment le cas si les électrolyseurs sont alimentés par de l’énergie renouvelable ; et le carbone qu’il contient doit avoir été extrait de l’atmosphère ( où il est présent sous forme de CO2 ), soit par des moyens mécaniques, soit par photosynthèse, c’est-à-dire qu’il doit venir de la biomasse.

La « capture directe » dans l’air n’est pas une utopie, une poignée d’installations expérimentales fonctionnent. Mais avec une teneur de l’air en CO2 de 0,04%, le procédé est plutôt énergivore et il faudrait de très grandes installations, faisant circuler beaucoup d’air, pour en fournir suffisamment et répondre aux besoins. Les estimations de coûts varient fortement, mais tout indique que la capture directe du CO2 dans l’air représenterait une proportion importante du coût du kérosène de synthèse.

Biomasse ou CO2

L’autre option, c’est la biomasse. N’avons-nous pas dit que son potentiel était très limité ? En fait, il est moins limité pour fournir du carbone que pour fournir de l’énergie. La biomasse est plus riche en carbone qu’en hydrogène. Si l’on ajoute de l’hydrogène dans le processus de production d’agrocarburants, on peut multiplier par deux ou trois, voire quatre, la quantité de kérosène « soutenable », mélange de biokérosène et d’e-kérosène.

Une option alléchante est bien sûr d’aller chercher du CO2 dans les effluents de centrales thermiques ou d’installations industrielles, où on le trouve à des concentrations de quelques pourcents à près de 100%, ce qui réduit considérablement le coût de la capture. Il faut alors faire un bilan complet : ce carbone d’origine fossile est bien finalement émis à l’atmosphère, mais il a en somme « servi deux fois » : à comparer avec les émissions actuelles, les émissions sont aux mieux réduites de moitié.

D’une façon transitoire, pourquoi pas, mais à terme, dans la perspective d’émissions nettes nulles, ce n’est pas suffisant. Par ailleurs, les industries concernées et l’aviation ne peuvent simultanément s’en attribuer le mérite, il faudra d’une manière ou d’une autre le partager. Enfin, on envisage parfois de baser la production d’e-kérosène sur des émissions de CO2 dites « fatales », qu’on ne saurait éliminer autrement, mais en réalité ce caractère fatal est sujet à caution, car les énergies renouvelables peuvent presque toujours éliminer ces émissions. Une exception : celles qui résultent de la calcination du calcaire dans la production du ciment, mais on sait aujourd’hui réduire fortement même ces émissions-là, en modifiant la composition des ciments.

Quelle politique ?

Quelle politique serait la plus à même d’organiser le basculement de l’aviation vers l’utilisation de kérosène ? La plus simple prendrait la forme d’obligations d’incorporation, donnant des assurances aux producteurs d’e-kérosène. Le coût sera sans doute élevé, – au moins au début. On pourrait par exemple estimer qu’une obligation d’incorporer 25% d’e-kérosène vert, coûtant 5 fois plus cher que le kérosène d’origine pétrolière, entraînerait une augmentation du prix du billet pour un vol Londres – Berlin d’environ dix euros, et quarante euros sur un vol pour New York. Cette augmentation serait la même si l’obligation grimpait à 50% d’incorporation et que le kérosène vert coûtait trois fois le prix du kérosène pétrolier. Ou 100% si son prix se réduisait au double de celui du kérosène.

L’augmentation du coût du carburant pour sa décarbonation donnerait une incitation supplémentaire aux efforts des avionneurs et des compagnies aériennes pour améliorer l’efficacité énergétique, et freinerait sans nul doute la progression du trafic, agissant ainsi simultanément sur tous les leviers généralement reconnus nécessaires pour réduire les émissions de l’aviation.

À lire aussi Pollution du transport aérien : et si l’on se trompait de cible ?

[1] Voir la Feuille de route française pour le déploiement des biocarburants aéronautiques durables de janvier 2020 sur le site écologie.gouv.fr.