Les carburants de synthèse, ou e-carburants, sont-ils l’avenir de la transition énergétique ? Facilement stockables, en principe neutres en carbone et permettant surtout d’utiliser l’infrastructure existante, ils présentent des avantages séduisants. Mais qu’en est-il de leur prix à la pompe ?

Les carburants fossiles que nous utilisons sont des mélanges d’hydrocarbures, c’est-à-dire un mélange de molécules ayant la forme de plus ou moins longues chaînes de carbone et d’hydrogène. Nous utilisons généralement des hydrocarbures issus de gisements fossiles, ce qui signifie qu’ils ont été produits par la biosphère, puis transformés et stockés par les processus géochimiques qui se produisent dans les profondeurs du sous-sol.

Or rien n’empêche que nous fabriquions ces molécules par des procédés industriels, à partir d’électricité neutre en carbone, d’hydrogène obtenu par électrolyse, et de dioxyde de carbone (CO2) prélevé dans l’atmosphère. Il s’agit d’une chimie maîtrisée depuis longtemps, mais qu’en est-il du prix ? Pourront-ils être abordables un jour ?

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Zero Petroleum : du sans-plomb 95 à 60 € le litre

À fin 2022, la société Zero Petroleum a mis en vente l’édition limitée de son premier baril d’eFuel, baptisé Zero Syn95. Seuls 8 jerrycans de 20 L sont en vente, et ils sont dédicacés par Paddy Lowe, le patron de l’entreprise anglaise et ancien ingénieur en Formule 1. Il s’agit d’une essence de synthèse, d’indice octane 95, et dont la densité énergétique est équivalente à celle de l’essence issue du raffinage du pétrole. Mais le prix facturé pour ce bidon est affolant : 50 000 £, soit de l’ordre de 3 000 €/L. Les frais de livraison sont offerts, sachez-le.

Un jerrycan Zero Syn95 livré à Damon Hill à l’occasion de son Festival of Karting 2023 / Image : Zero Petroleum

Ce n’est pas avec ce baril que nous irons faire nos courses, tout du moins, verrons-nous son achat comme un acte de mécénat, voire comme l’acquisition d’un objet de collection – reste à savoir si on ne préfère pas l’exposer à le brûler, à ce niveau de prix. Si du reste certains parmi nos lecteurs sont intéressés malgré tout, il semble rester des exemplaires en vente sur le magasin en ligne de Zero Petroleum, pour une livraison fin 2023.

Pour ceux d’entre vous qui seraient plus patients, Zero Petroleum met également en pré-vente des jerrycans de 20 L de l’édition « 1st Tanker ». Cette édition, qui sera disponible en 2025, inclus un total de 20.000 L qui seront issus de la première production à plus grande échelle de la Plant Zero.1, la première usine de la société, mise en service en juin 2023. Son prix est nettement plus faible, mais il reste ébouriffant, à 1 000 £ le jerrycan, soit environ 60 €/L. La patience ne suffira donc pas pour s’en servir quotidiennement.

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L’usine pilote de Haru Oni et son eGazoline à 50 € le litre

La société chilienne HIF Global a construit une usine à Magallanes, un des points situés le plus au sud du monde si l’on exclut l’Antarctique. Cette installation utilise de l’électricité fournie par une éolienne pour produire de l’hydrogène vert par électrolyse de l’eau. Par ailleurs, du CO2 est capté depuis une source dite « biogénique », mais sans plus d’informations. Les deux substances sont combinées pour produire des carburants de synthèse, de deux natures : d’une part de l’essence, baptisée eGazoline, et d’autre part du gaz naturel liquéfié, baptisé eLG.

Installation de production d’e-carburant de Haru Oni, au Chili / Image : HIF Global.

Le projet réunit plusieurs sociétés, notamment Porsche, qui fait partie des investisseurs et achètera le carburant produit. Siemens Energy est le concepteur de l’installation, tandis qu’ENEL fournit l’électricité éolienne et produit l’hydrogène vert. L’installation produit 130 000 L/an, occupe 3,7 hectares, la capacité des éoliennes est de 3,4 MW tandis que l’électrolyseur a une puissance de 1,2 MW. L’investissement total s’élève à 74 M$ US. Elle a produit ses premiers litres le 20 décembre 2022.

Concernant le prix ? L’Institut de recherche de Potsdam l’estime à 50 €/L dans une note (en allemand) de mars 2023. C’est légèrement moins que le carburant issu de Zero Petroleum, mais cela reste beaucoup trop cher.

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L’usine de Matagorda et son carburant à 3,1 € le litre

HIF Global a reçu en avril 2023 l’approbation environnementale pour la construction d’une usine de plus grande taille à Matagorda, au Texas. Cette usine pourra produire environ 750 millions de litres de e-carburant, soit la consommation annuelle estimée d’environ 400 000 véhicules. L’installation sera dotée de 1,8 GW d’électrolyseurs, elle consommera 300 kt/an (mille tonnes par an) d’hydrogène vert et 2 Mt/an (millions de tonnes par an) de dioxyde de carbone recyclé. HIF Global n’est pas très précis sur ce qu’il appelle « CO2 recyclé », mais l’annonce récente de la prochaine mise en service d’une installation de capture de carbone atmosphérique à Haru Oni laisse supposer qu’il s’agira de ce type de procédé.

L’investissement représente 6 milliards de dollars US, soit de l’ordre de 15 000 $ par véhicule-équivalent. De nombreuses sources affirment que le prix du e-carburant pourrait avoisiner les 2 $/L, sur la base de propos de Porsche ou HIF Global, toutefois la source primaire de cette information n’a pas été retrouvée.

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Nous y reviendrons plus loin, mais admettons que ce prix-là soit le bon, et admettons également qu’il inclut les coûts de distribution. Il convient de lui ajouter le prix des taxes diverses : avec une TICPE de 0,60 €/L et une TVA à 20 %, cela amènera le prix total à 3,1 €/L. Cela représente un net progrès par rapport à 50 €/L, mais cela reste encore trop élevé. On peut facilement imaginer les conséquences sur notre économie en extrapolant les effets de la hausse récente des hydrocarbures fossiles.

Notons au passage que la taxation des carburants est supposée intégrer aujourd’hui un coût du carbone : qu’en adviendra-t-il si ces carburants sont issus d’un recyclage du CO2 ?

Quel prix à long terme pour les carburants de synthèse ?

Falco Ueckerdt et ses collègues de l’Institut de Postdam [1] ont produit une étude en 2020 sur l’évaluation des e-carburants. En ce qui concerne le volet économique de leur étude, ils construisent une figure d’un grand intérêt, que nous reproduisons ci-dessous :

Projection des prix des carburants de synthèse / Image : Ueckerdt et al 2021.

La figure indique que le coût de production pourrait diminuer de 225 €/MWh en 2020, à 125 €/MWh en 2030 et 60 €/MWh en 2050. En considérant qu’un litre d’essence peut libérer 9,5 kWh, cela représente des coûts unitaires, respectivement, 2,10 €/L en 2020, 1,20 €/L en 2030 et 0,60 €/L en 2050. Selon cette étude, le prix des carburants de synthèse pourrait devenir équivalent au prix hors-taxes de l’essence d’aujourd’hui.

Nous sommes ainsi passés d’un prix astronomique de 3 000 €/L à un prix nettement plus raisonnable, de l’ordre de 1 €/L après 2030. Les e-carburants présentent donc de vraies perspectives d’obtenir un carburant non dépendant des sources fossiles, et ce, à des prix raisonnables. Mais disons plutôt qu’il s’agit de promesses, car si la technologie existe, l’industrie devra prouver sa capacité à diminuer les coûts par les facteurs d’échelle.

[1] Ueckerdt F., et al, Potentiel and risks of hydrogen-based e-fuels in climat change mitigation, Nature Climat Change, DOI: 10.1038/s41558-021-01032-7 (mai 2021) [lien]