Assurer l’alimentation électrique d’une centrale nucléaire est fondamental pour la maintenir dans un état sûr, et ce dans toutes les situations. Pour ce faire, on prévoit par exemple des groupes électrogènes de secours. Mais il existe une autre technique, appelée l’îlotage, qui est particulièrement mise en œuvre en France, et qui peut présenter de grands intérêts. Découvrez ce concept en détail.
Le 11 mars 2011 se produit le plus important séisme jamais enregistré au Japon. Une magnitude 9 sur l’échelle de Richter. Au niveau de la centrale nucléaire de Fukushima, le séisme entraîne l’arrêt automatique du réacteur ainsi que la perte de la connexion au réseau électrique. De façon à assurer les besoins électriques de la centrale, les groupes électrogènes de secours sont mis en route.
Mais le séisme a une autre conséquence, dramatique : il est à l’origine d’un tsunami dont la vague atteint 30 mètres sur certaines parties de la côte. Au niveau de la centrale nucléaire de Fukushima, la vague arrive environ cinquante minutes plus tard. Elle est moindre ici, mais elle atteint tout de même 15 mètres. C’est suffisant pour submerger la digue (de 6 m de hauteur) et mettre hors service les groupes électrogènes. La centrale perd ainsi toute source d’alimentation électrique.
C’est un des pires scénarios envisageables pour une centrale nucléaire. En effet, il faut savoir que même arrêté, le cœur d’une centrale nucléaire produit toujours de la chaleur issue des désintégrations radioactives. Cette chaleur, appelée puissance résiduelle, représente quelques pourcents de la puissance nominale du réacteur après son arrêt. Or, elle doit absolument être évacuée pour éviter la fusion du cœur. Si la centrale perd tout moyen d’alimentation électrique, cela n’est plus possible, et cela conduit à des conséquences catastrophiques. C’est précisément ce qui s’est passé à Fukushima en 2011, en faisant un des plus graves accidents de l’histoire de l’énergie nucléaire.
À lire aussiPeut-on débrider les réacteurs nucléaires pour augmenter leur puissance ?Pour permettre un état stable dans les situations anormales, une centrale nucléaire ne peut donc pas perdre à la fois sa connexion au réseau électrique et ses groupes électrogènes de secours. Il existe toutefois une technique intermédiaire, appelée l’îlotage. Dans cette configuration, le réacteur fonctionne à puissance réduite, et produit, par le biais de son alternateur, l’électricité nécessaire au fonctionnement de ses systèmes, et notamment ceux permettant d’assurer la sûreté et l’évacuation de la puissance résiduelle.
L’ASNR (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection) définit ainsi l’îlotage : « l’îlotage est une opération qui permet de se prémunir contre des défaillances du réseau électrique. Il consiste à isoler le réacteur du réseau électrique externe, tout en le maintenant en puissance. Il ne produit alors, par l’intermédiaire de son alternateur, que l’énergie électrique nécessaire à son fonctionnement dans un état sûr. »
En pratique, l’utilisation de ces moyens suit l’ordre suivant : en cas de coupure du réseau électrique, la centrale nucléaire conduit alors l’opération d’îlotage, impliquant un fonctionnement du réacteur à puissance réduite. En cas d’échec de cette dernière, le réacteur s’arrête, et ce sont les groupes électrogènes de secours qui assurent l’approvisionnement électrique. Il s’agit ainsi d’une cascade de moyens diversifiés, visant à assurer l’état sûr de la centrale. L’intérêt de l’ilotage est d’éviter un arrêt total du réacteur, et ainsi permettre une remontée nettement plus rapide de la puissance lors du rétablissement de la connexion au réseau électrique.
L’îlotage a par exemple été mis en œuvre le 14 juin 2004 dans la centrale nucléaire de Saint-Alban. Alors que les réacteurs étaient en fonctionnement, les lignes qui connectaient la centrale au réseau ont été coupées dans le contexte d’un mouvement social. Les deux réacteurs ont alors fonctionné en îlotage, pendant le temps nécessaire pour reconnecter la centrale au réseau. L’incident fera l’objet d’un classement au niveau 0 de l’échelle INES.
En revanche, il faut relever que cette technique n’a pas toujours fonctionné comme prévu. Le 27 décembre 1999, la tempête Martin frappe les côtes à proximité de la centrale du Blayais, non loin de Bordeaux. La tempête provoque une anomalie dans le réseau électrique, qui provoque la déconnexion des réacteurs n°2 et n°4. La procédure d’îlotage échoue. Les réacteurs sont alors arrêtés, et les groupes électrogènes prennent le relais pour les alimenter en électricité. Problème : pendant la nuit, les vents exceptionnels, conjugués à une marée montant relativement forte, provoquent une brusque montée des eaux de l’estuaire de la Gironde, conduisant à une inondation d’une partie du site.
Cette inondation n’a heureusement pas empêché le fonctionnement des groupes électrogènes, ni la reconnexion au réseau, qui a pu être effectuée trois heures plus tard. L’incident a été classé niveau 2 sur l’échelle INES, mais il est vrai que ses conséquences auraient pu être bien plus dramatiques. Cet incident a servi d’électrochoc et a conduit à mettre en œuvre d’importantes modifications des systèmes de sûreté des centrales françaises. Sur cet incident, on pourra consulter le rapport de l’IRSN.
À lire aussiPourquoi cette ligne électrique à haute tension s’est-elle mise à fumer ?En France, toutes les centrales peuvent fonctionner en îlotage. Dans les autres pays, cette possibilité reste répandue, mais de façon moins systématique. Appelée « islanding » ou « house load operation » en anglais, l’îlotage est surtout mis en œuvre en Europe, ou en Corée du Sud, par exemple ; elle reste toutefois peu utilisée par exemple aux États-Unis. Le choix de sa mise en œuvre est un compromis entre ses avantages et ses inconvénients. Pour plus de détails techniques à ce sujet, on peut renvoyer vers l’article de Lim et Park publié en 2020 dans le journal Nuclear Engineering and Technology, ou encore au document technique TECDOC-1770 de l’AIEA, tous deux accessibles en source ouverte.
Pour résumer, l’îlotage est une technique d’un grand intérêt pour assurer l’approvisionnement électrique d’une centrale en situation anormale, intermédiaire entre l’alimentation par le réseau électrique et les groupes électrogènes de secours. Elle permet notamment d’éviter l’arrêt d’urgence, d’épargner le matériel et de reconnecter rapidement la centrale au réseau. En revanche, l’opération d’îlotage n’est pas une panacée : sa mise en œuvre est délicate, et elle peut échouer. Elle est généralisée en France, mais pas forcément à l’étranger ; sa mise en œuvre dépend des réglementations et pratiques locales.
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