À une quarantaine de kilomètres au large de Marseille s’élèvera le tout premier parc éolien flottant de France. Le site pilote composé de trois turbines doit être mis en service avant la fin 2023. Nous avons visité le chantier des immenses flotteurs sur lesquels les éoliennes seront installées.

Pour déployer des éoliennes en mer, il y a deux techniques. La première, appelée « éolien posé » consiste à installer la turbine sur une fondation fixée au fond marin, via un pieu, un treillis métallique ou une fondation « gravitaire ». L’éolien posé est adapté aux profondeurs n’excédant pas une cinquantaine de mètres. Mais comment faire au-delà, pour accéder aux gisements de vents les plus favorables au grand large ?

Il est nécessaire d’exploiter une seconde technique : « l’éolien flottant ». Comme son nom l’indique, l’idée est d’installer la turbine sur un flotteur relié au fond marin par des câbles. Cela permet d’atteindre des profondeurs économiquement viables jusqu’à 1 000 m, et 3 500 mètres sur le plan purement technique.

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Des éoliennes flottantes en plein mistral

L’éolien flottant est donc la seule méthode permettant de déployer des éoliennes en zone profonde, comme sur la côte méditerranéenne française. Le tout premier parc de ce genre en France sera situé à 17 km au large de Fos-sur-Mer, non loin de Marseille. Il s’agit du projet pilote « Provence Grand Large » (PGL) porté par EDF Renouvelables et composé de trois turbines Siemens d’une puissance unitaire de 8,4 MW (25,2 MW au total).

La petite ferme éolienne flottante bénéficiera d’un gisement de vent particulièrement favorable, face au delta du Rhône, où souffle un mistral quasi continu (10 m/s en moyenne). Lancée en 2010, elle sera enfin mise en service fin 2023. Un temps particulièrement long, qui s’explique notamment par le caractère inédit du projet et quelques déboires judiciaires.

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Car « Provence Grand Large » est un projet pilote, dont l’objectif est de développer les techniques les plus fiables, rapides et économiques avant un déploiement massif de l’éolien flottant. Ce parc expérimentera notamment des « plateformes semi-submersibles à ancres tendues », un système jamais exploité jusque-là pour déployer des éoliennes en mer.

Plusieurs vues des flotteurs en construction sur le site d’Eiffage Métal à Fos-sur-Mer / Images : Drone Révolution Énergétique, HL.

L’industrie pétro-gazière au service de l’éolien ?

Situé au large de l’Écosse, le premier parc éolien flottant au monde utilise la technique de la bouée lestée (Spar buoy, en anglais). Au Portugal, le parc Windfloat Atlantic exploite des caissons semi-submersibles. Floatgen, la seule éolienne flottante de France, utilise quant à elle une fondation de type barge en béton. Au large de Fos-sur-Mer, les trois éoliennes du projet PGL s’élèveront donc sur des structures uniques, directement inspirées de l’industrie pétro-gazière offshore.

Elles ont d’ailleurs été imaginées par SBM Offshore, un géant de la conception de plateformes et matériels destinés à l’exploitation pétrolière et gazière en mer, avec IFP Energies Nouvelles. Hautes de 45 m et larges de 80 m d’une extrémité à l’autre, chaque fondation pèse 2 000 tonnes à vide et environ 3 000 tonnes avec son éolienne. Ces pyramides à trois angles sont équipées de 6 flotteurs submersibles (2 par extrémité) reliées à une colonne centrale en treillis. L’ensemble est protégé de la corrosion par des anodes sacrificielles.

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Environ 30 des 45 mètres de la structure est maintenue sous l’eau par 3 paires de câbles reliées à des ancres « à succion ». Il s’agit de cylindres creux enfouis sous le plancher marin et retenant la plateforme à la manière d’une ventouse. Ce genre de structure est présenté comme extrêmement stable, en raison de la faible prise aux vagues des treillis et de la tension élevée dans les câbles d’ancrage. Des câbles formant par ailleurs un angle naturellement anti-roulis : leur ligne de fuite mène au sommet de la nacelle de l’éolienne, qui héberge la mécanique nécessaire à la production d’électricité. Le débattement latéral ne devrait donc pas dépasser quelques mètres et le déplacement vertical serait inexistant.

En haut à gauche : la poulie de tension des câbles d’ancrage, en haut à droite: les bras dans lesquels seront enfilés les câbles d’ancrage. Plusieurs anodes sacrificielles sont visibles. En bas à droite : détail d’une poutre, en bas à gauche : la pièce de transition qui accueillera l’éolienne, avec le ‘boat landing’ et l’échelle pour l’accès au site. / Images : Révolution Énergétique -HL.

L’assemblage de ces immenses structures est réalisé par Eiffage Métal sur son site de Fos-sur-Mer, idéalement placé sur un quai du Grand port maritime de Marseille. Importés de Turquie et d’Asie pour la plupart, les éléments sont soudés sur place depuis février 2021. Dès l’été 2023, les flotteurs seront déplacés par barge jusqu’à la darse n°1 pour être mis à l’eau, puis remorqués au quai Graveleau, où ils recevront les éoliennes. Ces zones ont d’ailleurs dû être renforcées et les bittes d’amarrage remplacées pour retenir de lourdes charges.

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Enfin, les trois ensembles seront tractés jusqu’au large, amarrés au plancher marin puis branchés au raccordement électrique préparé par RTE avant d’être mis en service. Les premiers mégawattheures devraient investir le réseau avant la fin 2023. Selon nos estimations, le parc devrait produire près de 84 GWh chaque année (et se basant sur un facteur de charge de 38 %, qui est la moyenne pour l’éolien offshore en Europe depuis 2018). Comptablement, cela correspond à la consommation annuelle d’électricité d’environ 18 000 foyers tous usages compris.

Images : Révolution Énergétique, HL.

Un mégawatt installé aussi cher que l’EPR de Flamanville

Du courant bas-carbone, mais à prix d’or. Car le projet Provence Grand Large a coûté extrêmement cher : l’investissement s’élève à 300 millions d’euros, dont une partie provient de subventions. À près de 12 millions d’euros le mégawatt installé, il n’est absolument pas viable en l’état. C’est à peu près autant que l’EPR de Flamanville (19,1 milliards d’euros pour 1 650 MW). Pour comparer, l’éolien terrestre s’établit à environ 1 M€/MW et l’éolien en mer posé est à un peu plus de 4 M€/MW. Toutefois, le surcout est tout à fait logique, le projet étant à visée expérimentale et non pas commerciale.

Les centaines d’éoliennes flottantes qui doivent naître en Méditerranée ces prochaines décennies (lire notre dossier) devraient coûter considérablement moins cher grâce à l’expertise acquise par le projet Provence Grand Large. Plusieurs éléments ont déjà été identifiés pour réduire la facture à l’avenir, comme le remplacement des 6 flotteurs latéraux des structures par une seule bouée centrale de grande hauteur. Le nombre de pièces à souder sera également diminué, tout comme le protocole de mise à l’eau.

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Pour faire émerger une véritable industrie de l’éolien flottant, la France devra aussi réaménager ses ports. Car l’espace manque, même dans les gigantesques darses des bassins ouest du port de Marseille. Pour la phase finale du projet, Provence Grand Large a dû négocier des surfaces en co-activité avec d’autres activités portuaires. Un fonctionnement complexe et risqué, totalement inadapté au lancement de parcs éoliens flottants commerciaux de grande taille.

À terme, Eiffage Métal affirme pouvoir assembler 15 à 20 flotteurs d’éoliennes par an sur son site de Fos-sur-Mer, ce qui correspond à un parc éolien de 150 à 200 MW, voire jusqu’à 300 MW selon le choix de turbine. Son usine pourra employer jusqu’à 400 personnes. Dès la livraison des structures de PGL, elle débutera d’ailleurs l’assemblage des flotteurs d’un autre projet pilote d’éoliennes flottantes en Méditerranée : EFGL, qui déploiera 3 turbines au large de Leucate (Aude).