Sommaire

La quasi-totalité des grands navires devront obligatoirement se brancher au réseau électrique lors de leurs escales dans un port européen, dès le 1ᵉʳ janvier 2030. En éteignant leurs générateurs au fioul une fois amarrés, ces bateaux réduiront significativement leurs émissions polluantes. Mais le défi technique est de taille pour parvenir à raccorder en quelques mouvements ces petites villes flottantes sur un réseau public qui n’avait pas été prévu pour cela. Exemple à Marseille, où nous avons découvert les coulisses de l’électrification des navires à quai.
Ferrys, paquebots de croisières, porte-conteneurs : les grands navires sont de gigantesques gouffres énergétiques. Aujourd’hui, leur appétit est presque exclusivement assouvi en brûlant du pétrole. Une coupe très grossière de cette ressource fossile, d’ailleurs : le fioul lourd. Au-delà des émissions de gaz à effet de serre, ils rejettent des quantités massives de polluants durant leurs escales, sous les fenêtres des habitants de villes portuaires.
Depuis quelques mois cependant, certains de ces résidents ont pu constater une amélioration. Dans le quartier de la Joliette à Marseille, par exemple, au contact immédiat des ferrys qui desservent notamment la Corse et l’Afrique du Nord, le ronronnement continu des moteurs n’est plus systématique. Le smog qui planait au-dessus des immeubles s’est également réduit, depuis la mise en service de huit postes de connexion électriques des navires à quai (CENAQ).


Si les ferrys consomment toujours du fioul pour quitter le port ou y accoster, la majorité peut désormais éteindre leurs générateurs durant leur escale, qui peut être très longue, notamment en hiver où les rotations sont moins fréquentes. Or, un ferry amarré consomme « 8 à 10 tonnes de fioul par jour », nous explique le commandant du Danielle Casanova, fleuron de la compagnie Corsica Linea. C’est trois fois moins que la trentaine de tonnes de fioul nécessaires pour réaliser une traversée Marseille – Ajaccio, mais tout de même considérable.
À bord, les cinq groupes électrogènes de 2 360 kW chacun, d’énormes moteurs dont les pistons ont un diamètre comparable à une roue de voiture, sont éteints. Toute l’énergie nécessaire au navire à quai est fournie par le réseau électrique national. Le ferry s’y est branché au moyen d’une potence installée sur le quai, supportant un épais câble. Une ouverture a d’ailleurs dû être découpée sur la coque pour aménager le point de connexion, abrité par un local visible dans l’un des garages du navire.
Cette connexion à quai peut fournir jusqu’à 2 500 kW selon le Grand port maritime de Marseille (GPMM), mais d’après Jean-Philippe Castelein, chef mécanicien du Danielle Casanova, elle serait en réalité supérieure : jusqu’à 3 800 kW. Lors de notre visite, la consommation du navire en escale prolongée, sans passagers, n’est que de 650 kW. Elle atteindrait les 3 000 kW en été, lorsque la climatisation est allumée, un poste de consommation qui serait plus élevé que le chauffage, sur un ferry.
Pour se brancher au réseau après s’être amarré, le personnel du navire utilise une télécommande pour piloter la potence située sur le quai. « L’opération peut se faire à une personne, mais idéalement il en faut deux équipées », détaille le chef mécanicien. Le processus de raccordement dure une quinzaine de minutes, à l’arrivée comme au départ. Une fois branché, une séquence de basculement automatique est enclenchée par les ordinateurs de bord. Sans batteries tampon, les groupes électrogènes s’arrêtent progressivement afin de laisser les électrons « propres » du réseau alimenter le ferry. « Il nous a fallu six mois pour mettre au point cet automatisme », explique le responsable.
Si le protocole est bien rôdé et plutôt simple pour les ferrys, c’est une autre paire de manches du côté des paquebots de croisière. Ces mastodontes capables d’accueillir 9 000 passagers pour les plus gros, soit presque quatre fois plus que le Danielle Casanova, font appel à un tout autre système. Le port de Marseille est en train d’électrifier quatre quais réservés à ces navires de croisière, qui seront opérationnels début 2026.
Pour ces géants des mers, pas de potence fixe, mais des « engins de levage qui se déplacent à l’endroit où se fait la connexion au navire, qui est différent sur chaque paquebot », détaille Patrick Maddalone, le directeur de la transformation du GPMM. Concrètement, l’engin se connecte à une borne de livraison fixe sur le quai puis soulève les cinq câbles jusqu’au point de branchement sur la coque des navires. « Il faut au moins trois personnes pour réaliser la connexion », assure-t-il. La puissance délivrée au paquebot pourra atteindre 16 MW, soit cinq fois plus que pour les ferrys.
Autre particularité : les navires de croisières fonctionnent à une fréquence de 60 Hz, contre 50 Hz pour le réseau électrique. Avant livraison, le courant doit passer par l’un des trois postes de conversion installés, « des grosses machines comme il en existe peu dans le monde », nous confie un agent d’Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité. La tension est également modifiée : de 20 kV, elle est abaissée à 11 kV dans les postes de transformation du port avant d’être injectée dans les navires.


Avec un objectif de 30 postes à quai équipés d’une connexion électrique d’ici 2030, suffisant pour couvrir 90 % des escales selon le GPMM, le port de Marseille doit logiquement renforcer son réseau électrique. Et pas qu’un peu : de 30,5 MW en 2020, sa capacité installée est passée à 80 MW en 2025 et doit atteindre 160 MW en 2030. Une augmentation monumentale permise par les investissements d’Enedis, qui déroule des câbles depuis les postes sources situés en ville jusqu’aux frontières du port de Marseille.
Deux câbles en cuivre de 4 x 240 mm² capables de transporter 10 MW chacun viennent d’être ajoutés dans la galerie technique passant sous le Vieux-Port, afin de relier un poste de transformation 225 kV/20 kV aux emprises du port. Mais cela ne suffit pas. Pour les paquebots de croisière, entre autres navires qui seront raccordés sur la moitié nord du port, Enedis prévoit la construction d’un nouveau poste source dans le quartier de La Calade.
En parallèle, le GPMM déploie des centrales solaires photovoltaïques sur le toit de neuf de ses hangars. D’ici 2029, elles produiront autour de 14 GWh annuellement avec un taux d’autoconsommation visé de 99 %. Impressionnant mais pas surprenant, puisque l’immense majorité des escales de navires s’effectuent en journée. Avec une puissance solaire installée proche de 80 MW, de nombreux bateaux pourront s’alimenter presque directement en électricité 100 % renouvelable et locale par beau temps.
La suite de votre contenu après cette annonce
Notre Newsletter
Ne ratez plus les dernières actualités énergetiques
S'inscrire gratuitement