AccueilSolaireLa "soupe quantique" va-t-elle révolutionner 60 ans de recherches sur l’électricité ?

La "soupe quantique" va-t-elle révolutionner 60 ans de recherches sur l’électricité ?

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Par Laurent GAUTHIERPublié le 28 mai 2025
Illustration : Getty, modifiée par RE.

Qu’est-ce que l’électricité ? Nous pourrions répondre : un déplacement d’ensemble d’électrons, formant un courant dans un conducteur, par exemple, un métal. Une réponse simple en apparence. Toutefois, dès lors que l’on cherche à aller plus profondément dans la matière, la réalité est bien plus complexe et bien plus surprenante.

C’est en 1956 que Lev Landau, un chercheur russe, propose une description à l’échelle microscopique de la circulation de l’électricité dans un métal. Il s’agit du modèle dit du « fluide de Fermi » dans lequel les électrons se déplacent par « paquets », appelés « quasiparticules », et ce en dépit de leur répulsion naturelle induite par leur signe égal de charge électrique – négatif, en l’occurrence. Ce modèle a donné des résultats très satisfaisants, et tenu pendant près de soixante ans, permettant d’expliquer les propriétés du courant électrique dans un métal.

Vous avez dit « métaux étranges ? »

Mais viennent alors des matériaux tout à fait particuliers, tellement particuliers qu’ils ont été baptisés « métaux étranges » (strange metals en anglais). Dans ces métaux, le modèle du fluide de Fermi ne s’applique pas, et cela conduit à des propriétés particulières vis-à-vis de la circulation électrique. En particulier, dans ces métaux, la résistance électrique à basse température augmente de manière linéaire ; dans les métaux plus classiques, cette dernière augmente quadratiquement – c’est-à-dire que la résistance quadruple quand la température double. Cette propriété macroscopique révèle l’existence, très probable, d’interactions particulières au niveau microscopique entre les électrons.

Pour expliquer de tels comportements particuliers, il faut faire appel à de nouvelles théories, ou à une extension des théories existantes. Et étudier très précisément ces matériaux. C’est ce à quoi se sont attelés Liyan Chen, de l’université Rice au Texas, ainsi que ses autres co-auteurs ; leurs travaux ont été rapportés dans un article intitulé Shot noise in a strange metal, publié en 2023 dans Science (accessible en source ouverte).

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Pas de porteurs de charge individuels

Les chercheurs ont analysé un alliage de formule générale YbRh2Si2, c’est-à-dire composé d’Ytterbium, de Rhénium et de Silicium. Cet alliage fait partie de cette étonnante famille des métaux étranges. Pour l’étudier, ils ont construit un dispositif expérimental constitué de nanofils de 30 µm de longueur de cet alliage, et utilisé la technique dite du « bruit de coupure » (ou « bruit de grenaille », shot noise en anglais). Il s’agit d’une technique sophistiquée qui permet d’étudier le comportement collectif des électrons, et notamment la façon dont ils se distribuent par paquets.

Et là, surprise ! Ils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient discerner des porteurs de charge individuels dans le courant électrique. C’était comme si le courant était porté par un fluide continu, non subdivisé en particules. Comme l’ont décrit les chercheurs, dans le communiqué de presse du US Department of Energy de mars 2025 : « C’est comme si les électrons perdaient leur identité et se fondaient dans une soupe quantique ».

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Une nouvelle voie vers les supraconducteurs à haute température ?

L’électricité n’aurait donc pas besoin d’électrons, de particules « discrètes » (discontinues) pour circuler ? C’est une hypothèse pour le moins audacieuse, et qui, on s’en doute, est susceptible de faire couler beaucoup d’encre dans les années à venir. Car la question est d’importance. Elle peut permettre, en effet, de développer de nouvelles théories de l’électricité, lesquelles seraient cruciales pour expliquer notamment le comportement de supraconducteurs à haute température. Et ces derniers, véritables Graal de la science moderne, pourraient ouvrir de telles perspectives dans les secteurs de l’énergie, mais aussi dans la plupart des secteurs industriels et scientifiques de pointe que, nécessairement, toute découverte à ce sujet ne peut qu’attirer l’attention.

Cette découverte propose donc une hypothèse audacieuse : l’électricité pourrait être transportée, dans certains cas, par autre chose que des électrons (ou autres porteurs de charge discrets), qui pourrait être un fluide quantique continu (un « soupe quantique », pour reprendre les termes des auteurs). Il n’est pas dit que cette hypothèse survive aux années à venir. Elle méritera toutefois d’être suivie très attentivement, car ses retombées pourraient être pour le moins révolutionnaires.

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